Avec Jurassic World qui arrive à grands pas, petit retour sur la dernière Bo que nous a proposé la licence Jurassic Park. Sublimée par John Williams dans le premier film, magnifiquement développé dans le deuxième, voici qu’un projet de suite voit le jour immédiatement après le Monde Perdu. Il voit le jour en 2001, mais abandonné par Spielberg puis par Williams (AI et Harry Potter la même année, faut pas déconner), le seul argument du film pour convaincre est l’action, devenant potentiellement nanarde, l’aspect scientifique et le travail des personnages ayant été complètement délaissé. C’est donc Don Davis qui a du composer et reprendre le travail de Williams, même si j’ai l’impression qu’il a beaucoup plus repris qu’innové ...


Cette Bo est un cas d’école, et montre bien le dilemme qui s’impose à un compositeur lorsque s’offre à lui la suite d'une licence déjà riche musicalement. Se démarquer et composer quelque chose de nouveau au risque d’être renié par les fans, ou reprendre ce qui faisait la saveur de la Bo d’origine pour bien montrer la continuité au risque de tomber dans le copier-coller ? Ce sont bien sûr deux solutions extrêmes, et, à l’image des films eux-mêmes, c’est toujours le juste milieu qu’il faut trouver : John Williams nous l’a prouvé de nombreuses fois avec Star Wars, Indiana Jones, et même Jurassic Park lui-même !


Le choix de Don Davis a clairement été de reprendre point par point le travail de Williams, tant au niveau thématique qu’orchestral. Autant c’est passable sur ce dernier point, autant au niveau thématique, il est tombé dans le piège prévisible du thème passe-partout : « Il est bien, le thème du Parc, si je le foutais absolument partout ? ». Bon, commençons par l’orchestration.


On retrouve toutes les idées de Williams amorcées dans le premier film, moins dans le second. En effet, les percussions tribales ne font pas d’apparition, laissant leur place aux plus classiques timbales. Les cuivres menaçants (trompettes et trombones en sourdine, trompettes agressives, ...), les voix pour illustrer la magie de la création « The Raptor Room », les cordes fragiles et hésitantes, ... Il y a peu ou pas d’innovation en matière orchestrale et ce afin d’obtenir le rendu le plus proche possible en matière sonore. La seule innovation consiste en une plus grande exploitation des bois, très présents ici (cor anglais, haut-bois, flûte de pan, ...) donnant lieu à de jolis apartés « Tree People », « Nash Calling », ...


Au niveau des musiques d’accompagnement, les idées s’enchaînent plutôt bien, même s’il n’y a rien qui surprenne plus que ça niveau qualité. Il développe son propre style : le tout est assez lent et calme, mais néanmoins marqué par le doute (cordes frêles et répétitives), ce qui est pertinent. Ça casse pas des briques par paquet de douze, c’est loin d’être mémorable (pas vraiment d’envolée mélodique, sauf lorsque l’on découvre - encore – les dinosaures herbivores), mais l’orchestre est néanmoins bien exploité de ce côté-là.


Par contre, au niveau des musiques d’action, c’est la fête du slip. Il a essayé de reprendre point par point le style de Williams, à savoir un enchaînement très rapide des arguments (avec beaucoup de dialogues entre les instruments), des techniques orchestrales qui lui sont propres (utilisation des cordes pour relancer les cuivres, effet « tourbillon » aux bois (dur à expliquer, ce sont des trilles couplées à des chromatismes ^^), vibraphone/glockenspiel couplé avec une flûte, ...), et au passage, on ne voit pas la différence en regardant le film, puisque seules quelques notes nous parviennent dans ces moments-là déjà chargées en décibels ! Par contre, dans la Bo elle-même ... c’est juste inaudible. Ces techniques sont très mal gérées, comme si elles étaient empilées dans le mauvais sens pour gagner du temps et coller au film (« Frenzy Fuselage », c’est aberrant). Williams créait une musique dynamique cohérente instaurant une tension dans le film avec de nombreux points de synchro, alors que Davis n’a cherché que la synchronisation et l’accompagnement dans le film sans se préoccuper plus que ça du sens donné à la musique : dans le cadre de l'action, elle ne remplit absolument pas la double fonction que Williams parvenait à donner à la sienne, à savoir synchro + cohérence sur la longueur (en d’autres mots, musique pour le film, et musique pour elle-même). Par conséquent, elles sont quasiment insoutenables, tant elles affichent des défauts apparents de construction et d’orchestration : les cuivres sont très très corrosifs, les cymbales et timbales sont omniprésentes, le tout sans que l’on sache où il veut en venir tant les mélodies n’ont aucun sens. Il y a vraiment dichotomie au niveau du dialogue entre les instruments pour ce qui est des musiques calmes et les musiques d’actions ^^


Maintenant l’aspect thématique. Le plus mal géré ... Trois thèmes seulement ont été composés pour le film, et je les ai déjà quasiment oubliés (et j’écoute toujours la Bo en écrivant, c’est dire ^^) : un pour le Spinosaurus qui ressemble trop à celui du T-Rex (repris lui aussi) pour être mémorisé, un autre pour les herbivores (très proche de l’esprit du premier du point de vue émerveillement et magie), et un dernier pour Eric, que je n’ai découvert que dans « The Hat Returns/End Credits » tant il n’est pas exploité, avec une sympathique reprise aux cordes d’un motif un peu simpliste. Voiiilà.


Pour résumer à quel point on est tombé dans la facilité, Don Davis réutilise plus les deux grands thèmes (Parc et Dinosaures) dans le 3, que John Williams lui-même dans le 2. Je pense que ça veut tout dire ^^ Là où les leitmotivs étaient subtils dans le Monde Perdu, ils sont ici absolument catastrophiques, et on s’en rend compte dès la première scène (« Isla Sorna Sailing Situation ») : au nom de quoi le thème du Parc accompagne l’envolée d’Eric en parachute ? Quel putain de rapport ça a avec le parc des dinosaures ?? Pourquoi le thème d’Hammond (celui qui introduit le thème des Dinosaures, ayant tous les deux le même motif mélodique au début) sert à accompagner le personnage de Grant ? Tu pouvais pas en faire un autre, il fallait absolument tout reprendre ?? Celui-là, il est censé représenter le rêve de John Hammond, sa volonté de faire revivre les dinosaures, et ce rêve devient réalité avec le thème des Dinosaures, exposé pour la première fois à la vue du brachiosaure dans le 1 ! Ici, Grant est en presque dégoûté, quelle cohérence ? Et en plus, avec la pianite aigüe lorsque qu'il se rend à sa conférence en voiture ! C’est juste parce qu’il parle avec sa femme ? C’est pas parce que Williams l’a fait une fois (à un moment autrement mieux choisi) que tu peux remettre ce leitmotiv n’importe quand ! Tout le film est comme ça, mais le pire ... le pire des leitmotivs, c’est le thème du Parc repris en version patriotique avec tambours et trompettes héroïques lors de l’arrivée des tanks et des hélicos ...


...


Qu’est-ce que putain de kwaaaaaa ?? C’est déjà n’importe quoi, cette arrivée dans le film, tu pouvais pas l’aider un peu ? Non, il fallait l’enfoncer plus encore en niquant la seule cohérence qui aurait pu être sauvée, celle de la musique ?! RAAAAAAH !!


Et même dans le final, copie quasiment plan pour plan, mesure pour mesure jusqu’au générique, il a réussi à foirer son coup ! Pour montrer qu’il a pas tout pompé sans rien faire, il change UNE note dans le thème principal, une note, et arrive quand même à le rendre moins bon ! Misère ... Soit tu te réapproprie le thème pour y faire de nombreux changements et donc une nouvelle version, soit tu reprends le thème tel quel, mais tu changes pas une seule putain de note pour dire que tu sers à quelque chose ! Dans ton cas, tu reprends un thème emblématique et quasi-parfait de base, comment espère-tu l’améliorer en changeant une seule fucking note ?!


Breeeef ...


Cette Bo est très inégale, allant du pourri au passable, mais là où elle vraiment instructive, c’est qu’elle montre les dégâts que peut occasionner un manque de créativité (ou une volonté de fan-service, mais les deux ne sont jamais très éloignés). Un cas d’école, je vous dis : comparez les Bo du 2 (composée par Williams lui-même, ce qui est encore plus ironique puisqu’il est censé être plus tenté encore que tout autre de reprendre son propre travail) et du 3 : le 2 change sans renier, et donne dans la qualité, alors le 3 veut se montrer fidèle, mais n’arrive ni à rendre hommage dignement au premier et à sa licence (en violant la cohérence thématique en long et large et en travers), ni à s’imposer en tant que Bo seule (l'intérêt de cette Bo est limité musicalement), ... J’aimerai bien nuancer en disant qu’elle soutient bien le film, mais la quasi-totalité des leitmotivs (quelques-uns pertinents subsistent, quand même) ne font que l’enfoncer ... Michael Giacchino, toi qui est spécialisé dans les suites (Star Trek, la Planète des Singes), qui est le plus proche de Williams en la matière, sauve-nous avec Jurassic World !

Soundtrax
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le 6 juin 2015

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