Panther
7.2
Panther

Album de Pain of Salvation (2020)

Ces dernières années, je constate que mes groupes favoris tablent sur une accessibilisation de leur musique. Quand je pense Riverside, Leprous ou Dream Theater, je me dis que, même si je les adore, l’audace de leur âge d’or me manque depuis qu’ils tendent vers plus de simplicité.


Pour moi, le prog’, ce n’est pas qu’un renouvellement de son style. C’est l’innovation, l’expérimentation et l’exploration. Voilà pourquoi j’aime Pain of Salvation plus que de raison : parce qu’après plus de vingt ans de carrière, ils partagent cette vision. Chaque nouvel album passe comme un météore, brillant et inattendu. Jamais de la même couleur, jamais dans la même direction. Parfois, il divise. Souvent, il séduit. Toujours, il surprend.


Panther ne déroge pas à cette règle. On reconnait sans aucun doute dans son spleen mélodique le souffle de PoS, mais ce que l’on y entend, on ne l’a jamais entendu avant.


C’est un album unique et marginal pour un groupe tout autant unique et marginal. Pas le plus connu, et pourtant l’un des piliers les plus solides sur lequel repose le prog’, et rien que pour ça, merci d’exister.



Entre tradition et modernité



Mélancolique et Passionné. Puissant et Mélodique.


Ce n’est plus vraiment à prouver : Pain of Salvation n’a pas son pareil pour écrire une musique profondément passionnée. Des rythmiques rageuses, un piano éploré, des guitares déchirantes et un chant habité. Après le groove de Road Salt et la violence de In the Passing Light of Day, c’est Panther qui renoue finalement avec le sens mélodique des premières années. Pour cette raison, Panther est indéniablement l’album que j’attendais depuis BE. Une lance pointée vers le cœur, qui s’y fige et y déverse un flot incoercible d’émotions. Wait et Icon sont, à ce titre, des morceaux qui cristallisent tout le potentiel mélancolique de l’album, tandis que Species et Panther réveilleront la bête qui sommeille en nous.


Néanmoins, Panther est un album qui — comme toujours — ne se laissera pas dompter si facilement. En témoignent les trois singles Accelerator, Restless Boy et le titre éponyme, Panther. L’album déroute, étonne, et ne laissera pas son auditeur naviguer en eaux calmes.


Profondément expérimental et baigné d’une multitude de styles et d’influences, PoS réaffirme sa plurivalence musicale, rendant vaine toute tentative de classification. Du rap tribal de Panther au chant céleste de Wait, en passant par le banjo de Fur et les riffs bluesy de Unfuture, chaque titre possède sa couleur, sa nuance, en remarquable cohérence avec son propos.


Avec cela, PoS modernise son approche de la musique en intégrant de nouvelles sonorités contemporaines. Ainsi, Panther sera l’occasion pour Gildenlöw de s’essayer aux nappes de sons électroniques, déjà légèrement introduites dans ItPLoD, qui sont ici omniprésentes.



Welcome to the new world, Safe, Sound, Sublime



Un nouveau monde qui prend forme par ce son industriel esquissant les contours de hautes cités de verre et de métal aux accents cyberpunk, univers qui aurait écrasé toute trace de nature sauvage. Panther entretient donc logiquement une constante dichotomie entre son instrumentation traditionnelle et ses ambiances artificielles instaurant une atmosphère sombre, pesante et dystopique. Les sonorités organiques et synthétiques se disputent le terrain, elles se succèdent comme le jour et la nuit, elles se confrontent, fusionnent puis se dissocient à nouveau dans un ballet étourdissant. Tout le monde ne s’y accoutumera pas avec la même aisance, mais il faut impérativement y revenir, car c’est une musique incroyablement bien pensée dont la cohésion ne se perçoit pas immédiatement. C’est novateur, c’est prog’ et d’une remarquable intelligence.


Que dire de ce passage lourd de sens, lorsque la voix d’or de Gildenlöw, déformée par l’autotune (!), clame un « I will always try to change for you » poignant, si ce n’est qu’il est redoutablement sagace ?



Ode aux marginaux



Si, musicalement, Panther se la joue anticonformisme, ce n’est pas complètement un hasard. En effet, le cœur même de cet album, c’est la confrontation entre la norme qui s’érige en art de vivre, en règle immuable à laquelle chacun doit s’accorder, et les marginaux. Panther s’adresse à ceux qui ne rentrent pas dans le moule, qui sortent du cadre, à ceux qui pensent et qui ressentent plus que de raison, aux enragés, aux passionnés, aux solitaires et aux rêveurs.



I feel like a panther, trapped in a dog’s world



Panther s’adresse aux inadaptés.


Gildenlöw pose le regard sur ce monde et constate que tout fout le camp. On confie le monde aux hommes de papier et on les suit aveuglément, on laisse le système tout normaliser, tout uniformiser, rien ne doit dépasser, tel est le prix du contrôle. Mais la place vient à manquer pour ceux qui ne sont pas dotés du même logiciel. Ceux-là suffoquent, réprimés par une norme pour laquelle ils ne sont pas câblés. Ils sont des cubes qu’on essaye d’encastrer dans des ronds, en en rognant les angles, en en gommant les aspérités. On médicamente les gens contre la passion, on les guérit contre la curiosité, on les soigne contre le génie.


Panther est une ode à la tribu des marginaux. Wait est l’hymne des fatalistes qui savent qu’ils ne parviendront pas à changer, même pour ceux qu’ils aiment ; Keen to a Fault est celui des anxieux, qui craignent le futur et le ravin qui approche ; Species est le chant des ermites qui trouvent la paix dans un lieu reculé loin de leurs semblables ; Accelator celui des révoltés et des idéalistes qui, un jour, changeront le monde.



We give you the brilliant, the crazy, the fools
The gifted and the troubled



Panther connectera avec tous ceux pour qui l’humanité est une énigme, ceux qui peinent à dialoguer, avec tous ceux qui se sentent écrasés par une société qui ne les comprend pas, et qu’ils ne comprennent pas non plus. De l’aveu même de Gildenlöw, l’objectif de cet album n’est pas de bousculer l’ordre établi, pas plus que de pointer ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, qui a raison et qui a tort. Mais Panther est incontestablement — comme l’était son prédécesseur — un espace cathartique permettant aux uns de réaliser qu’ils ne sont pas seuls, et aux autres de s’ouvrir à la panthère qui est en eux. De réfléchir. Quelles parties d’eux-mêmes ont-ils réprimés pour trouver que la direction que nous prenons tous est « normale » ?



Conclusion



Avec In the Passing Light of Day, PoS livrait un album très torturé, dissonant et personnel. Panther revient à des thématiques plus universelles dans un ensemble qui renoue avec une certaine harmonie sonore. Le retour de Johan Hallgren à la guitare et aux chœurs ravira les anciens qui, par ailleurs, entendront ici et là des vibes de la période Road Salt dans les riffs bluesy de Unfuture, dans le chant déchirant de Species, dans Icon, vague réminiscence de Sisters et son solo qui rappelle furieusement To the Shoreline.


Entre tradition et modernité, Panther ne se démarquera pas par la complexité de ses structures, mais surprendra par l’émergence de tonalités synthétiques dont s’est emparé Daniel Gildenlöw avec le plus grand brio. Qui aurait cru un jour entendre dans Pain of Salvation un son indus, mélangé d’électronique et usant de vocoder et d’autotune ?


Au milieu d’une scène prog’ qui semble parfois en dilettante, Pain of Salvation poursuit son bout de chemin sur un sentier caché, toujours trop méconnu, et pourtant incroyablement riche de décors et d’univers variés. Un sentier qu’ils tracent et parcourent depuis plus de vingt ans sans fausse note, sans faillir, et que je suis toujours autant ravi d’arpenter à chaque nouvelle sortie.



This world is broken.
We do not offer you a fix.
We offer you a tribe.


Gilraen
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le 3 sept. 2020

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Gilraën

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