Gare au gourou. Dylan se souvient de ses jeunes années. Une larme à l'oeil et les dévôts aux pieds.Rien ne vaut un bon petit coup d'oeil dans le rétroviseur quand on connaît trop bien la route qui déroule ses virages devant soi. Lorsqu'au milieu des années 60, The Band électrifia les vers au vitriol de Dylan, les gardiens de l'orthodoxie folk furent pris de convulsions. Près de vingt ans plus tard, alors que Dylan nous a maintes fois offert ­ dans ses premiers albums, bien sûr, mais également, en parfum country, dans de petites choses "réactionnaires" comme Nashville skyline ­ la preuve de ses capacités acoustiques, voici que débarque une modeste et complexe collection de chansons. Modeste, parce que pratiquement dénuée de ces suppléments gracieux et inédits qui font palpiter le fan. Complexe, car certains titres, pourtant filmés pour l'émission de MTV, n'ont pas été diffusés, qu'un autre (Tonight I'll be staying here with you) ne figurera que sur la vidéo et que Love minus zero/No limit n'est goûtable que sur l'édition européenne. Pourtant, Unplugged n'est pas un live supplémentaire : Dylan se montre ici décontracté, serein, voire plein d'indulgence pour lui-même. Il saute avec une évidente jubilation de l'harmonica au chant, ne laissant qu'avec parcimonie le soin à quelqu'un d'autre de tenir la barre de la soirée. Dylan s'amuse : à nous refaire le coup des briquets haut brandis avec The Times they are a-changin ; à exhumer des cantilènes pas vraiment vitales (John Brown, B-side d'un single sorti en... 1964) ; à jouer au feu de camp et à la redécouverte irrespectueuse : ça donne au funèbre Desolation row une crétine coloration Swinging Sixties que seul son propre créateur pouvait se permettre. Car il peut tout se permettre avec un public aussi proche de l'assujettissement, voyant en lui le grand sage pertinent, la conscience de notre quotidien, l'idée confuse et rougissante que les grands idéaux renaissent toujours de leurs cendres. Quant à la manière dont Dylan voit Dylan ­ si l'on en croit le sommaire d'Unplugged ­, elle se résume apparemment à ces quelques années météoritiques (1964-73) où le petit juif américain, juste sorti de la digestion des grandes influences (Woody Guthrie pour la révolution en marche, Dylan Thomas pour l'intelligentsia), fit penser, danser et s'aimer comme jamais auparavant. Depuis plus de vingt ans, on ignore ce qu'il est devenu.(Inrocks)

bisca
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le 22 mars 2022

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