The Penguin Cafe Orchestra, c'est avant tout un homme, Simon Jeffes, cerveau, tête pensante, compositeur s'entourant des musiciens dont il avait besoin pour créer ses œuvres. Un compositeur génial et méconnu, brassant dans une seule tête plus d'un siècle de musique, qui s'est éteint des suites d'une tumeur au cerveau inopérable dans un anonymat quasi général le 11 décembre 1997. Né en 1949, il aura passé plus de la moitié de sa vie à composer. Originaire du Sussex, son enfance se déroule entre le Canada et l'Angleterre, suivant les mouvements professionnels de son père. Il commence à jouer de la guitare à 13 ans, puis étudie la guitare classique, le piano et la théorie de la musique.
En 1972, il est en séjour dans le sud de la France et, après avoir mangé un poisson avarié, tombe malade, et est sujet à de nombreux délires. Le lendemain, allongé sur une plage, une vision lui vient à l'esprit, accompagné d'un poème disant : « I am the proprietor of the Penguin Cafe. I will tell you things at random ». Il rêve de cet endroit comme un lieu d'échange de culture et d'art, où chacun exprimerait sa créativité en toute liberté avec une grande part liée au hasard. C'est ce qu'on appelle le sérendipitisme, où l'aléatoire, l'accidentel, interviennent dans la création musicale. C'en était fait, le projet Penguin Cafe Orchestra était né, en tout cas dans la tête de Jeffes, il ne restait plus maintenant qu'à monter le groupe.
Le but du jeu était de créer la musique idéale destinée à être jouée dans ce café imaginaire, une musique libre, sauvage et rêveuse, qu'il aimerait définir comme un croisement entre le « folklore imaginaire » et de la « musique de chambre moderne semi-acoustique ». Il fonde dans un premier temps le Penguin Cafe Quartet avec trois autres musiciens, Helen Liebmann (violoncelle), Gavyn Wright (violon), Steve Nye (piano électrique), avec qui il opérait déjà sous le nom cocasse de The 4 Musicians In Green Clothes. Ils enregistrent un single à quatre, puis avec Neil Rennie au ukulélé et Emily Young aux voix (peintre, elle réalise les pochettes du groupe et, pour la petite histoire, c'est à elle que Pink Floyd fait référence dans See Emily Play), forment le sextet qui enregistrera Music from the Penguin Cafe, leur premier album. Ils ont la chance de signer sur EG / Obscure Records, le tout jeune label fondé par l'ancien Roxy Music en train de devenir la référence absolue de l'ambient music, Brian Eno, qui sera d'ailleurs le producteur exécutif de l'album, et ce bien avant de devenir l'un des plus grands producteurs du marché du disque, de U2 à Pavarotti.
Si Simon Jeffes est le compositeur de toutes les pièces du disque, il est également un multi-instrumentiste hors-pair, aussi à l'aise à la voix qu'à la basse, la guitare, le ukulélé, le piano, le violoncelle et autres. A l'écoute de Music from the Penguin Cafe, l'auditeur saisit toute la complexité et la richesse de son univers mental. C'est un disque qui fourmille de références, d'ouvertures sur des mondes radicalement opposés mais que Jeffes, par son talent, parvient à rendre cohérents ensemble. L'album est composé de cinq morceaux dont l'un d'eux, Zopf, est une longue pièce divisée en sept mouvements. On pouvait à l'époque, et l'on peut sans doute encore aujourd'hui, parler de musique inclassable. Toutes les influences de Jeffes sont présentes en passant de Beethoven à John Cage, de Mozart aux musiques ethniques et d'Erik Satie aux Rolling Stones... Ce que l'on retient à l'écoute de ce premier opus d'une maturité sans égal, et mis à part le fait que l'on en ressorte bouleversé émotionnellement et d'une légèreté rarement atteinte en écoutant un disque, c'est cet étonnant mélange de genres, de cultures et d'époques. Est-ce du rock indépendant, du néo-classique, de la musique de chambre, de la musique contemporaine ? A vrai dire, on n'en sait trop rien et l'on s'en fiche complètement. Par exemple, sur un morceau comme Giles Faranaby's dream, le Penguin Cafe n'hésite pas à mélanger la mélodie de La Bamba à des accords de clavecins qu'on jurerait empruntés à Mozart, sans que cela ne choque le moins du monde. Et tout le disque suit cette ligne de conduite. Il est en même temps joyeux et triste, rythmé et mélancolique, convoque les accents minimalistes d'un Steve Reich aux côtés d'une pop accessible, mêle le classique à la musique Cajun, est chanté et instrumental à la fois...
Ce premier album est, comme le groupe tout au long de sa carrière, un véritable o.v.n.i. dans l'histoire du rock. Si The Penguin Cafe Orchestra est toujours resté méconnu, il aura pourtant influencé de nombreux musiciens, dont plusieurs de la scène « musiques nouvelles » qui aura une heure de gloire dans les années 80, mais aussi Pascal Comelade, les Japonais Pascals et, dans une certaine mesure, le très médiatisé Yann Tiersen. Si en 2001, un coffret de quatre cds intitulé A History et compilant l'essentiel de leur production discographique a permis de sortir quelque peu ce groupe de l'ombre, on attend avec impatience que le véritable hommage, et malheureusement celui-ci sera posthume, qui leur est dû leur soit rendu.
FrankyFockers
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 24 avr. 2012

Critique lue 479 fois

19 j'aime

3 commentaires

FrankyFockers

Écrit par

Critique lue 479 fois

19
3

Du même critique

Forever Changes
FrankyFockers
10

Critique de Forever Changes par FrankyFockers

La carrière de Love n'aura duré que de 1965 à 1970. Un bien court moment, mais qui marquera à jamais l'histoire de la musique rock et qui fera du groupe le plus grand représentant du psychédélisme...

le 24 avr. 2012

67 j'aime

10

Body Double
FrankyFockers
10

Critique de Body Double par FrankyFockers

Pourquoi ce film est-il si important dans l'histoire du cinéma moderne ? Voici une question qui mérite d'être analysée, comme il convient aussi de s'arrêter quelque peu sur le cas Brian de Palma, le...

le 23 avr. 2012

59 j'aime

4

Le Charme discret de la bourgeoisie
FrankyFockers
10

Critique de Le Charme discret de la bourgeoisie par FrankyFockers

Sorti sur les écrans en 1972, Le Charme discret de la bourgeoisie se situe en plein milieu de la période française de Bunuel, sa dernière et aussi l'une de ses plus intéressantes. L'âge n'a jamais...

le 23 janv. 2012

43 j'aime

1