Never for Ever
7.8
Never for Ever

Album de Kate Bush (1980)

En comparaison de son album précédent, Never for ever fait figure de pas de géant et préfigure le contrôle total de l'artiste sur son image et son Art.


A nouveau la pochette donne le ton.
Si Lionheart participait d'un fantasme envers une imagerie de l'enfance, Never for ever semble ouvertement témoigner de la liberté d'une petite qui devient grande. A l'image, une Kate qui croise les mains derrière la tête ("et hop, sans les mains !"), et donnant naissance (littéralement !) à un bestiaire de notes et d'animaux parfois complètement fantastiques. Si la dimension érotique de la musique de Kate Bush pouvait apparaître à certains passages dans les textes, le doute n'est dès lors plus permis. Inutile d'en faire plus, la musique (arrangements ou voix) aurait pu sortir de sa bouche, voire de son crâne (pour reprendre l'image d'Athéna qui sort du crâne de Zeus, déjà vêtue de son bouclier et son glaive suite à l'entaillage bourrin qu'Héphaïstos y fit vu que le maître des dieux se plaignait de souffrir de maux de tête) mais non, elle provient bien d'un autre endroit. Et dire que les chinois considéraient en des temps anciens que le ventre était le centre de l'intelligence...


Je suis songeur. Troublant (mais je vois bien que je me répète).


Au verso du vinyle et du CD, une autre surprise qui prolonge l'ambiance de ce disque et de sa pochette : un montage d'une Kate qui vole comme une chauve souris avec une robe et une grimace toute folle quand ce n'est pas un air plus prédateur. Kate a commencé sa mue, elle est devenue sorcière et vient vous hanter au crépuscule (la lune apparaît dans le ciel mais le jour n'en finit pas de disparaître au loin).


Et sur le plan musical ?


Never for ever sort au cours d'une période un peu spéciale et inaugure pleinement l'âge d'or de Kate Bush : les années 80. Juste après Lionheart, la jeune artiste se lance dans une tournée, l'unique qu'elle fera de sa vie jusqu'à un point récent dernièrement (la tournée "before the dawn"). Mais les choses ne se déroulent pas comme prévu, Kate ne supporte pas les confrontations avec le public, un éclairagiste meurt lors d'un des premiers concerts, les retombées financières sont désastreuses et Kate se livre plus que corps et âme à travers ses performances, ce qui la laisse complètement épuisée. Il semble que la chanteuse se soit faite la promesse de ne plus jamais faire de concert alors puisque par la suite elle n'est plus trop apparue sur scène malgré quelques rares apparitions publiques.


Mais il en faut plus pour décourager l'artiste qui monte et Never for ever est clairement l'album qui va casser la baraque, ouvrant une ère passionnante entre disques certes "commerciaux" (notez que je mets les guillemets) mais aussi expérimentaux. Le second servant d'ailleurs ouvertement le premier et ce qu'on pouvait prévoir sur Lionheart se vérifie ouvertement ici avec un vrai panache (pendant l'enregistrement, Kate Bush va expérimenter plein d'instruments avec l'aide et les conseils de Peter Gabriel qui devient en quelque sorte un ami et conseiller). L'album instaure une tension et un style qui ne faiblit pratiquement pas (la production est superbe, bien loin des travers synthétiques des années 80 et dans lesquels Kate a manqué presque de tomber d'ailleurs) avec d'emblée un Babooshka comme première piste (et single) qui va la faire grimper en haut des charts britanniques d'un coup. Plus jeune, le matraquage de ce morceau dans certaines compiles m'avait un peu pompé et je ne l'avais plus réécouté depuis un moment. Quand je me suis pris le disque, gros choc, je découvrais à nouveau ce titre explosif. Même si il y a du rock bien plus violent alors, on remarque que Kate a su mixer la pop toute douce de ses débuts avec un versant plus abrasif (et encore, le meilleur à ce stade est encore à venir), quitte à insérer ses expérimentations (bruits de verre brisé sur le refrain et sur le final --avec bruits d'horloge furtifs, choeurs masculins). Il y a clairement une image cinématographique qui prend forme ici par le biais du son.


Delius et Blown Away sont plus dans la lignée des chansons réconfortantes de Kate Bush et ce n'est nullement péjoratif tant le soin apporté en font des morceaux remarquables. Des pauses avant des titres plus aventureux en quelque sorte car All we ever look for et Egypt essaient plus de créer une ambiance étrange, entre musique de film et ambiant. Si cela ne marche pas forcément avec le premier (même si je salue l'interruption de la musique par des bruits de pas, de portes qui claquent qui continuent encore aujourd'hui de surprendre par la mise en abîme provoquée), il y a quelque chose de fascinant sur le second titre. Percussions lourdes, bruit de cordes effleurées, voix fantômatiques. On a l'impression qu'avec presque rien, la chanteuse crée une ambiance et pourtant indiscutablement il y a une science mélodique à l'oeuvre assez importante et l'on se trouve presque les jambes écartées entre pop crépusculaire et musique du monde.


The wedding list, plus rock nous permet de nous reposer. La mélodie est aiguichante en diable et savoureuse comme un bon fondant au chocolat, impossible d'y résister (sauf si l'on est allergique au chocolat, ce qui est dommage). Avec ça le matin, on pète la forme. Dans une des rares performances en live qu'elle en fit, c'est plutôt la ficelle de son haut qui se pète, ce dont elle s'en aperçoit en direct mais continue avec le sourire (je sens d'ailleurs que l'incident doit plus la faire marrer au fond qu'autre chose), une main plaquée sur le sein pour retenir le vêtement traître de tomber, et ce, sans s'arrêter. Chapeau Kate.


Violin sonne plus dissonnante, plus violente mais je ne peux pas dire que ce soit une totale réussite. The infant kiss est un petit moment de communion au piano comme sur un peu tous les albums. Enfin Night Scented Stock, très court est une petite expérimentation à base de voix (là aussi on peut se dire que Kate bidouille un peu mais n'ose pas encore pousser plus. Elle garde des idées en réserve pour la suite) qui montent et annoncent les deux morceaux cultes du disque, les fabuleux Army dreamers et Breathing.


Army dreamers (ah ah ce clip ! Clignements de paupières ! voir en lien : https://www.youtube.com/watch?v=QOZDKlpybZE ) est une brillante chanson pop emmenée par une guitare accoustique rêveuse tandis que des bruits d'hommes et du violon font le fond de la musique. Celle-ci s'arrête et reprend souvent à l'image d'une marche militaire (un tempo de valse en fait). Loin d'être une apologie de la guerre, c'est surtout une chanson qui démontre que cette dernière n'épargne personne et décrit l'histoire d'un jeune homme qui finit par s'y engager faute de moyens et de notoriété (...What could he do ? Should have been a rock star... but he didn't have the money for a guitar. What could he do ? Should have been a politician... but he never had a proper education. What could he do ? Should have been a father... But he didn't even make it to his twenties. What a waste, army dreamers....). Même si je trouve le clip un peu kitsch, il est éloquant dans ce qu'il montre avec cette image d'une Kate-mère qui veut se précipiter vers un ptiot en uniforme pour le protéger (vers 2 mn 20) mais ne rencontre à chaque fois qu'un arbre.


Enfin Breathing, tout de noir, une autre perle. Quand on voit le clip (hop : https://www.youtube.com/watch?v=VzlofSthVwc ), il confirme l'impression d'étouffement que la musique pouvait me procurer avant son final qui sonne comme une délivrance. Cela pourrait être une chanson banale mais les paroles témoignent de quelque chose et alors qu'on pourrait couper le clip ou le titre à 3 mn, Kate fait durer la chanson, le malaise s'installe (le clip finalement même s'il a un peu vieilli retranscrit très bien ça), on entend des voix au loin comme si une expérience se déroulait en direct et que nous en faisions partie.... Avant que la voix ne ressurgisse, brusque --Oooh please, let me breathe !--, bouleversante avant le final qui se clôt sur une ultime note de basse (plus profonde sur disque qu'en vidéo). Une véritable expérience visiblement conservée dans le clip pour l'un des morceaux les plus surprenants (même, c'est un coup de génie de jouer sur un titre au potentiel commercial mais d'en faire quelque chose qui n'en est pas vraiment) de sa carrière.


Presque parfait, Never for ever marque l'ascension de Kate Bush vers une décennie dorée. Une reconnaissance plus que méritée et un disque qui consolide pleinement sa place en tant que reine magistrale de la pop.


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Nio_Lynes
9
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le 4 avr. 2018

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