Damien Saez, poète dépressif et enragé, reflet d'une génération qui refuse la soumission mais demeure prisonnière d'un système dont il souhaite s'affranchir, artiste complet qui a su au travers de sa plume et de ses envolées musicale, mettre un peu de Punk dans la musique de Brel, un peu de poésie dans un monde décadent.


C'est en cette fin de décennie qui coïncide avec la fin de son projet cross-plateforme "Le manifeste" que Damien nous livre sa dernière palette: Ni Dieu Ni Maitre, un quadruple album constitué d'anciennes chansons du projet et de nouvelles. Plus de quatre heures de musiques aux styles très diverses, rappelant différents moments phares de la carrière de l'artiste.


Le côté minimaliste de la musique bercé par une poésie lente et une dissonance de la voix présente dans le très émouvant "Ma Vieille" ou encore "Mohamed" et "Libre" rappelle la période Varovie/L'Alhambra/Paris, alors que le très énervé et contestataire "Manu Dans L'Cul" nous renvoie à J'Accuse, les rocks mélancolique "A Tes Côtés" et "Camarade Président" et les symphoniques "La Maria et Petrushka" rappellent l'époque Messina, sans oublier le très God Blesse "S'Ils Ont Eu Raison De Nous" qui clot magnifiquement l'oeuvre, avant la présence (encore...) de l'Humaniste qui fait sa troisième apparition dans un album de Damien.


Mais l'artiste ne se contente pas seulement de rendre un hommage à sa propre carrière, car Damien a des idoles et le fait savoir. Comment ne pas penser à "Mon Vieux" écrit par Jean Ferrat pour Daniel Guichard, quand on écoute "Ma Vieille", tant sa construction est similaire? Comment ne pas reconnaitre l'hommage à peine masqué à Renaud dans "Ma Gueule", ou l'assumé Jojo pour Johnny Halliday, qui cite d'autres artistes qui ont fait la plume de Saez (Brel, Barbara, Greco...).


Mais cette album sous forme de synthèse, est il bon ou pas?


Tout d'abord l'écriture y est sublime. Saez sait construire et théâtraliser un texte à la manière d'un Brel, et y poser les notes qu'il faut pour que la magie opère. Les thématiques abordées sont nombreuses et le sont de manière plutôt intelligente, si on met de côté la provocation assumée de certains titres (avec tout de même quelques subtilités cachés pour qui saurait les lire).
Si on regardait chaque titre indépendamment les uns des autres, cet album serait suffisamment solide pour rejoindre Messina et Lulu sur le panthéon de ce que Saez a fait de meilleur.


Mais...
L'album pêche par sa construction globale. Le mélange des titres fait malheureusement fouillis. Damien a voulu classifier ses titres par thématiques, sauf que la simple dualité L'Humanité/L'Humain ne fonctionne pas tant les thèmes sont variés. Faire un concept album sans concept ne fonctionne pas. On enchaîne des titres très différents les uns des autres sans y être accompagné par des transitions travaillées, ce qui peut rendre l'audition difficile pour les non initiés.


Ceci étant dit, cet album reste un très bon cru de l'artiste et contient de véritables chefs d’œuvres qui valent le coup d'être écoutés.


Je conclurai avec un petit topo rapide de mes chansons préférées de l'album:



  • Contestataire (CD2) est un bel hymne à la lutte rendant hommage aux soulèvements populaires ayant lieu en ce moment partout dans le monde (Lybie, Algérie...) et appelant le peuple Français à en faire de même.


  • Ma Religieuse (CD2), déjà présent dans l'album #Humanité, cette chanson très provocatrice dépeint une femme sexuellement libérée, en faisant des allusions aux interdits (sexuels) des religions, idéalisant une femme libre, qui ne se soumet devant personne et "gardera le poing levé". Le texte se conclut par un pamphlet incendiaire rejetant toute soumission religieuse et dénonçant un recul communautaire et une montée de l'extrémisme religieux (quelle que soit la religion).


  • Germaine (CD3), outre la musique diablement efficace dans sa construction, Germaine est un hymne au libertinage et à l'insoumission. Damien décrit une femme qui ne souffre d'aucune contrainte. Le portrait semble dégradant au premier abord, mais plus on avance dans la chanson, plus on comprend qu'au contraire, Germaine est un exemple à suivre, car elle ne laisse personne lui dicter sa conduite.


  • Ma Vieille (CD3), probablement la plus grosse claque de l'album. Cette chanson parle de la vieillesse de manière déchirante, racontant la folie dans laquelle sombre les personnes en fin de vie, entre peur de la mort et oubli des proches, cet hommage est très émouvant, jusqu'à la chute. Une des plus belles musiques de l'artiste.


  • La Maria (CD4), encore une chanson d'amour sous fond de symphonie rappelant "Marie" de l'album Messina, mais c'est très efficace et on en redemande. On retrouve ce portrait de femme libérée, refusant le mariage et la fidélité mais que l'artiste aime pour ça.


  • Anatoline (CD4), chanson sur l'homosexualité particulièrement touchante et bien écrite. L'artiste cesse toute provocation dans cette chanson émouvante sur deux être qui ne demande qu'à s'aimer en ignorant le poids du regard des autres. Elle fait également référence au mariage pour tous et à la volonté de certains religieux de le leur interdire.


  • Notre Dame Mélancolie (CD4), initialement sur l'album Lulu, le chef d'oeuvre de Saez. C'est tout simplement ma chanson préférée de l'artiste. L'écriture est magnifique, le morceau est un tourbillon de mélancolie et de désespoir décrivant un homme à bout insultant Dieu pour l'avoir privé de son amour, mais rendant toutefois hommage à la beauté de la cathédrale construite en son nom. L'homme adresse, à sa manière, à coup d'insultes et de cris de rage, une dernière prière à la vierge, celle non pas de lui rendre son amour, mais d'empêcher que d'autres subissent le même sort. Au final, le personnage incarné par Saez fait preuve d'un ultime altruiste au fond de son désespoir.


  • S'Ils Ont Eu Raison De Nous (CD4), Saez évoque la possibilité de la fin de sa carrière et rend hommage à son public, à travers une très belle chanson accompagnée au piano.Espérons simplement qu'ils n'aient pas eu raison de lui.



Pour résumer, Ni Dieu Ni Maitre est un album qui pêche par sa construction globale mais qui possède toutefois de très nombreuses pépites et que je recommande pour avoir une vue globale sur la carrière de l'artiste puisque toutes ses époques y sont représentées.

VincentLartaud
8
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le 3 déc. 2019

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Vincent Lartaud

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