Naked City
7.8
Naked City

Album de John Zorn (1990)

L'expressivité du saxophone de Zorn, je pense, m'étonnera toujours. Cet instrument est littéralement humain, c'est bête à dire, mais ce sont des vrais cris qui en sortent ; de plaisir, de rage, de fou-rire... Plaqué au centre d'une formation puissante ; entre claviers fous, batterie incontrôlable, et guitare trop électrique pour le péteux jazzophile, d'hétéroclites assemblages et hurlements japonais servent une expression musicale qui sature et caricature chaque idée, chaque titre, donc chaque mot.


La maîtrise des outils, plus que jamais, y est. Le son est (kitsch mais) parfait, et les instruments (dont la voix humaine) sont solidement exploités, retournés dans tous les sens avec une virtuosité monstrueuse. Loin d'être débilement technique, je trouve l'approche instrumentale particulièrement intéressante, chaque partie se complétant à merveille, oscillant entre le tour-à-tour et la simultanéité calculée. En fait, ils se confondent ou s'imitent les uns les autres... et tout est maîtrisé. Pourtant, musicalement, cet album est fou. C'est sur-expressif, tout est caricatural. Et tant mieux, parce qu'il s'agit de représenter une ville outrancière et démesurée, avec l'impression que chaque nuit, celle-ci s'anime d'affaires louches en tous genres.


Les références pullulent, entre Ennio Morricone, Henry Mancini, et Ornette Coleman, il y a de quoi faire perdre la tête de l'amateur de films populaires comme celle de l'amateur de free jazz. Mais ce qui est fort, c'est qu'au travers des structures décousues et endiablées de la formation, ces reprises s'inscrivent finalement dans le concept de l'album. Comme si Batman (ou les Tortues Ninja ? je comprendrai jamais) avait à voir avec The Shape of Jazz to Become ... la filiation n'est nulle part (comme le dira le théoricien) ... ou bien elle est dans le sens de la musique, et c'est donc cette "naked city" qui la met en évidence. C'est d'une grande classe.


Techniquement, que ce soit dans un registre jazz classiquement structuré se la jouant rockeur énervé, ou dans un free aventureux d'ascendance grindcore bruitiste, tout est parfait. Le jazzeux orthodoxe crissera des dents et pourra y aller de sa mauvaise critique ; pas sur ce site pour l'instant, et à mon avis jamais, car il faut bien reconnaître que l'avant-garde zornienne est devenue une habitude bien rentrée dans le moule avec les années. Mais le génie s'en fout de ça.


À ce jour cet album reste un de mes préférés toutes catégories confondues ; pour ne parler que de cette formation, je place cet éponyme devant la surenchère violente de Torture Garden ou les délires délicieusement sado-maso de Jeu des dames cruelles.


(PS : la personne --hors Article50-- qui comprendra la référence dans le titre de ma critique a droit à un Malabar)


[Note originale de la critique : 10/10]

Vilain_officiel
8
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le 8 mai 2015

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