Surprenants Kings of Leon, ces graines d'outsiders qui s'affirment, à chaque nouvel album (celui-ci est leur quatrième), comme des clients de plus en plus sérieux. C'est d'autant plus déroutant que ces sales gamins qu'on prenait pour une bande de frustes rockers sudistes alternatifs (de Nashville, pour être précis) convainquent là où on les attendait le moins : sur disque. Les concerts des Kings of Leon ont souvent été décevants : on espérait une prestation débridée, une décharge sonique, on assistait à une performance introvertie, statique. Avec Only by the night, tout s'éclaire : Kings of Leon n'a plus grand-chose à voir avec le poisseux mais dynamique boogie de ses débuts (Molly's Chamber). Creusant plus encore le sillon du déjà intense Because the Times, les frères Followill ralentissent plus encore le tempo, calment les attaques de guitare -- mais rassurez-vous, elles n'en sont que plus acides et mordantes -- pour se recentrer autour du râle et des jappements douloureux de coyote blessé de Caleb, bluesman possédé (habité, sans nul doute, par les prêches tordus de son pasteur défroqué de père). On pense parfois à Jeffrey Lee Pierce car il y a clairement de plus en plus du Gun Club dans le rock fiévreux des Kings of Leon. Mais un Gun Club du terroir, moins cérébral, plus heavy, plus instinctif, plus primitif.HC


Il suffit de jeter un oeil sur les chiffres pour s’en convaincre : en comptant ce nouvel album, les Kings Of Leon auront sorti quatre disques en à peine cinq ans, soit 0,8 album par an pour les passionnés de statistiques. Pourtant, ils affichent la force tranquille et souveraine de ceux qui font ce qu’ils veulent, quand ils veulent – ce n’est sans doute pas un hasard si les initiales Kings Of Leon forment presque le mot “cool”. L’expression “it’s cool, man” revient d’ailleurs très souvent dans leur conversation, même quand ils s’adressent à une fille. Aujourd’hui âgés de 21 à 29 ans, les trois frères Followill, fils d’un pasteur pentecôtiste itinérant, et leur cousin Matthew ont débarqué en 2003, hirsutes et barbus pour faire plus vieux, avec un premier album précoce, marqué au fer rouge par leurs racines sudistes. C’est là qu’on a découvert le timbre si singulier de Caleb Followill, aussi égratigné que s’il avait déjà vécu neuf vies. Pour mesurer la métamorphose des Kings Of Leon, qu’on a vu s’épanouir au fil de ces années cruciales, on peut justement constater l’évolution de cette voix – autrefois dissimulée derrière des guitares vintage, grommelant des paroles impénétrables, mais aujourd’hui bien en avant, tranchante et enfin articulée. “J’ai toujours su que je pouvais chanter mieux, avoue Caleb. Mais je n’osais pas sortir de ma cage et me dévoiler autant. Après avoir écouté In Rainbows de Radiohead, je me suis rendu compte que ça n’enlèverait rien à la puissance des chansons, à leur impact. Alors je me suis lancé, et les autres aussi ont voulu donner le meilleur d’eux-mêmes.” Ils ont beau avoir pris confiance en eux, la superstition du clan Followill veut que, comme tous ses prédécesseurs, Only by the Night comporte dans son titre cinq syllabes, quitte à commettre un sacrilège : égratigner une ligne d’Edgar Allan Poe – le titre de l’album se réfère à l’une de ses poésies – en lui rajoutant un “the”. En plus de sa façon de chanter, Caleb Followill s’est vu contraint, par la force des choses, de changer sa façon d’écrire. Cloué chez lui à Nashville après une opération à l’épaule, suite à une bagarre a priori insignifiante entre frères, il avait reçu une interdiction formelle de jouer de la guitare pendant neuf mois. Il ne tiendra que trois jours. “J’étais impatient d’écrire ces chansons, donc j’ai enlevé mon plâtre. Je ne pouvais jouer qu’en bas du manche de ma guitare. Je restais assis sous mon porche à écouter Townes Van Zandt pendant des heures, avec une bouteille de whisky et un cahier. C’est quand l’ivresse me fait tout oublier que je suis le plus honnête avec moi-même. Le lendemain, je me réveillais et je me disais : “Où est mon pantalon ? Comment ma chaussure a-t-elle bien pu arriver dans l’aquarium ?”, et mon cahier était rempli de paroles très personnelles.” Pendant cette période de convalescence et de songwriting obstiné, Caleb Followill s’est gavé d’analgésiques, ces fameux painkillers censés tuer la douleur, et ça s’entend. Dans la lignée de Because of the Times, troisième album qui contractait les muscles et invitait à une descente aux enfers avec une discipline de fer, Only by the Night semble en apesanteur dès les premières notes de Closer, ses guitares électriques hésitant entre le flacon de vitriol et la pilule antidouleur. Endolori mais pas engourdi, ce quatrième album est fait maison, dans le cadre familier de Nashville. Il bénéficie de la production monumentale d’un tandem de confiance, Angelo Petraglia (élu cinquième membre du groupe) et Jacquire King, qui fait planer un voile obscur sur les compositions les plus bouillonnantes. Le résultat est à la hauteur des aspirations vertigineuses du groupe, et le public les suit les yeux fermés dans cette nouvelle direction plus sombre, plus lyrique, héroïque parfois. Car depuis Because of the Times, les Kings Of Leon sont partis à la conquête de nouveaux royaumes, dépassant de plusieurs longueurs le statut de simple phénomène de mode qui les poursuivait à leurs débuts. Là encore, ça s’entend sur Only by the Night, à travers ce son colossal, caverneux, que l’on imagine sans peine se réverbérer des tout premiers rangs jusqu’en haut des gradins – de la musique conçue pour les stades. En Grande-Bretagne, ils ont ainsi joué au sommet de l’affiche du Festival de Glastonbury en juin dernier, véritable consécration pour tout jeune groupe de rock ambitieux, et remplissent désormais les plus grandes salles, du moins en Europe, car leur succès aux States n’est pas si écrasant, l’identité complexe du groupe semblant peu comprise. “Quand on est à Nashville, explique Caleb, on reste entre nous parce qu’on n’a pas d’autres amis. On entre dans un bar et c’est rempli de chapeaux de cow-boys… On ne se sent pas du tout à notre place.” On peut alors se demander à quel endroit les Kings Of Leon se sentent vraiment à leur place. Peut-être à la rencontre de deux plaques tectoniques au milieu de l’Atlantique ? Car ils envisagent le stadium rock, maladie anglaise, sans jamais tourner le dos à leurs racines du Tennessee, mais sans avoir peur de bousculer les codes du genre. “J’aime le sud des Etats-Unis parce que j’y ai grandi et que j’y ai toujours vécu, et pourtant je ne me sens pas particulièrement sudiste”, dit Matthew. Conscient du paradoxe, Caleb conclut : “Nos maisons, nos vêtements ou nos modes de vie ne sont pas typiquement de Nashville, mais plutôt européens. Quand on voyage à travers le monde, certains se moquent de nous simplement parce que nous sommes américains, à cause d’un président pour qui aucun d’entre nous n’a voté. On ne peut pas changer son lieu de naissance. Et on ne peut pas s’empêcher d’avoir de l’affection pour l’endroit où on a grandi.”(Inrocks)
Médicaments contre la douleur, drogues, dépression post-tournées, désert glacial, flingues déjà armés...” On ne rigole pas énormément tout au long des 11 titres formant le tracklisting de ce quatrième album des Kings Of Leon. Les allures de jeunes rednecks moustachus et fiévreux du Tennessee ont disparu. Dissous dans l’air. Les trois frères Caleb, Nathan, Jared Followill et leur cousin Matthew, formant le personnel de ce quatuor, ont désormais l’air plié en deux puis animé d’un cafard permanent, hypersensibles, effrayés à l’idée de s’enfoncer dans la pénombre. A ses débuts, le rock de cette formation était basé sur une idée toute simple : injecter de la testostérone et de la ruralité aux quatre accords remis au goût du jour par les New-Yorkais de The Strokes. La virilité des enfants de prêcheurs du Tennessee comme antidote à la bohème bourgeoise des fils de famille, voyous des beaux quartiers de Brooklyn. Et puis un jour, les Kings Of Leon ont connu la descente : dépendance à la drogue, au sexe facile en tournée, corps et esprit qui ne répondent plus présent en même temps, dégoût de soi. C’est cette surdose de rock’n’roll way of life qui a donné toute sa force au très bon précédent album “Because Of The Times” (2007). Un disque déjà plus influencé par Pixies et Joy Division que par le rock sudiste. La plongée en territoire dark se poursuit pleinement sur “Only By Night”. Dans le décor gothique où tout n’est qu’épines, écorchures, maux en tout genre, la voix plaintive de Caleb Followill réussit à faire office de flamme de bougie vacillante. Dès l’ouverture, sur “Closer”, les guitares sont engourdies, les rythmiques de basse et de batterie comme plongées dans un demi-sommeil sous morphine. Reminiscences de new wave somnambule à la Cure ou Smashing Pumpkins période “Adore” . Plus loin, “Crawl” glace également les sangs comme du Marilyn Manson débarrassé de son gras et de son maquillage outrancier. “Sex On Fire” , s’il a l’apparence mélodique aimable des singles envoyés en éclaireur, ressemble tout de même plus à la viande froide du “Ceremony” de New Order qu’à n’importe quelle horreur signée Jet ou The Killers. “Use Somebody” réactive le rock FM de Journey mais en version années 00. Dans ces moments où il flirte avec le pathos de U2, Kings Of Leon ressemble à un cousin américain de Coldplay, actuellement meilleure machine à exporter de la mélancolie dans les stades. Pour le plus grand nombre, “Only By Night” sera qualifié de country cold wave. On en référera à Joy Division, The Cure et surtout aux grands oubliés du début des années 90, Afghan Whigs. Les blocs de nerfs froids de “Be Somebody” et “Cold Desert” (meilleurs morceaux de l’album) vont dans ce sens. Mais surtout il y a dans ce quatrième opus des Kings Of Leon le même genre d’ambition esthétique qu’on a connue à travers les meilleures séries HBO (“The Sopranos” , “Six Feet Under”). Et si on faisait du sombre et du psychologique avec les armes de l’entertainment ? (rock n folk)
Onze ans après la sortie d'"OK Computer", rendons-nous à l'évidence : Radiohead n'a pas ouvert l'immense brèche expérimentale que l'on espérait et, plus regrettable, n'a pas réellement été une locomotive indé comme le furent certains groupes américains dans les années 80. Certes, le groupe d'Oxford a permis à l'industrie de sortir plus rapidement du grunge, et probablement désinhibé nombre de jeunes groupes avides de sentiers non battus. Radiohead n'a ainsi pas tant servi de modèle que de nouvel horizon. Le désir d'introspection, d'une musique à hauteur d'homme en même temps qu'extrêmement figurative symbolisée par "Kid A" et "Amnesiac", est probablement encore trop marginal pour qu'une véritable vague se lève et emporte les vieilles baraques au naufrage. Peu après surgiront ainsi nombre de groupes dont la trajectoire ira presque à sens contraire : production massive, morceaux taillés pour les stades, mélodies et riffs aguichants, et étrangement, comme s'ils sentaient vaguement le besoin de défricher quelques mottes de terres, quelques expérimentations se terminant en bas de fosse, égarées par le mauvais goût, tels Bloc Party ou The Killers. D'autres semblent lorgner du côté de la grosse artillerie tout en gardant les pieds au sol, ainsi Editors ou TV On The Radio. Enfin, quelques groupes saccagent une vraie qualité d'écriture par un traitement pour le moins problématique. Tels les Kings of Leon avec ce nouvel album. "Only By The Night" débute pourtant de belle manière avec un titre intelligent, à l'ambiance louche, "Closer", habité, semblant être la partition musicale des tourments mentaux du narrateur, une partie de guitare et de synthé maladif pris dans un mouvement de balancier, comme deux corps se désirant mais que quelque chose repousse. On comprend rapidement en écoutant l'efficace et peu original "Use Somebody" et plus encore le truculent single, "Sex on Fire", que l'album tourne autour des questions de la soumission, de la manipulation, du mensonge, des secrets, de la relation des corps aux autres, excercice d'équilibriste sur lequel même R.E.M. s'est cassé quelques dents avec le pourtant sous-estimé "Monster". Il s'agit donc de traiter ces thèmes avec intelligence et de réellement soumettre l'auditeur à la nocivité, le rendre à tout de rôle proie et chasseur. Or, "Only By The Night" demeure gentil, consensuel, sentant à peine le soufre... on est très loin du jeu de masques d'un "I Took Your Name" ou des errements masochistes de "Binky the Doormat". Tout cela manque d'envergure.Là résident son paradoxe et certainement la cause profonde d'un tel massacre : Kings Of Leon, en désirant traiter des thèmes intimes, nécessitant une bonne dose d'introspection et une séance d'autopsie psychologique, a préféré ouvrir les vannes, se faire abordable, au tapin. On voit certes très bien où ils voulaient en venir : un son empoisonné, une machinerie heavy comme un poids dont on n'arriverait à se débarasser, une narration où les protagonistes forment leur propre morale, définissent des rapports humains qui leurs sont propres et finissent par perdre la clarté de leurs contours. Cela aurait pu très bien tourner. Malheureusement, "Only By The Night" demeure inoffensif, superficiel, comme terrorisé par les interrogations que les personnages, à travers la musique, se posent et nous suscitent. Et au lieu de se rapprocher du point sensible, la musique s'éloigne sourdement, se laissant dominer, et avaler, tournant en boucle sans parvenir à s'échapper. Etrangement, au bout du compte, on se demanderait presque si cet échec de représentation, cette fuite, n'est pas une nécessité théorique en même temps qu'une déception musicale. "Only By The Night" est avant tout le symptome d'une déviance. Intéressant en tant qu'objet, il se perd sur ses propres traces en tant que sujet. A chacun de se positionner, maintenant.(Popnews)
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le 3 avr. 2022

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