Instrus mentales

En France, Lunatic apparaît comme un groupe majeur sur la scène rap. Ca peut se comprendre étant donné leur présence depuis 96/97 et la sortie remarquée du single "Le crime paie", mais c'est seulement fin 2000 que le duo sort enfin leur 1er album. Le moment de vérité en somme.

Affublé d'une pochette sombre aux teintes noires/bleues, la tronche des deux gonzes apparait, l'air grave. On est de suite mis au parfum de ce que sera la galette. Et effectivement le contenu est dans la veine de ladite pochette. Des textes sombres, une écriture "sociale" sans détour, quelques rimes finement choisies, des punchlines ainsi que des explicit lyrics sans concession.

Alors que de "Pas l'temps pour les regrets" jusqu'à "La lettre", soit les quatre premiers titres, on a affaire à une très bonne entrée en matière : que ce soit les paroles ou le beatmaking, En revanche les 5 suivants (de "Si tu kiffes pas" à "Le son qui met la pression") sont sinon moyens, du moins en-deçà des précédents. Des textes et un flow beaucoup moins percutants. Ce ventre mou est selon moi l'épine de l'album. Et c'est fort regrettable CAR le reste ; à savoir "Avertisseurs", "Le silence n'est pas un oubli", "Mauvais œil" et le grandiose "Civilisé", finissent l'album de très belle manière.

Hormis quelques très bons morceaux ("Pas l'temps pour les regrets", "Avertisseurs" et "Civilisé"), c'est la production et les instrus qui sont LA clef de ce Mauvais œil. En effet, toutes les instrus sont terribles. Elles justifient à elles-seules l'acquisition de cet album. Que du lourd. On sent également le travail et le soin apportés en studio au mastering des morceaux. Tout est propre, très pro. Et on doit ce boulot au fameux Fred Kevorkian ; lequel a masterisé entre autres les White Stripes, The National, Iggy Pop, Regina Spektor.

Pour finir, on a souvent comparé ici et là ce Mauvais œil à Mobb Deep. L'ambiance dark, les textes sombres et profonds, l'atmosphère de la rue, les codes et le tranchants des paroles. Oui certes on retrouve des ressemblances (lointaines) avec Mobb Deep, mais on pourrait également trouver des ressemblances entre une poule et un loup si on voulait, en cherchant bien. Lunatic est loin, très loin de Mobb Deep, donc inutile de comparer ou mettre en parallèle ces deux duos, car des mondes les séparent (le beatmaking, la voix percutante et acérée de Prodigy. le flow et la rime riche et la production de Havoc aux petits oignons). Hell on Earth et la pépite The Infamous sont sur une autre planète et surtout sont sorties en 1996 pour l'une et 1995 pour l'autre. Et 5 dans le rap c'est un gouffre, surtout à cette époque.

Au final Mauvais œil est un album qui a pas mal de qualités (instrus, production/mastering), mais malheureusement bien trop de moments moyens voire faibles pour le porter aux nues. Trop déséquilibré dans les textes et la performance.

De là à le positionner comme un bon album de rap ? oui je pense, en tout cas dans l'Hexagone oui. Mais pas plus.