Korn
6.9
Korn

Album de Korn (1994)

Korn...ou le génie traumatisant!

Il fût un temps où je n'aimais pas Korn. Il fût un temps également où je n'aimais pas le metal tout court d'ailleurs...cette musique de sauvage où le chanteur gueule plus qu'il ne chante très peu pour moi merci! Et puis vous savez bien comment ça fonctionne : l'alcool vous brûle le palet la première fois que vous y goûtez et puis ce dernier finit par s'y accoutumer, il en va de même pour la musique "forte" en quelque sorte. Sauf que dans le cas de Korn...ça faisait un moment que j'adhérais au metal et pourtant...rien à faire, je ne pigeais pas comment ce "truc" pouvait aussi bien marcher! Deux morceaux trouvaient grâce à mes yeux : "Blind" (pour sa construction intelligente et son riff de guitare ingénieux), et "Alone i break" (présent sur un autre album, pour sa mélodie, sa profondeur et son chant enfin supportable). Il faut dire que la porte d'entrée n'avait pas été la bonne : ce premier album de 94 (haaa les saintes années 90!) était sans doute trop brute de décoffrage pour moi. Mais il était considéré comme un chef d'oeuvre ce disque et je devais l'aimer...essayer de l'aimer, comprendre pourquoi! Rien à faire...passé "Blind" le son de guitare bien cracras et les hurlements assourdissants me brûlent les tympans sur "Blind tongue" : mais mon dieu, cette violence n'a aucun sens, le morceau est limite déstructuré (alors que bon sang la structure est là, et elle est balèze!), et la suite de l'album ne daigne pas me ménager d'avantage...le chanteur en fait décidément trop des caisses avec sa voix...c'est quoi cet espèce de névrosé qui reprend sans cesse sa respiration avant de beugler comme un veau? C'est limite grotesque à la fin!!!!!


Et puis un jour, après avoir renoncé...je me suis dit, tiens? Et si je redonnais sa chance à Korn avec un album tout aussi estimé? Si ce groupe est culte c'est qu'il y a bien une raison...et l'album "Issues" de 99 (sorti bien plus tard quand le groupe était en pleine apogée artistique et commerciale) semble pouvoir en témoigner! En effet, je trouvais enfin des mélodies (splendides) derrière cet amas sonore et ces murs de sons de guitares, les hurlements se faisaient plus rares...plus supportables (mieux maîtrisés en apparence aussi...plus "pros"). Bref, j'aimais beaucoup Korn d'un seul coup : je venais de rentrer dans leur univers...et je n'avais pas envie d'en sortir! Et tant qu'on y est si on redonnait sa chance à l'autre sommet de leur discographie : l'album par lequel tout a commencé?


Je dois bien avouer un truc c'est la première fois que je change aussi radicalement d'avis sur un disque après redécouverte...en fait il me manquait la clé pour comprendre la raison (légitime) de toute cette violence : la connaissance de son contexte d'enregistrement, et surtout le vécu de son auteur principal (Jonathan Davis)! Ce mec force le respect...je ne vais pas rentrer dans les détails mais dites vous que si vous avez morflé dans votre enfance ça restera toujours un peu moins hard que lui...je crois que la plupart des gens se seraient foutus en l'air à sa place! Violé quand il avait 12 ans, non cru par ses parents par la suite, battu par ses beaux-parents, martyrisé durant sa scolarité...le moins qu'on puisse dire c'est que le bonhomme en a vu et bouffé des vertes et des pas mûres et que sa rage (que j'avais pris pour un caprice incontrôlé au début) est en réalité totalement fondée et justifiée et la façon dont ce dernier la véhicule est vraiment poignante!


Outre "Blind" (premier classique du groupe) qui ouvre l'album par un riff de guitare devenu classique depuis et est construit autour d'une tension permanente entretenue par un rythme lourd et un Jonathan Davis au bord de la rupture finissant par exploser dans un final magistral, l'album regorge de morceaux ingénieux et travaillés! "Ball tongue" et son riff de guitare toujours très inspiré ponctué par des cassures de rythmes détonantes, et toujours un pont magistral où cette fois-ci Jonathan s'essaye au scat (il s'agit d'une forme de rap inattendu et sorti de nulle part ici mais qui malgré tout fait sens) est une autre prouesse! Difficile de ne pas citer tout l'album tant celui-ci est d'une solidité remarquable : "Clown" nous qui prend au piège avec son riff de guitare gras et lourd et ses refrains redoutables, de même que "Shoot and ladders" et sa cornemuse se jouant des changements d'atmosphères (l'une lourde et glauque semblant s'inspirer d'une comptine pour enfant, l'autre donnant dans la violence pure et simple) en sont de parfaits exemples.


Les thèmes quant-à eux sont centrés autour des traumatismes de son interprète : "Faget" fait ressortir les séquelles d'un gosse humilié et harcelé par ses camarades qui trouve enfin à 24 ans la force nécessaire pour les clouer au sol dans des scansions raps hardcores des plus redoutables! "Divine" est une pulsion de violence pure et simple incarnée en musique autour d'un riff de guitare tordu et vicieux et une rythmique en béton armé qui vous fera headbanguer sans relâche avec un chant d'une férocité exemplaire en accompagnement! Des titres tels que "Predictable" ou encore "Helmet in the bush" sont à peine moins violents que le reste et font passer de réelles émotions de chagrin et de détresse très perceptibles dans la voix du chanteur que cela soit dans les accalmies ou dans les moments de colère. Les guitares de Munky et Head quant-à elles ne cessent d'ériger un véritable mur du son asphyxiant et non-mélodique du début à la fin...si mélodie il y a celle-ci demeure discrète, insidieuse, et finit toujours par s'échapper subitement comme tout espoir de voir un jour la lumière dans cet enfer sonore...ce délabrement permanent de l'âme humaine en proie à ses tourments! Mais le clou du spectacle vient avec l'horrible morceau final "Daddy" où la catharsis n'a définitivement plus rien d'un exercice de style : tout commence avec un chant a cappella triste et doux à la fois sur une mélodie poignante annonçant l'abandon de l'enfant par sa mère avant que le prédateur (mis en scène par le chanteur) ne débarque et exprime avec des mots crus ses intentions entre quelques phases de hurlements...Se mettre à la place de son bourreau 12 ans après avoir été abusé et déverser sa rage de la sorte pour l'expulser comme un vieux poison...je ne sais pas si c'est éthiquement condamnable mais en tout cas les pleurs auxquels parvient Jonathan à la fin du morceau n'ont rien d'une comédie et foutent vraiment mal à l'aise! Bref, "Daddy" est éprouvant...(au point d'user presque autant l'auditeur que le chanteur) il ne sera d'ailleurs jamais joué en live pour des raisons évidentes (Jonathan ayant presque toujours regretté d'être allé aussi loin et se sentant incapable de le réinterpréter sur scène à cause de la charge émotionnelle) excepté lors de la tournée spéciale anniversaire des 20 ans du disque...


L'album se conclût sur le chant d'une mère qui semble vouloir apaiser son enfant...mais étrangement cette voix douce et sereine après un tel déferlement de violence et de tristesse ne fait qu'amplifier le malaise....et ouf ça se termine! Bref, vous l'aurez compris : "Korn" est un album sombre...tellement sombre qu'il est même difficile de l'écouter d'une traite la première fois...à moins d'être particulièrement endurcit. Plus que l'audace des compositions et ce son si caractéristique et unique (raah cette basse faussement funk qui claque à tout bout de chant!), c'est sans nul doute l'interprétation sidérante de Jonathan Davis dont la colère et la tristesse nous remue les tripes qui font de cet album un chef d'oeuvre intemporel. Le point historique qu'il faut nécessairement soulever c'est que toutes ces trouvailles sont en fait le mélange de plusieurs styles ayant marqué le passé : le grunge, le hip hop, et bien sûr le début du metal alternatif (initié par des groupes tels que Rage against the machine, et faith no more). Mais la fusion que Korn propose de tout ceci est réellement novatrice, de même aucun groupe de metal alternatif n'était allé aussi loin en terme de violence...Korn venait d'inventer un nouveau sous-genre : le néo-metal.


Bien que le groupe soit encore loin d'être une super star internationale du metal en 94, que ceux-ci progresseront de manière indéniable sur un plan strictement mélodique (voire musicale), et que Jonathan Davis n'a encore rien du chanteur incroyable que l'on sait (sa voix proposera une palette bien plus riche à l'avenir et ne se complaira plus autant dans le hurlement), rien pour autant n'atteindra un tel degré de spontanéité et étrangement...de perfection que ce premier album traumatisant et déroutant. Il est de grands albums qui ne se donnent pas à nous immédiatement mais qui s'apprivoisent...Korn est indéniablement de ceux-là!

Venomesque
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le 4 nov. 2018

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