« Votre progéniture est dans la lune, c’est impressionnant »

Josephine Foster est une auteure-compositrice-interprète américaine, originaire du Colorado. Initialement, elle aspirait à devenir chanteuse d’opéra. Et cela s’entend.
En effet, il y a plusieurs types de sopranos, des plus puissants (sopranos dramatiques) au plus aigus (soprano léger). Selon l’esthétique classique, la voix de soprano s’est construite sur une homogénéité du timbre (pas de sensation de brisure du timbre du grave à l’aigu). Les sopranos travaillent souvent les graves pour ne pas utiliser la voix de poitrine (au niveau du thorax).
La voix d’une soprano est corsée et autoritaire mais peut aussi être souple et agile, aussi à l'aise dans le grave que dans l'aigu, voire le suraigu, glissant de l'un à l'autre sans efforts apparents. Cela se retrouve dans la voix de Josephine Foster, elle utilise même des glissandos parfois qui en rajoute à son caractère mélodieux. En effet, dans le chant lyrique, selon Crosti (professeure et artiste lyrique) la résonance peut prendre appuie sur la voute palatine (le palais) et le son est produit par la glotte. En fait, le son est envoyé vers les sinus frontaux (on en a deux, au niveau du front, semblable à des cavités remplies d’air, servant notamment à réchauffer l’air) et le son frappe les parois supérieures du palais. On appelle cela la voie palatale (à l’intermédiaire entre la voix de poitrine et la voix de tête). Je trouve que ce placement de la voix se retrouve dans la technique de Josephine Foster notamment dans les aigus, ce qui donne une réelle puissance à sa voix.
Bref, petit aparté juste pour exprimer le talent de la chanteuse (loin de moi l’envie de ramener ma science mais ça me paraît intéressant).

Son univers musical est empreint de poésie. Après avoir interprété de vieilles complaintes germanique (album « A Wolf in sheep’s clothing ») puis des chansons pour enfants (album « Little Life »), Josephine Foster a aussi rendu hommage à la poétesse Emily Dickinson dans son album « Graphic As A Star ».

En 2013, sort son album « I’m a dreamer » qui est inspiré de la musique country. La chanteuse est simplement accompagnée par un piano, une contrebasse, une batterie, une guitare, un peu de violoncelle et un harmonica (fou mais vrai, j’ai appris que l’harmonica est l’instrument le plus acheté dans le monde, on s’en contrefiche mais j’aime bien l’anecdote). C’est minimaliste mais maitrisé car sa voix est d’autant mise en lumière, envahissant notre corps, et renforce la beauté saisissante des sonorités si particulières propres à son chant. Josephine Foster s’amuse, elle tord sa voix et l’emmène tantôt dans un pays lointain empreint de légèreté tantôt dans une contrée plus obscure, plus rocailleuse.
Cet album peut sembler assez « normal » comparé à d’autres de ses albums, même si « normal » dans son registre est une hyperbole, car « étrange » reste tout de même l’adjectif adéquat pour parler du travail de la chanteuse.
« I’m a dreamer » est fait pour les rêveurs (sans mauvais jeu de mots), je crois. Sa voix est à la fois puissante par moment et fragile et nous pousse dans nos ressentis les plus profonds et les souvenirs les plus poignants.
Au premier abord, sa voix peut paraître désagréable,dérangeante par moment car loin d’être simple. J’ai moi même été réticente lors de l’écoute du premier titre « Sugar pie, I’m not the same » mais s’en suit « no one’s calling your name », attendrissant, et la douceur et la fragilité innocente de cette voix nous émeut tout à coup. Le vibrato nous noue le ventre. Je ne suis pas une adepte des vibratos trop prononcés, mais je trouve que dans sa voix, l’équilibre est parfait et rajoute ce côté mystique et irréaliste. Elle jongle entre puissance et vigueur (« My wondering heart) et tendresse (« Amuse a Muse ») où on retrouve ce côté ludique, de l’importance de garder sa muse heureuse au lit (au sens figuré, supposons).

Les notes fusent et sa voix suit, elle lézarde dans les contrées de l’imaginaire et de la légèreté, teintant le tout de mysticisme.

La chanteuse est a l’image de sa musique, insaisissable. En effet, elle ne fait pas de concerts, et semble vivre dans un monde reculé, comme dans un monde féerique dont seule elle détient les clés, elle nous offre quelques hublots pour y pencher la tête de temps en temps. Inconsciemment, cultive-t-elle son irréalisme ?

Le seul problème de cette artiste, est que lorsqu’on découvre sa musique et que l’on en tombe amoureux, il est hélas bien compliqué, quand la discographie entière de cette femme a été tournée, retournée et re-retournée dans tous les sens, de trouver d’autres voix qui puissent nous émouvoir autant. Fichtre, elle est unique.

Je finirai simplement par un petit message de prévention : écoutez cet album et les autres lorsque votre moral vous le permet, c’est à dire lorsque qu’il ne côtoie pas intimement les chaussettes et que vous n’êtes pas dans un état proche de l’Ohio.
De plus, si vous êtes des rêveurs compulsifs, et aspirez à réinvestir la réalité du mieux que vous pouvez, ça n’est cordialement pas non plus le moment.

-Ys
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Albums et Les albums de Josephine Foster

Créée

le 2 sept. 2022

Critique lue 137 fois

7 j'aime

13 commentaires

-Ysé-

Écrit par

Critique lue 137 fois

7
13

Du même critique

Nunsexmonkrock
-Ys
8

Punk, Rock et Opéra ?

Nunsexmonkrock est le premier album solo de Nina Hagen, sorti en 1982, après les deux albums du Nina Hagen Band (en 1978, album éponyme et en 1979, l'album "Unbehagen"). Cet album est différent des...

le 18 janv. 2023

9 j'aime

9

La Maman et la Putain
-Ys
6

L’ado en crise de la quinzaine, la mamma italienne et la putain à l’allure de nonne

Bon, je préfère faire des critiques positives habituellement, mais ce film me taraude, alors j’use de l’énergie, à bon escient, ça je ne sais pas. «  La maman et la putain » est un film dépeignant la...

le 18 janv. 2023

8 j'aime

25

Babylon
-Ys
3

Pétaouchnok ou pétardlechnock

Je vais potentiellement me faire dégommer (et accessoirement perdre mon temps), mais comme j’aime bien écrire, j’ouvre le clapet..Aaaaah Baby, baby, baby, babylon, babylong, babytroplong,...

le 21 mai 2023

7 j'aime

14