Nashville Skyline
7.3
Nashville Skyline

Album de Bob Dylan (1969)

Le 9 avril 1969, quelques mois avant que l’homme ne marche sur la lune, Dylan lui marche sur la tête en publiant un album country à mille lieues des œuvres qui ont fait sa fortune et sa réputation. Sur Nashville Skyline on ne retrouve rien, mais absolument rien de ce qui fait la personnalité de l’artiste Bob Dylan. Les chansons sont à la fois courtes (le disque ne dure que 27 minutes) et très simples, loin, très loin, des envolées surréalistes de la trilogie électrique.


La voix de Dylan est, elle aussi, complètement méconnaissable. Le chanteur au timbre éraillé fait place au crooner susurrant des mélodies suaves dans lesquelles on ne retrouve aucune trace des ruptures mélodiques qui ont fait son succès jusqu’alors.


Évidemment, l’objet divise les fans et aujourd’hui encore beaucoup considèrent ce disque comme un sympathique ovni dans une discographie aux exigences artistiques autrement plus affirmées. Mais si la transformation est radicale, elle n’est pas sans sens. En 1968 Dylan est fatigué de son statut d’icône dans une Amérique qui se cherche perpétuellement des héros. Malgré son déménagement à Woodstock, les fans le harcèlent. Ils fouillent ses poubelles, et iront même jusqu’à organiser un festival sur son paillasson pour le pousser à sortir de sa retraite scénique. Dylan n’est pas dégoûté de la musique mais il est écœuré par la déification dont il est l’objet. À cette période de sa vie, il en arrive à souhaiter que Bob Dylan n’ait jamais existé. Alors, c’est exactement ce qu’il va faire. Enregistrer un disque dans lequel Bob Dylan n’existe pas ! La déconstruction du mythe est en marche et elle atteindra son apogée sur l’album suivant, le fameux Self Portrait.


Mais contrairement à Self Portrait, Nashville Skyline est l’album d’un artiste sincèrement amoureux de la musique qu’il est en train de jouer. À partir de 1966 et de son retrait de la scène rock, Bob Dylan va très vite se rapprocher de Johnny Cash et de nombreux artistes de la scène country. Il trouve avec eux un nouvel équilibre dans sa vie familiale et son hygiène de vie va également grandement s’améliorer. Il décroche de la dope et arrête même de fumer. Musicalement il revient à plus de simplicité au contact de ces artistes qui, pour la plupart, pourraient être son père.


Lorsque le moment est venu d’enregistrer un nouvel album, il va naturellement trouver son inspiration dans cette scène musicale. Les sessions démarrent au mois de février 1969 et se déroulent selon Dylan de façon très décontractée, lui et les musiciens étant visiblement sur la même longueur d’onde. Après quelques jours de travail, durant lesquels plusieurs titres sont mis en boite, son ami Johnny Cash débarque en studio pour enregistrer une série de duo avec le Zim. Les séances vont finalement s’étaler sur trois jours entiers, mais un seul morceau figurera sur l’album, il s’agit d’une reprise de la chanson the Girl Of The North Country. Les autres morceaux issus de ces sessions restent aujourd’hui encore inédits, même si un bootleg a fait surface quelques mois à peine après la sortie de l’album Nashville Skyline.


Les autres compositions figurant sur l’album restent largement au dessus de la moyenne. I Threw It All Away, Country Pie, Tonight I’ll Be Staying Here With You, sont d’excellents morceaux écrits par un musicien qui aime sincèrement le style dans lequel il évolue. Néanmoins, c’est le titre Lay Lady Lay qui servira de locomotive au disque. Cette chanson a été initialement enregistrée pour figurer sur la BO de Macadam Cowboy. Malheureusement, Dylan rend sa copie trop tard, et la chanson ne sera pas retenue par les producteurs. Dylan hésite alors à l’inclure sur la version finale de l’album. C’est finalement son entourage qui va le convaincre de la sortir en single. Le Zim ne croit pas vraiment au potentiel de la chanson, mais décide, pour une fois, de faire confiance à quelqu’un d’autre que lui-même. On connaît la suite : le single fait un véritable carton et entraîne tout l’album dans son tourbillon. Nashville Skyline grimpe jusqu’à la troisième place des charts aux États-Unis et décroche la première place en Angleterre. Pour ce qui concerne la déconstruction du mythe, on repassera.


Malgré ce succès populaire, la critique réserve un accueil mitigé à ce disque. Le changement vocal questionne particulièrement la presse. Lorsqu’on l’interroge à ce sujet, Dylan botte en touche en expliquant cette métamorphose par le simple fait qu’il ait arrêté de fumer. Personne n’y croit vraiment et cela d’autant plus que les proches du Zim confient que Dylan avait un timbre vocal assez proche de celui qu’on retrouve sur l’album Nashville Skyline lorsqu’il jouait dans les clubs de Minneapolis et de Saint-Paul durant l’hiver 1960, soit quelques mois avant sa venue à New York.


Nashville Skyline pose donc la question de la voix naturelle de Dylan. Pour ses fans et l’ensemble des critiques, le timbre nasillard du Zim semblait tellement naturel qu’il ne pouvait être qu’inné. Avec ce disque Dylan prouve qu’il n’en est rien et qu’il s’agit avant tout d’une technique vocale inspirée par ses idoles au premier rang desquels on retrouve Woodie Guthrie et Elvis Presley.


40 ans après sa parution, Nashville Skyline reste donc un anti portrait fascinant réalisé par un artiste qui aura passé des années à construire une légende et un personnage qu’il va finir par détester. Sur cet album ce n’est pas le poète surréaliste Bob Dylan qui chante, mais l’homme Robert Allen Zimmerman qui a fait ses classes dans les bars enfumés de Minneapolis et qui un matin de janvier 1961 a été sacrifié pour que puisse vivre la légende Bob Dylan. Plus qu’un retour aux sources Nashville Skyline est la réappropriation par un homme de sa propre identité.


Il va continuer sur la même lancée pour son album suivant le bien nommé Self Portrait.Qui sera particulièrement mal accueilli par la critique. Avec l’échec de Self Portrait, Robert Allen Zimmerman a peut-être définitivement cessé d’exister pour laisser la place à Bob Dylan, le chanteur à la voix éraillée qui reprendra le micro sur l’album New Morning (un titre d’album très évocateur) publié en octobre 1970, soit moins de six mois après Self Portrait.

Hervé_Bertsch
8
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le 8 août 2023

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Hervé Bertsch

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