Locomotive concrète & méditations paisibles : le train-train spirituel de John Fahey

Nous voilà déjà au Volume 6, un an à peine après le Volume 4. Mais si c'est logique puisque le Volume 5 est considéré comme étant The Transfiguration of Blind Joe Death dans les rééditions, qui est lui-même sorti un an avant le volume 4 et un an après le 3. C'est pourtant clair. M'enfin passons ; après une belle constante d'un disque par an depuis 1963, John Fahey entame sa période la plus faste. 1967 apportera deux albums, 1968 en apportera trois (et parmi ces derniers rien de moins que mon favori). Le premier d'entre eux est donc ce présent Volume 6 : Days Have Gone By, qui jouit d'une réputation un peu particulière parmi les amateurs du bonhomme : son album spirituel.


Beaucoup se sont vus tout particulièrement touchés par les esprits convoqués ici par le feeling ineffable de Fahey. Et je peux comprendre pourquoi. Il s'agit sans doute des mêmes qui ont senti leur fibre psychédélique vibrer pour la face A du volume 4. De fait, sorti un an après, Days Have Gone By est tout ce que The Great San Bernardino Birthday Party etc peinait à être. Là où ce dernier était incertain, maladroit, trop perché et erratique (ce qui lui valu d'être taxé de psychédélique au grand dam de son auteur), ce Vol 6 est réfléchi, précis, mature et cohérent. Prenez le premier quart d'heure, ponctué de perles à la « Impressions of Susan » ou « Joe Kirby Blues », qui fait tout ce que faisait « TGSBBP » – c'est à dire un jeu énigmatique, un enregistrement distant, des échos qui s'étendent et des tiroirs mélodiques qui se nouent les uns aux autres – mais en plus affuté et efficace.


Là comme ça on dirait un peu l'album idéal, mais j'ai malgré tout un problème avec ce disque. Un seul, mais qui prend de la place. Ça se complique donc avec l'arrivée du « Raga Called Pat ». La veine expérimentale entamée avec le disque précédent se voit pleinement réactivée sous des traits transfigurés ; ceux de la musique concrète. Car l'ami Pat dévoile un goût prononcé chez John pour les locomotives – leur sifflement massif et surtout la puissance métallique percutante et répétitive du martèlement des roues sur les rails – les petits oiseaux et les manipulations de bandes. Certes « Knott's Berry Farm Molly » présentait des bandes passées à l'envers, mais en un an Fahey passe à un tout autre niveau d'ambition et de subtilité. Ainsi la première partie nous embarque en locomotive, alors qu'émerge petit à petit un raga enfiévré, le premier du genre par Fahey (même si Robbie Basho explore cette voie depuis plus de deux ans), tandis que la seconde, plus longue, se montre bien plus contemplative, proposant ce qui ressemble à un enregistrement brut de Field Recording capté dans un pré ou autre, avec quelques notes de guitare en fond, comme si Fahey était situé dans une autre clairière 50 mètres plus loin (la guitare est parfois indiscernable). Là où arrive mon problème personnel avec toute cette histoire, c'est que par sa position dans le disque – c'est à dire en plein milieu puisque la partie 1 clôt la face A et que le 2 entame la B – « A Raga Called Pat » coupe deux plages mélodiques de guitare par un long ventre contemplatif (14mn tout de même). Lors d'une écoute même attentive, je perds le fil du disque, mon attention divague... Certains voient peut-être cela comme l'expérience spirituelle proposée par le disque, moi je ne peux m'empêcher de ressentir une certaine frustration. « My Shepherd Will Supply My Needs » qui suit juste après propose huit minutes tranquilles pour faciliter le retour depuis la méditation en pleine nature au jeu de guitare plus traditionnel, et le disque s'achève sur quelques douceurs mélodiques du plus bel effet.


La variété de ce que propose Days Have Gone By constitue sans doute sa force et se faiblesse. Et si je continue à penser que son tracklisting joue en sa défaveur, le disque demeure un essentiel de Fahey et contient le meilleurs des deux mondes ; de l'expérimental accessible et du mélodique intemporel. Ceci sera bien sûr loin de contenter le guitariste avant-gardiste, qui s'engouffrera encore plus profondément dans son amour du collage sonore dans le disque suivant. Pour le meilleur et pour le pire.

T. Wazoo

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