My Woman
7.2
My Woman

Album de Angel Olsen (2016)

Il y a trois ans, nous avions été séduits par Angel Olsen et son deuxième long-format "Burn Your Fire For No Witness", qui jouait les funambules à la frontière du folk et du rock. Une posture symbolisée par les très nuancés titres Forgiven/Forgotten et White Fire. À la rentrée, l’Américaine signée chez Jagjaguwar a emprunté un petit virage avec "My Woman", album exploitant davantage la facette rebelle du premier avec des contours féministes. C’est ainsi qu’on l’a découverte il y quelques mois affublée d’une perruque platine dans un style plus “badass” dans le clip qu’elle a réalisé pour Shut Up Kiss Me, où, sur le toit d’une voiture rouge scintillante, elle entonne le refrain très direct d’un des hymnes de l’été : “Tais-toi, embrasse-moi, serre-moi fort”.


En réalité, loin de se limiter à cette simple dimension, Angel Olsen s’affirme aujourd’hui comme une singer-songwriter montante par sa capacité à poser sa voix tantôt pure et tantôt plus sinueuse sur toutes sortes de registres. C’est en tout cas ce qu’elle nous a démontré sur scène ce vendredi à la Gaîté Lyrique, lorsqu’elle est venue reprendre les compositions de ce troisième et nouveau disque. "My Woman" est en effet le fruit d’une collaboration avec Justin Raisen, artisan de nombreux tubes de Sky Ferreira ou de Charli XCX, qui contribue à donner au long-format des accents pop et soul que l’ancienne choriste de Bonnie “Prince” Billy n’avait jusqu’alors pas mis en valeur. Elle exploite ainsi d’autres inspirations qu’elle a toujours revendiquées, et que l’on doit plutôt aller chercher du côté de Donny Hathaway ou Candi Staton. Ce choix lui a d’ailleurs fait renoncer un temps à son Missouri natal pour enregistrer son troisième album dans le studio du producteur à Los Angeles où elle a pu se familiariser avec une toute nouvelle ambiance.


Une grande messe folk-rock


Très attendue à Paris après une précédente tournée, l’artiste de 29 ans a récompensé son public avec une grande messe folk-rock d’une heure et demie où la quasi-intégralité du dernier album a été jouée et soigneusement entrecoupée par des titres parfois anciens (dont "Drunk And With Dreams") et inédits. On y découvre ainsi "Fly On The Wall" et "Special", deux morceaux d’une dizaine de minutes qui ont dû être rejetés de l’album pour ne pas l’alourdir et le déséquilibrer du fait de leur atmosphère plus ténébreuse, à la John Cale.


Dès les premières minutes du set, débuté en fanfare par le tout frais et grésillant "Never Be Mine", l’impression dominante est celle d’un line-up plus rodé, car passé de quatre à six musiciens qui respirent l’expérience. Angel Olsen se fait ainsi seconder par une choriste en la personne Heather Mc Entire, chanteuse du groupe Mount Moriah qui fait figure de contrepoids avec ses notes plus aiguës. Une association qu’il faut évidemment plus considérer comme un complément qu’une faiblesse, tellement la qualité vocale de la native de Saint-Louis a mis tout le monde d’accord sur toute la durée du show. Que ce soit sur ses vieilles balades indie-folk où elle joue du même grain de velours qu’une Lana Del Rey, ou les productions plus ambitieuses et prononcées de ses récentes œuvres, tout est fait en sorte pour que la voix reste au premier plan et pour s’accoutumer d’une forme de vulnérabilité à l’image du sublime "Sister".


Un songwriting sincère et déroutant


Ce qui touche chez Angel Olsen concerne en effet essentiellement la charge émotionnelle qui pèse sur chaque note entonnée par la chanteuse ainsi que son songwriting sincère et déroutant. Et cela reste vrai malgré le nouveau filtre suggéré par Justin Raisen qui donne en fin de compte un produit fini certes plus poli, mais pas au point d’en faire du toc. Il faut certainement voir "My Woman" comme un ensemble plus difficile à digérer que son prédécesseur pour en ressentir les mêmes effets ensorcelants.


Contrairement à d’autres enchanteresses, Angel Olsen semble néanmoins assez froide dans la grande salle sombre de la rue Papin. Très distante sur la haute scène, le regard fuyant, elle enchaîne les titres sans vraiment communiquer avec son public, peut-être par timidité. Cela encourage d’autant plus ce dernier à nouer le contact en l’interpellant, quand d’autres n’hésitent pas à tendre le bras vers le ciel à l’écoute d’un des vieux hymnes folk de l’Américaine. En fin de set, elle s’esquive un instant en prévision du rappel, et laisse son live-band jouer en roue libre une superbe conclusion instrumentale. À son retour, une ultime métamorphose de l’artiste la conduit à troquer ses guitares pour un clavier et interpréter "Intern" et "Woman", symbole d’un nouvel attrait pour le synthé ou le mellotron, et ainsi achever la performance sur des envolées lyriques dans une atmosphère très Twin Peaks. Une preuve que "My Woman" est peut-être jusqu’à présent l’exploitation la plus réussie de son identité musicale singulière, et une façon de se montrer non respectueuse des différentes cases qui seraient prédéfinies pour la contenir.


Via lesinrocks.com

Charliiiie78
8
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le 14 nov. 2016

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