Metal Machine Music
4.5
Metal Machine Music

Album de Lou Reed (1975)

Rappel du contexte : en 1973, Lou Reed sort son opéra rock dépressif Berlin, qui est massacré par une bonne partie de la presse. Bouleversé par cette réception désastreuse pour un projet sur lequel il avait investi tant d’effort, le chanteur éclate de rage, se teint en blond, effectue une tournée où il transforme ses propres classiques en tubes hard rock, puis sort Sally Can’t Dance, une œuvre au son beaucoup plus commercial et pour laquelle son implication est bien moins prégnante, au point que le succès de cet album lui fera déclarer : « On dirait que moins je m’implique dans un enregistrement, plus il a de succès. Si je n’apparaissais pas du tout sur le prochain, il pourrait bien finir à la première place. »


C’est quasiment chose faite avec Metal Machine Music, étape finale de son sabordage qui constitue presque un suicide artistique. Pas de chanson, pas d’instrument conventionnel, uniquement quatre plages de bruit, de larsens, de grondements électriques et de répétitions aléatoires. C’est le Lou Reed le plus radical qui s’exprime ici, le retour pour la première fois depuis White Light/White Heat et son gigantesque « Sister Ray » de l’expérimentateur bruitiste du Velvet Underground.


J’ai toujours eu des a priori variables vis-à-vis de Metal Machine Music : si j’adore les deux premiers albums du Velvet Underground et que je fais partie des soutiens de Lulu, un bel exemple de la radicalité dont il a su faire preuve jusqu’aux dernières années de sa vie, j’avais quand même peur d’un album inaudible au vu des descriptions lues. J’avais néanmoins des raisons de garder espoir grâce à « Fire Music », courte parenthèse bruitiste à la fin de The Raven, son album en hommage à Edgar Allan Poe. Restait à voir si Metal Machine Music était bien dans la même veine que ces deux minutes d’excitation intense, et si oui si ces effets sonores étaient supportables pendant une durée trente fois supérieure.


Et le résultat est positif : je sais qu’il peut être de bon ton de louer cet album pour l’intention artistique qui a poussé à sa conception et néanmoins ne pas apprécier son écoute, mais j’aime sincèrement cet album et l’écoute avec plaisir ! Peut-être suis-je masochiste – il est vrai par exemple que je suis un grand admirateur de « Revolution 9 » des Beatles – ou complaisant – Lou Reed est après tout l’une des rares personnalités dont la disparition m’ait réellement bouleversé (Bowie en fut un autre) – mais je ne peux pas me résoudre à considérer cette œuvre comme une simple idée artistique dont on pourrait louer l’ambition mais laisser le résultat de côté, ce qui ne serait que de la pose. Est-ce que c’est du bruit ? Oui ! Mais qu’est-ce que la musique ? L’organisation du bruit pour créer le beau… Lou Reed laisse ses instruments improviser d’eux-mêmes, mais le beau est bien présent à la fin ! Il y a quelque chose de très vivant dans ces enchaînements de sons métalliques et stridents, une énergie rock qui s’exprime de façon non conventionnelle mais qui existe bel et bien.


Metal Machine Music n’est bien évidemment pas un album facilement accessible ; on parle ici de musique dans sa forme la plus primitive – et l’une des premières incarnations de Lou Reed était justement le groupe The Primitives, dont la chanson « The Ostrich » possédait la même puissance radicale, cette force brute cherchant à faire du rock un art de tous les possibles. L’album dure plus d’une heure, une heure d’envoûtement et de frénésie ; une durée sans doute un peu trop longue, mais une régénération des sens presque nécessaire. Et c’est Lou Reed lui-même qui en sortira régénéré, pouvant entreprendre la suite de sa carrière de façon plus apaisée, et ce dès Coney Island Baby, enregistré la même année.

Skipper-Mike
8
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le 7 oct. 2017

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Skipper Mike

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