Neon Bible
7.4
Neon Bible

Album de Arcade Fire (2007)

A-t-on déjà entendu groupe plus incandescent ? Si leur premier effort, Funeral (2004), était une torche affective mémorable lancée avec bonté au visage d'un auditeur abasourdi par une telle ardeur, Neon Bible poursuit l'oeuvre sentimentalo-pyromane et démontre que les flammes n'en ont pas fini de dévorer le coeur d'Arcade Fire. Dès l'ouverture, le tourmenté Black Mirror reflète cette même noirceur incendiaire, cette même emphase désespérée, cette même propension fascinante à théâtraliser les émotions avec une conviction invincible, autant d'attributs qui firent de Funeral l'un des paroxysmes musicaux de ce début de siècle. Et si, immédiatement après, le trop buté Keep The Car Running déçoit quelque peu, la chanson-titre, comptine funeste chuchotée et dénudée, ensorcelle par une mélodie limpide faussement lénifiante qui réveille la rage en feignant d'apaiser les peines. Il s'agira là d'un dernier répit avant que la fièvre hémorragique n'étreigne définitivement un songwriting éblouissant à la puissance babylonienne, comme cet Intervention, dont l'orgue introductif à la religiosité ampoulée sert d'estrade dantesque à un tourbillon de choeurs diluviens. Le diptyque d'anthologie Black Wave/Bad Vibrations voit Régine Chassagne déflorer une première partie chantonnante avant que Win Butler ne laisse fulminer sa fureur, mâchoire serrée et vindicte acérée, sur fond d'apocalypse harmonique. Un tsunami sonique tragique qui fait d'abord trembler la Terre avant d'en appeler au déluge final. Terriblement impressionnant, le chant de Butler interpelle alors, lui qui semble prêt à inquiéter jusqu'à la mort tant son envie d'en découdre paraît inextinguible. Tel un prédicateur enfiévré et possédé par les pires démons, Win Butler joue sa vie sur chaque intonation et manoeuvre Arcade Fire comme s'il dirigeait une fanfare des ténèbres engagée par les hommes pour égayer la fin des temps et sublimer leur déliquescence, tel l'orchestre du Titanic s'ingéniant à jouer en plein naufrage. Et il y arrive avec une grâce enflammée incomparable sur l'effervescent (Antichrist Television Blues), (quasi) rock'n'roll endiablé sur lequel le Canadien suinte la même sensualité animale qu'Elvis Presley lors des Sun Sessions primitives (si, si). La ressemblance est d'autant plus frappante sur le progressif My Body Is A Cage, qui débute comme une confession décharnée avant de se terminer en pleine communion rédemptrice, orgue, violons, alto et tout l'attirail orchestral habituel du groupe étant là encore de sortie. Avant ce final poignant, Windowsill et No Cars Go (nouvelle version d'une chanson déjà présente sur un vieil Ep sept titres, on laissera les pisse-vinaigre snobinards crier à la facilité dans leur coin) auront fini de rendre Neon Bible (au moins) aussi indispensable que son prédécesseur. Deux compositions faramineuses au lyrisme aveuglant, d'une indicible intensité. Simplement impossible à décrire tant leur force émotionnelle terrasse tous les superlatifs existants. Arcade Fire est bel et bien une formation unique au pouvoir d'évocation admirable, capable de rendre la grandiloquence pertinente et explosive par la grâce de son seul talent d'écriture et par l'entremise d'une souplesse instrumentale affolante. Le bouillonnement sonore que nous donne à entendre ce disque est tel que chaque membre paraît se consumer en jouant. Comme si, d'un commun accord, ils avaient tous décidés de tenter le diable et de griller l'enfer en brûlant leur âme par leurs propres moyens. Par leur simple musique.


On attendait fébrilement le retour d’Arcade Fire en n’écoutant pas les oiseaux de mauvais augure qui évoquaient la fin de l’état de grâce qui portait le groupe depuis Funeral. Plutôt que de travailler à devenir U2 (ce qu’on avait pu craindre légitimement après une reprise assez calamiteuse de Love Will Tear Us Apart de Joy Division partagée l’an passé avec la bande à Bono), Arcade Fire a préféré prendre le large, se retirer une année entière à Montréal pour y polir son indépendance, à l’abri du monde. C’est dans une église transformée en studio d’enregistrement et baptisée The Church que le groupe a travaillé tout au long de 2006 sur Neon Bible. Une église dont les portes ne se sont ouvertes qu’à de très rares reprises, et pour ne laisser pénétrer qu’une poignée d’amis (Owen Pallett, le génie discret de Final Fantasy, ou Hadji Bakara des excellents Wolf Parade), simplement la famille (la maman de Win Butler, qui est venue jouer de la harpe), ou quelques rares invités triés sur le volet (Bob Johnston, mythique producteur de Dylan et Cohen, ou deux trompettistes de Calexico). Puis le groupe est parti à Budapest pour enregistrer en compagnie du fils d’Arvo Pärt les chœurs et cordes qui manquaient à la chair du disque. Neon Bible se révèle dès la première écoute nettement plus âpre que son prédécesseur, dispensant lumière et énergie avec beaucoup plus de parcimonie. Là où Funeral se recevait en pleine poire, en plein cœur, Neon Bible va lui tout simplement se chercher. A l’exception d’Intervention, hit semi-biblique, ce nouvel Arcade Fire regorge en effet de titres à double détente comme Black Mirror, Ocean of Noise ou encore l’intrigant Black Wave/Bad Vibrations. Là où Neon Bible pourrait pourtant rejoindre Funeral, c’est lorsqu’il ne laisse entrevoir jalousement son paroxysme que sur la fin. D’abord, il y a l’évident et joyeux The Well and the Lighthouse, puis (Antichrist Television Blues) sous influence springsteenienne inconsciente, suivi de Windowsill sur lequel Butler martèle un “I don’t wanna live in America no more” lourd de sens. On y retrouve aussi le classique scénique No Cars Go, réenregistré pour transcender son énergie adolescente et en faire un morceau que Bowie aurait rêver d’écrire pour les kids de la terre entière. Pour finir, My Body Is a Cage, qui termine dorénavant les concerts du groupe, met à nu tout le talent de songwriter de Win Butler. D’une humilité presque larguée, il est l’antirock-star absolue, à contre-courant de son statut auprès de toute une génération de groupes romantiques et lyriques. Arcade Fire est ainsi devenu une influence universelle et revendiquée : ceux qui n’y voyaient qu’un feu de paille devront s’habituer à ce grand incendie.(Inrocks)
Voilà donc l'album le plus attendu de ce premier trimestre, un album qui débarque avec son inévitable cortège d'admirateurs déjà conquis sans en avoir entendu la moindre note, de détracteurs avides de "défaire" l'engouement qui s'est noué autour du groupe il y a deux ou trois ans, et entre les deux tous ceux qui vont sortir la règle à calcul musicale afin de déterminer si Neon bible est un successeur honorable, formidable, potable, exécrable... de Funeral. Au-delà des jugements que l'on sera amené à porter, il apparaît d'emblée que le groupe a une longueur d'avance sur ses fans et auditeurs potentiels, qu'ils ne se sont pas retournés pour écrire et enregistrer cet album, qu'ils sont passés à autre chose. Mais pas de méprise : ils n'ont pas tourné le dos à Funeral, ne se sont pas employés à faire quelque chose de radicalement différent, ils ont simplement donné vie à ce qu'ils voulaient faire sur ce disque, sans se créer de contingences, et ça s'entend. Le groupe laisse entrer son goût pour la musique des grands espaces dans ses compositions. Cela donne des morceaux comme Keep The Car Running, Antichrist Television Blues, marqués par le folk et la country américaine, des styles que le groupe s'approprie en toute délicatesse et légèreté, comme une évidence, grace à sa musicalité aérienne et à la voix profonde de Win Butler, très à l'aise dans ce registre. On notera ensuite que le blues colle à cet album du début à la fin, mais se trouve ici transcendé par un lyrisme de haute volée. Ainsi Ocean of Noise, Window Sill ou encore My Body Is A Cage sont autant de ballades qui impressionnent par leur beauté mélodique, mais plus encore par leurs dynamiques qui font partir dans des sphères rarement atteintes des morceaux qui, même s'ils avaient été plus simples, auraient déjà mérité bien des louanges. On pourra également noter à cet égard Black Wave / Bad Vibrations, qui démarre comme une chanson pop légère et presque naïve pour se transformer à mi-parcours en hymne profond, Régine Chassagne, presque mutine, se réservant le chant sur la première moitié, Win Butler prenant ensuite le relais avec gravité avant que leurs deux voix se mêlent sur le final. Enfin, le groupe a voulu faire ce disque entièrement à son idée, sans se faire assister à la production. On pourra toujours pinailler sur le fait que l'orgue d'Intervention aurait pu être retouché ou la voix de Win Butler mise plus en avant sur certains morceaux, mais cela donne surtout l'assurance que ce disque est entièrement fidèle à leurs idées, et c'est essentiel. Les cordes de Black Mirror ou la nouvelle version de No Cars Go sont les meilleurs ambassadeurs de l'ambition du groupe. On n'aura pas envie de parler de confirmation, mais on dira plutôt qu'Arcade fire nous livre une oeuvre forte, généreuse, à la fois sombre et lumineuse, exécutée par un groupe conscient de ses racines et de ses spécificités. Un grand disque tout simplement. (indiepoprock)
bisca
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le 26 févr. 2022

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