No Gods No Masters
6
No Gods No Masters

Album de Garbage (2021)

On n’a jamais personnellement donné cher de la peau de Garbage, une sorte de concept compliqué et assez artificiel imaginé par Butch Vig, le producteur inspiré des années 90 qui avait vu la possibilité d’imposer un punk-rock électronique aux kids, en jouant sur la sensualité un tantinet vénéneuse de la chanteuse Shirley Manson. Le succès commercial de Garbage a pu parfois paraître disproportionné par rapport à une proposition somme toute plus conventionnelle qu’il ne paraissait de prime abord, et le groupe sombra progressivement, sinon dans l’oubli, mais au moins dans une certaine « insignifiance » : des albums agréables, parfois même partiellement excitants, mais qu’on avait du mal à mémoriser, ou tout au moins à trouver attachants.


Cinq ans de silence ont désormais été rompus avec cet album composé et interprété en grande partie « à distance », pendant les périodes de confinement de la dernière année et demie, et c’est vraiment une bonne nouvelle : moins compliqué, moins tourmenté que les précédents disques du groupe, "No Gods no Masters" arbore la fierté de son titre belliqueux à tendance anarchiste, à une époque où toute déclaration d’intention un peu bruyante est normalement accueillie avec une volée de bois vert.


A priori, "No Gods No Masters" ne marque pas de virage particulier par rapport au son électro-punk de Garbage, un son désormais joliment daté années 80-90 : l’actualité du groupe est plutôt à chercher du côté « commentaire social », logiquement provoqué par la confusion politique de la pandémie, un sujet en or pour un groupe qui n’a pas peur de la provocation. « The men who rule the world / Have made a fucking mess / The history of power / The worship of success / The king is in the counting house / He’s chairman of the board / The women who crowd the courtrooms / All accused of being whores » (Les hommes qui gouvernent le monde / Ont fait un putain de gâchis / L’histoire du pouvoir / Le culte du succès / Le roi est dans le bureau des comptables / Il est président du conseil d’administration / Les femmes qui encombrent les salles d’audience / Toutes accusées d’être des putes) sont les premiers mots de l’album, et indiquent clairement que, ici, on va appeler un chat un chat ! Plus loin, dans "Waiting for God", Shirley Manson chante : « We’re keeping our fingers crossed / Smiling at fireworks that light all our skies up / While black boys get shot in the back / Were they caught riding their bike? / Or guilty of walking alone? / I can’t seem to make sense of all of this madness » (On croise les doigts / On sourit aux feux d’artifice qui illuminent le ciel / Pendant que des garçons noirs se font tirer dans le dos / Ont-ils été surpris en train de faire du vélo ? / Etaient-ils coupables de marcher seuls ? / Je n’arrive pas à comprendre toute cette folie), confirmant que la frustration et la combativité politique sont les moteurs principaux de "No Gods No Masters"… Ce qui ne veut pas dire, néanmoins, que l’introspection volontiers dramatique d’autrefois ait disparu, comme en témoignent des titres comme "The Creeps" ou "Uncomfortably Me"… Sur "Wolves", on pet même lire entre les lignes une sorte de semi-aveux quant aux provocations des débuts de Shirley : « We were sad and we loved attention / We were scared and we loved attention / Our kind of God is a Crazy Kind of God » (Nous étions tristes et nous aimions attirer l’attention / Nous avions peur et nous aimions attirer l’attention / Notre genre de Dieu est un Dieu fou…)


L’intelligence de ce septième album est de conjuguer habilement sa virulence thématique avec une vraie clarté pop, qui fait la différence avec bon nombre de ceux qui l’ont précédé. Comme souvent, l’équilibre du disque repose sur le vieux principe d’alternance entre des chansons plus speed, plus construites sur l’excitation, et d’autres plus sombres, plus profondes aussi (comme le majestueux "Waiting for God"). "A Woman Destroyed", avec son final lyrique, presque cinématographique et très efficace, est également un morceau complexe qui montre que Garbage sait désormais explorer des musiques plus riches que la “simple” pop song électrique / électronique.


"This City Will Kill You" offre un final ample et presque romantique qui place clairement "No Gods No Masters" parmi les meilleures choses que Garbage nous ait offerte depuis leurs débuts. Plus direct, moins tourmenté, moins théâtral sans doute, voilà un disque qui s’avère plus dans l’esprit de l’extrême vitalité des années 70 que dans la confusion des années 90.
Et c’est une très bonne nouvelle !


PS : certaines versions de "No Gods No Masters" proposent un second disque en bonus, qui est une compilation de 8 titres rares mais déjà publiés, incluant des collaborations avec des gens aussi intéressants que Brody Dalle ou John Doe & Exene de X. S’ouvrant sur le single lyrique "No Horses" en forme de « slowburn », il offre en outre des covers assez excitantes, comme une version de l’immense "Starman" de Bowie (dont le grand intérêt est de raccrocher la démarche du « Garbage 2021 » à un héritage "Ziggy Stardust" qui n’a jamais cessé d’être pertinent) ou une reprise puissante de "Because the Night", l’incontournable hymne de Patti Smith / Bruce Springsteen. Mais c’est sans doute "Destroying Angels", enrichi par le chant « americana-traditionnel » du couple de X, tout simplement magnifique, qui marque le plus, parce qu’il s’agit l’une des chansons ici qui s’éloigne le plus franchement de la formule Garbage.


[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/06/19/no-gods-no-masters-le-retour-en-forme-de-garbage/

EricDebarnot
7
Écrit par

Créée

le 18 juin 2021

Critique lue 373 fois

8 j'aime

5 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 373 fois

8
5

D'autres avis sur No Gods No Masters

No Gods No Masters
the_stone
7

Oh my God!

Encore un groupe que je découvre sur le tard. En effet, mis à part Stupid Girl, je ne connaissais rien de GARBAGE dont la musique ne m’attirait pas beaucoup. No Gods No Masters est parvenu à mes...

le 14 juil. 2021

1 j'aime

No Gods No Masters
ManimalRitchards
7

Retour en forme

Voilà un groupe que je suis avec plaisir depuis leur premier album. Dans le style pop electro énervé j’ai toujours apprécié chez eux quelques bonnes mélodies et un sens de l’arrangement quelque peu...

le 22 juil. 2021

No Gods No Masters
GuillaumeL666
6

Stuck inside my head

En 2021, Garbage est de retour. La voix de la chanteuse est toujours très belle, l'équilibre entre électro et rock est bien géré, il faut bien dire que la production est tout simplement impeccable...

le 27 juin 2023

2

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

105

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

187 j'aime

25