Lost Ground (EP)
7.8
Lost Ground (EP)

EP de Defeater (2009)

Defeater. Nouvel EP. Une claque pire que Travels. Comme si le groupe, avec les 6 chansons de Lost Ground avait déjà atteint leur apogée musicale.

Souvenez-vous, le hardcore de Defeater avait permis à Derek (le frontman) de nous offrir un premier album (Travels) qui racontait la vie d'un jeune homme paumé de son enfance à sa mort. Avec Lost Ground, Defeater remet le couvert et réussit à raconter l'histoire d'un autre homme en 6 morceaux, 6 moments de sa vie qui le marqueront à jamais, comme on marque la chair avec un fer brûlant.

I got the blues and the blues got me

The Red, White and Blues part à fond et la voix de Derek ne tarde pas à pointer avec des paroles qui me marqueront à jamais (« The whisky burns, going down. Old Man poor me another round ! 'Cause it's my last time in town, and I ain't thinking of slowing down... ») et qui nous placent directement dans la peau d'un jeune homme noir (voir la couverture de l'EP ou les paroles des morceaux suivants) qui va partir à la guerre. Nous sommes en 1943/44. Notre homme noie son chagrin et la peur de l'inconnu en Europe dans le whiskey, il pense à son père (mort pendant la première guerre mondiale) et sa mère, croyante, décédée récemment. Le break à 1min35 est juste un exemple de toute l'émotion que peut véhiculer Defeater, une ambiance planante et dépressive et la voix de Derek : « So I stumble home ! Pack up my old memories ! » Notre homme prend ses bagages, regarde une dernière fois sa « maison », pense à sa mère et ses prières et décide de rendre un dernier hommage en se rendant sur sa tombe. Ce sont les dernières paroles qui finiront de nous achever « I'm gonna bleed red, white en blue » et qui montrent que notre homme est prêt à donner sa vie pour son pays.

Un morceau d'introduction parfait qui nous place directement dans le sujet. D'ailleurs il faut souligner que contrairement à Travels, Derek parle maintenant à la première personne ce qui permet de se sentir encore plus impliqué dans les paroles.

I'm down on my knees. Feel the pain in my gut. And the snow is covered in blood.

Pas le temps de se reposer que le rythme groovy de The Bite and The Sting me percute. Nous sommes déjà en Europe, dans la forêt et le froid aux côtés de notre homme. Il combat et raconte son quotidien aux côtés de ses frères d'armes. Pour tenir, il boit son whiskey dans la flasque que son père lui a léguée. Les mots qu'emploie Derek sont vraiment magnifiques et marient avec perfection le langage familier du personnage et les descriptions émouvantes des sentiments de l'homme. Et comme on pouvait le prévoir, la tragédie n'est pas loin et batterie, guitare et basse s'empressent de nous plonger dans un tourbillon de violence alors que l'infanterie est attaquée par les allemands. Les derniers mots du morceau résonne dans ma tête : « Awake in a hospital bed. There's rows and rows and rows of dying kids. And I know : my whole infantry's dead. » Il se réveille après être tombé dans les vapes dans un hopital et tous ses camarades sont morts.

The paulbearers burden as heavy as my heart's hurtin'

Place maintenant au 3e morceau de cet EP et celui qui m'aura le plus fait couler de larmes : A Wound and Scar. Car si on peut situer facilement l'époque, le lieu et les personnages, il faut noter que les paroles de Defeater sont intemporelles et lorsque je les avais vu en concert à Paris en mai dernier, Derek avait beaucoup parlé pendant l'intro de cette chanson en expliquant qu'elle était dédiée à tous ceux qui avaient perdu un proche à la guerre, qu'elle que soit la guerre, le peuple touché ou les causes de la guerre. Un hommage à tous ces hommes partis trop tôts et un brûlot magnifique en écho à la guerre en Irak. Dès les premiers touchers de batterie, on sent que le morceau va être lent et dépressif. Et lorsque les notes de guitare débarquent, la pression monte. C'est lorsque Derek lâche son premier cri de désespoir que les larmes montent instinctivement : »I stand next to an empty grave where my friends will lay. I'll put their bodies down. Into their resting place. » Notre homme est donc de retour aux Etats-Unis, il est à l'enterrement de ces camarades et il broie totalement du noir. Que dire de plus à part que les instruments, la voix et les paroles sont justes parfaites ? Comment ne pas être touché par les interrogations de ce soldat « Why them and not me ? » et par sa constatation finale : « The preachers preach, only folded flags. And the mothers mourn, holding folded flags. Just caskets and folded flags. No hope, just folded flags. No hope. » Si vous avez l'occasion de voir cette chanson en live, vous ne pourrez être que débordés d'émotion et partagés entre le groupe et le public extrêmement réactif...

And no men in this city will take a chance on me. The color of my skin is all they see.

On est déjà à la moitié de l'EP et on sait déjà qu'il sera très court. Home Ain't Never Home et sa guitare bluesy en introduction nous propulse dans la vie quotidienne de ce pauvre homme qui ne comprend plus rien au pays qu'il a quitté il y a quelques mois. Les gens le rejettent par rapport à sa couleur de peau, ils ont déjà oublié qu'il est un héros de guerre et personne ne lui accorde un regard de compassion. Rongé par les remords, il quitte la ville « I'm gonna leave... » ! La fin du morceau nous emporte encore une fois dans un déluge de remords et de poids qu'il porte dans son coeur et dans sa tête : « Just burdens... »

I beg and I plead for her god to hear me : he's just a coward. Just a thief.

A 100 à l'heure, c'est à ce rythme que part Singin' New York Town ! Notre homme a pris le train et s'est retrouvé à New York, la vie est dure et il dort là où on veut de lui. Il joue de la guitare pour survivre. Sa musique le fait tenir malgré l'hostilité des gens. Le morceau prend une toute autre tournure à sa moitié et nous lance dans un tempo plus lent dans lequel Derek hurle à qui veut l'entendre sa rage envers Dieu qui a abandonné son personnage.

The nights are long and cold under bridges when you're all alone

Le dernier morceau sonne le glas. Un rythme posé et une guitare carrément blues qui s'envole dans un solo brûlant d'intensité. Du jamais vu chez Defeater. Entre deux solos, la voix de Derek montre progressivement, aidée des musiciens. Cette fois-ci, Beggin in the slums est l'appel désespéré d'un homme qui fût une fois la fierté de son pays, aujourd'hui rejeté et forcé à mendier dans le froid pour survivre. La voix de Derek est au bord de la rupture et on se dirige rapidement vers un final en apothéose qui va faire de Defeater un groupe à ne jamais oublier. En effet, dans les dernières secondes du morceau, ce pauvre mendiant qui joue pour les gens qui passent aperçoit dans la foule les yeux d'un homme brisé tout comme lui. Il puise dans son désespoir l'envie de lui donner la force de tenir. Notre homme trouve finalement son espoir pour continuer à (sur)vivre. Une happy end ? Pour notre homme, en quelque sorte. Car même s'il mourra sûrement de froid, de faim ou d'autre horreur inhumaine, on entend alors les premiers accords d'une chanson accoustique... Et là, à la fois pris de vertige et d'envie de crier au génie : on comprend alors que notre mendiant est en fait l'homme croisé par le « héros » de l'album précédent dans la chanson Prophet in Plain Clothes. Derek réussit donc à croiser ces deux albums d'une manière magnifique mais qui plonge la fin de cet EP dans un néant total puisque notre mendiant puise son espoir dans les yeux d'un jeune qui se suicidera à la fin de Travels, en plongeant du haut d'un clocher... La boucle est bouclée : brutale, émouvante et impossible à oublier.

6 morceaux. 6 coups de poings. Une vie racontée en quelques minutes. Deux destins croisés et au milieu de ça, un groupe monumental : Defeater. Un poète hurleur qui manie les mots et la rage avec la grâce et la violence des plus grands. Une des plus grandes claques musicales de ma vie, définitivement.
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le 20 déc. 2011

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