L’album grâce auquel les fans de Kiss se sont rendu compte que leur groupe préféré était ridicule.

L’histoire commence en novembre 2012, lorsque je découvre la couverture de mon magazine préféré, consacrée au plus grands des plus mauvais groupes de hard américain, Kiss. Ma déception fut grande dans un premier temps, mais le long dossier racontant en détails l’odyssée des champions du kitsch s’est révélé passionnant, et puis, y avait pas de son, ce qui est toujours un plus. Ce sont surtout les quelques références au controversé neuvième album studio du groupe qui ont attiré mon attention. Neuvième en sept années, comme quoi pas besoin de se fouler quand tu fais de la daube, ça sort tout seul. Music From The Elder, donc.


Quand j’ai lu que cet album était détesté par les fans, que le groupe n’en avait presque rien joué en live, et qu’il avait été produit par Bob Ezrin pour en faire une sorte de hard-prog lourdingue, je me suis dit que c’était assurément un album pour moi. Et je ne m’étais pas trompé. Je ne vais pas ici vous raconter l’histoire de Kiss, les tenants et aboutissants précis de la période chaotique qui entoure cet opus, tout cela est déjà dans le fameux dossier, et puis les fans le savent déjà. Ce que les fans savent moins, par contre, c’est qu’ils tiennent là une perle, un bijou vintage, une gloriole kitsch, et un acte suicidaire d’une beauté sérieusement compassée mais toujours étrangement vivifiante. Voici donc Music From The Elder, le Kalidor du metal.


Enfin metal, on va de suite s’arrêter pour clarifier le point suivant : Kiss, à la base, c’est plutôt du hard-rock, et cet album, en plus, n’a presque rien de metal. Mais de Kalidor il a quelque chose, c’est indéniable. Cette nullité confondante, notamment dans le scénario et les dialogues, et puis l’aspect ridicule de l’ensemble, les décors, les costumes, le jeu des acteurs mécanique et téléphoné. Attention néanmoins à l’anachronisme, puisque le somptueux Kalidor est sorti en 1985, soit 4 ans après le Kiss, donc c’est plutôt la performance éternelle de Brigitte Nielsen (et non sa plastique assez quelconque) que l’on pourrait qualifier de Music From The Elder du cinéma.


Tout y est dans Music From The Elder, c’est comme si Dino de Laurentiis, Bob Ezrin et Paul Stanley s’étaient réunis pour nous offrir le meilleur de ce qu’ils n’avaient jamais osé nous infliger. Un concept simpliste, vaguement basé sur un scénario débile, une production boursouflée à l’extrême, avec moult cordes sirupeuses et guitares folk à la Eric Woolfson, un chant d’une platitude pathétique, malgré les tentatives courageuses de Stanley et Simmons de faire aussi lourd que Freddie Mercury. Et puis, il y a les morceaux. Les chansons même, on pourrait dire. Ah la magnifique tentative de composer une grille d’accords aux accents prog sur Odyssey : totalement foirée. Et puis le riff typique de Dark Light, célébrant comme tant d’autres l’exceptionnelle dextérité du groupe à sombrer gaiement dans l’auto plagiat : là par contre, l’effet est réussi. Je garde le meilleur pour la fin ; l’intro, Fanfare, je ne sais pas trop quel était son objectif, sans doute annoncer la couleur, eh bien c’est un succès : c’est tellement raté qu’au bout de quelques secondes seulement, l’auditeur averti pourra immédiatement vaquer à des occupations adéquates, et abandonner sa courageuse expédition ethnologique.


Malheureux que vous êtes, qui avez laissé cette hideuse partition de hautbois vous induire en erreur : cet album est un trésor, il fourmille de moments magiques, c’est comme un album de Queen, il faut avoir bu le calice jusqu’à la lie pour se rendre compte qu’après coup, finalement, hé merde mais en fait j’ai aimé!! Je vous rassure, si vous ne comprenez rien à ce que je vous dis, c’est que vous n’avez rien compris à cette chronique : en hommage à cet album magnifique, je fais une critique à prendre au second degré, et j’abuse des double points.


C’est là encore son effet Kalidor ou son effet Tango & Cash ou Predator 2, il le faut le prendre au second degré cet album, et là, comme par magie, on se rend compte que c’est génial. On se rend compte que le refrain d’Odyssey, malgré une évidente surproduction, est incroyablement entraînant, ou que le couplet de Under The Rose, malgré sa platitude, est beau, juste beau. Et je ne vous parle pas des odieux chœurs du refrain. Un seul morceau échappe à cette tendance nette, un seul morceau est à prendre au premier degré, c’est l’un des singles : A World Without Heroes, superbe ballade mélancolique un peu west-coast, et qui a tout de magnifique sauf le nom de ses interprètes. Pourquoi cela ? Eh bien parce que justement, imaginer des gars en costumes de l’espace faits à partir de bouts de polystyrène et d’aluminium, ridiculement maquillés et tirant la langue lors de concerts pyrotechniques où ils prennent les poses les plus viriles possibles, imaginer ces mecs en train de jouer un morceau aussi doux, délicat et fin, ça discrédite le tout instantanément. C’est dommage, parce qu’elle avait beaucoup pour elle cette bluette mélancolique, avec son solo précis, et son arrangement symphonique qui, pour la seule fois de l’album, donne presque l’impression d’être à sa place.


Et puis, il y a les textes. « D’une galaxie lointaine je t’entends m’appeler, nous sommes dans une odyssée », ça vaut le détour quand même, on va pas non plus cracher dans la soupe ! « Mais cherche et tu trouveras ta destinée », c’est tellement nul qu’on dirait presque du George Lucas, non franchement je ne vois aucune raison de faire la fine bouche, y a de quoi se bidonner sérieusement avec cet album. C’est peut-être pour ça que les fans de Kiss le détestent, c’est l’album où même eux se sont rendu compte que leur groupe préféré était ridicule.


Ils ont beau jeu, les détracteurs de Music From The Elder, de tout mettre sur le dos du grand Bob Ezrin, l’homme qui s’était pris pour un second Phil Spector en massacrant The Wall, tout comme son glorieux prédécesseur avait détruit Let It Be. C’est que Ezrin a eu toutes sortes de complicités, bordel, s’agirait pas de l’oublier, et je le vois mal mettre un couteau sous la gorge de Roger Waters ou Ace Frehley en lui postillonnant au visage : « espèce de petit enfoiré, je rajoute une soixantième prise de violon si ça me chante c’est compris ? » Peu crédible que toutes ces arguties, le ver était dans le fruit, sans doute victimes de leur incroyable succès et de la pression faramineuse qui en découlait, les gars du bisou se sont fait caca dessus en voulant aller plus loin que les demandes peu subtiles de leurs fans bas du front.


Que les sus-cités fans se rassurent, il y a quand même du hard de merde sur cet album, il y a Mr Blackwell par exemple, ça c’est bien naze. Très sérieusement, j’invite tout personne, et même les normalement constitués, à jeter une oreille sur cet album très spécial. Vous éprouverez peut-être la même expérience hallucinante que moi, une sorte de dichotomie culturelle, le moment où tu rends compte que ce que tu adores est mauvais, mais que ça ne t’empêche pas d’adorer. Le danger, bien sûr, c’est de ne pas réaliser le caractère totalement biaisé de ce sentiment, et de commencer à essayer de faire croire aux gens qu’il s’agit de musique ou de cinéma de qualité. Adorer Stallone, Schwarzy, Bruce Willis, Alan Parsons ou Kiss c’est un peu la même histoire, et ça doit sans doute avoir à faire avec des raisons psychologisantes liées à l’enfance ou je ne sais quoi. Ça n’est pas un problème en soi, loin de là, chacun son sale goût. Mais ça reste mauvais, n’en déplaise à certains, vous pouvez adorer autant que vous voulez, c’est mauvais. Revoyez Spinal Tap, ça remet sérieusement les choses en perspective.

Silvergm
4
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le 19 déc. 2017

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