Nuit
6.9
Nuit

Album de Jazzy Bazz (2018)

Le Melody Nelson d’aujourd’hui. Trop facile ? Oui, sans doute. « Trop facile » diront certains, de faire une telle comparaison.


Les mélomanes sclérosés dans leur âge d’or, celui d’une jeunesse des années 70, vont bondir au plafond avec cette comparaison faite entre un chef-d’œuvre de la chanson française ( et pas que ) et le dernier album d’un rappeur.


Pourtant, à travers l’histoire de la musique subsiste des tunnels rapprochant sensiblement la démarche d’un artiste d’antan à celle d’un artiste d’aujourd’hui.


Gainsbourg, à son époque, avait très bien compris la domination des productions pop-rock anglo-saxonnes. Il s’en inspira fortement pour nous livrer un album de chanson française parsemé de guitares renversantes, de grandes orchestrations et de batteries aux rythmes syncopés.


En clair, l’on s’inspire des avancées techniques et musicales rocknrolliennes d’outre-Manche pour donner encore plus de profondeur et de pertinence aux mots pernicieux d’une langue rimbaldienne que manie ici parfaitement Serge.


Gainsbourg a tellement bien réussi son coup que le cours de l’histoire s’est inversé et c’est désormais son œuvre qui inspire les jeunes anglais, comme ceux de The Last Shadow Puppets.


Mais où est Jazzy Bazz dans tout ça ?


Eh bien, l’homme de l’Est parisien se fait avec Nuit, son deuxième album, le digne héritier d’un poète maudit duquel la France reste encore et toujours sous le charme.


Et pour cause, dans une interview Jazzy Bazz explique s’inspirer, pour cet album en particulier, de ses modèles américains avant tout pour leur mentalité et non pour leur musique en elle-même.


Accompagné de ses talentueux amis et producteurs Monomite et Loubenski, il ajoute souhaiter donner une couleur française à sa musique et non pas bêtement recopier les modes des États-Unis.


Les deux producteurs cités sont importants car présents sur l’ensemble du projet, ce qui crée une cohésion, d’autant plus que le choix de travailler avec des sons organiques leur permet de jouer tel un vrai groupe sur scène. Ce travail commun permet donc de donner une cohérence à l’album et de l’inscrire plus facilement dans une thématique donnée, celle de la nuit.


Qui dit thématique dit autre point commun avec Melody Nelson même si, il est vrai, Jazzy Bazz s’attarde davantage à nous dépeindre différentes facettes d’un même tableau qu’à déployer un fil narratif, une histoire, que l’on suit tout au long de l’album comme le fait Serge.


Le Bazz nous invite donc à regarder par la fenêtre avec lui sur les dérives et délices de la nuit parisienne. Qu’en est-il ?


Après un crépuscule langoureux, la nuit débute et nous arrache à la monotonie du jour. C’est le temps des espérances, de la frivolité, l’on souhaite la nuit pleine de tumulte pour nous délivrer.


Nous délivrer, oui mais de quoi ?


« J’ai délaissé le bleu du ciel pour le blues de la nuit. » Cette ligne n’est pas dans l’album mais peut le résumer assez bien. Jazzy Bazz se confie. Il nous renvoie à nos interrogations dans une nuit que l’on pense sans fin, mêle subtilement déboires sentimentaux et déambulations nocturnes aux préoccupations beaucoup plus primaires, ou encore aborde notre irrémédiable nostalgie d’une enfance bénie.


Cohérence oblige, le rappeur du 19e tient jusqu’au bout son propos. L’album se clôt sur les premières notes de l’album. La boucle est bouclée, le jour reprend ses droits mais les amoureux de la nuit le survoleront pour tenter de vivre plus vite, plus fort, encore, une fois la nuit revenue.


« J’ai toujours vu ce comportement comme une anomalie mais je crois que je suis prêt pour la monogamie ». Il faut attendre Cinq heures du matin pour qu’un « rayon solaire offert en aparté » se dessine sur notre chemin de vie, notre route parisienne.


« L’amour c’est bon » nous dit le Bazz, sourire aux lèvres, dans un reportage. Et elle est là la délivrance, du moins celle que l’on espère toujours un peu naïvement. Nous délivrer d’un morne quotidien dans lequel l’on s’embourbe jour après jour pour en construire un autre, à deux ? Peut-être...

Chichilianne
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le 6 mai 2020

Critique lue 310 fois

Chichilianne

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