Pendant longtemps, j'ai honni In the Wake of Poseidon. Comme beaucoup, j'ai déconsidéré cet album, n'y voyant qu'une piètre resucée de In the Court of the Crimson King, une preuve de fainéantise d'un groupe pourtant si inventif et virtuose. Mais avec le temps, je me suis mieux renseigné sur King Crimson, j'ai redonné ma chance au groupe, pour finalement découvrir que j'étais dans le faux, et de facto que certaines choses étaient plus excusables.


Pour comprendre In the Wake of Poseidon, il faut d'abord contextualiser un peu. Après la sortie du premier album et une tournée bien accueillie (notamment par Jimi Hendrix himself, parait-il que c'est un honneur), King Crimson a explosé en plein vol. Les différends artistiques ont débarqués, avec Ian McDonald et Michael Giles qui voulaient quelque chose de plus lumineux que la direction plutôt sombre qu'empruntait Robert Fripp. Ce dernier voulait d'ailleurs partir, mais le batteur et le souffleur ont finalement pris le large. Pire encore, Greg Lake annonce son départ, afin de rejoindre Keith Emerson dans les aventures les plus superfétatoires du rock progressif (aka Emerson Lake & Palmer). King Crimson en 1970, c'est donc le guitariste Robert Fripp, devenu également claviériste, et le parolier Peter Sinfield.
Du coup, il a fallu recruter pour le deuxième album. De nombreux noms ont circulé, notamment celui d'Elton John. Mais finalement, Lake revient au micro, tandis que le reste des instruments est assuré par des requins de studio. C'est d'ailleurs drôle d'y retrouver Michael Giles, qui embarque avec lui son frangin Peter à la basse. Cela a dû rappeler à Fripp les années Giles Giles & Fripp. Parmi les nouveaux, on note l'arrivée de Mel Collins aux vents, et du pianiste Keith Tippett qui n'intègrera jamais King Crimson comme membre officiel. Enfin, un certain Gordon Haskell au chant débarque, pour Cadence and Cascade, initialement chantée par Lake mais dont la version finira dans un placard avant de revenir en 2010. Et avec tout ça, impossible de faire des concerts.
Bref, en gros il y a de gros mouvement de foules, impliquant notamment une urgence dans la gestion des troupes et un manque de temps pour composer. Sauf que... l'on pourrait dire que Fripp commence déjà à appliquer une de ses méthodes, à savoir le recyclage. L'avenir nous montrera que quelques morceaux de King Crimson sont en fait des extraits d'improvisations ou de compositions abandonnées pour un temps avant d'être reprises. Sous cet angle, on comprend mieux la « redite ». On voir également que la domination de Fripp prend court, la majorité de l'album étant composée par le guitariste.
Concrètement, cependant, ça donne quoi ? In the Wake of Poseidon est un album plus inventif qu'on ne le pense. D'abord, les morceaux réutilisés et/ou inspirés de précédentes compos sonnent comme une volonté de mise à jour, de perfectionnement d'un modèle. Bon, enfin, difficile d'être satisfait avec "Pictures of a City". Nommé à l'origine "A Man, A City", ce décalque de "21st Schizoid Man" est bien trop proche pour être bien vu. Enfin, je suppose qu'il n'aurait pas été si dénigré s'il avait figuré sur In the Court. Hé oui, "Pictures of a City" est contemporain de son modèle, et était même joué régulièrement sur scène dès 1969 ! Sans doute que Fripp aimait suffisamment ce morceau pour le caser. Le morceau-titre, pour sa part, renvoie immanquablement à "Epitaph", avec le côté dramatique en moins. Non seulement ça n'en fait pas un morceau médiocre, mais en plus il peut plaire à ceux qui se disent saoulés par l'emphase trop forte du morceau culte de 1969 (même si en vérité ce sont des mécréants mais passons). Enfin, il n'est pas étonnant de trouver la signature de Ian McDonald sur "The Devil's Triangle", autre reliquat des concerts de 1969. En revanche, comme il s'agit d'une adaptation du célèbre "Mars" de Holst, où est le nom de ce dernier ? Je veux bien que le morceau soit un peu vieux, mais de là à « oublier » son nom, Bob, je suis moyennement d'accord. Sinon le morceau en lui-même est cool, mais il faut mieux préférer les versions du live "Epitaph".
Plus étonnant est de retrouver le nom de McDonald aux crédits de "Cat Food", chanson inédite. Ce court (hahaha) morceau de King Crimson est sans doute le plus clinique, le plus dérangé de sa première vie. Dommage qu'il traine en longueur, un peu de concision aurait été de mise, comme sur "Cadence and Cascade". Cet intermède (de 4 minutes) entre "Pictures of a City" et "In the Wake of Poseidon" est fort éthéré et joli, bien qu'un peu creux. Et puis il y a les "Peace", trois petites pièces minimalistes qui permettent d'aérer le tout, ce qui est cool.
Bref, In the Wake of Poseidon ne mérite pas d'être trainé dans la boue. Tout au plus les « reprises » peuvent faire grincer des dents, mais pas tant que ça en fait. King Crimson se perfectionne, et ce dans la difficulté, ce qui est admirable. Mais la galère continue, puisque Fripp et Sinfield se retrouvent à la sortie de l'album à nouveau seuls, comme des cons. Il faut de nouveau recruter, pour un album tout aussi sous-estimé, mais pour d'autres raisons.
Walter_Smoke
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le 13 avr. 2019

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