We stan Charli. Nous nous prosternons devant notre queen, dont la musique est probablement la meilleure chose qui soit arrivée à la pop ces dernières années. Vous l’aurez compris, cette critique sera l’œuvre d’une fanzouze, et souffrira fatalement d’un manque de recul dû à l’adoration sans limite de ladite fanzouze envers queen Charli.


Au diable la retenue et la mesure ! Après tout, les utilisateurs de sens critique sont humains et veulent du pain et des jeux, à savoir une critique assassine et gratuite ou au contraire, un éloge gratiné qui dégouline de complaisance. L’entre deux n’est hélas guère vendeur… Voilà donc pour vous lecteurs avides de divertissement, une généreuse plâtrée de louanges mielleuse, à consommer jusqu’à l’étouffement.


Pour les non-initiés, on pourrait grossièrement résumer la carrière de Charli XCX en deux parties : avant et après sa collaboration avec le label PC Music. Autrefois perçue comme une pop star plutôt classique, Charli a réellement trouvé sa voie et pris son envol musical à la suite de sa rencontre avec l’équipe d’A.G. Cook, patron de PC Music. Depuis 2016 et son EP Vroom Vroom, la chanteuse britannique a développé un son plus industriel et avant-gardiste pour créer une pop futuriste et audacieuse, que certains n’hésitent pas à qualifier de post-pop.


Avant de parler musique, attardons-nous sur la genèse si particulière de ce nouvel album. Après le succès critique de son précédent album Charli en 2019, notre pop queen préférée doit comme de nombreux artistes interrompre sa tournée de 2020 en raison de l’épidémie de coronavirus que nous traversons à l’heure actuelle. Elle en profite pour rejoindre son boyfriend et ami de longue date Huck Kwong à Los Angeles pour passer leur confinement ensemble. Seulement voilà, l’isolation sociale n’est pas suffisante pour dompter l’hyperactivité créative de Charli, et un album est annoncé pour le 15 mai 2020, soit seulement 2 mois après le début du confinement !


Cet album est un tour de force à plusieurs niveaux : le rendu final est assez bluffant pour un si court laps de temps et on ne peut que s’incliner devant la productivité et la vitesse d’exécution de l’artiste britannique et ses collaborateurs, mais c’est aussi le processus de création qui est remarquable ici. Très proche de son public, Charli s’est attachée à impliquer ses fans durant les différentes étapes de la confection de son album : partage de démos, invitation à des réunions ZOOM en direct, artworks collaboratifs, discussion sur les paroles, participation aux clips… Dans un secteur où règnent le paraître et l’artificiel, la chanteuse a fait le choix de se mettre à nu, partageant sa vie et son intimité avec une transparence touchante. Ses doutes, ses pleurs, ses joies… toutes ses émotions transparaissent dans ses vidéos. L’heure n’est pas au voyeurisme malsain, pourtant de rigueur sur les réseaux sociaux, mais bien au partage et à la communion.


En ce sens, How I’m Feeling Now est probablement l’une des meilleures choses qui pouvaient nous arriver en cette période de quarantaine. C’est une célébration des possibilités offertes par l’ère numérique, qui permet d’interagir avec sa communauté et l’impliquer dans le mécanisme créatif, mais aussi de créer de la musique par simples échanges de fichiers, sans avoir à se rencontrer physiquement dans un studio ! En se dématérialisant, le processus de création musicale s’est démocratisé et a rendu possible l’émergence d’une nouvelle vague de groupes et d’artistes indépendants, capables de fabriquer et partager leur musique depuis leur chambre (Superorganism ou Clairo par exemple). Libérés des contraintes des labels et des grandes maisons de disques, ces artistes nous proposent une musique toujours plus innovante et créative, pour peu que l’on veuille bien s’intéresser à eux. Ne croyez donc pas les apôtres du conservatisme affirmant haut et fort que « la musique c’était mieux avant » (que nous appellerons « boomers » par la suite), ceux-là n’ont probablement jamais voulu prêter leur attention à la profusion musicale offerte par l’ère moderne, qui est loin de se limiter aux quinze chansons qui passent en boucle sur NRJ et Fun radio. Les règles ont changé, et Charli est là pour nous le rappeler avec How I’m Feeling now.


Cool kids in, boomers out.



Dissection de forever, morceau pop de l’année



Assez parlé de la forme, attaquons-nous au fond. How I’m Feeling Now s’inscrit dans la continuité des derniers projets de Charli XCX, en proposant une pop toujours plus radicale. Produit en grande partie par A.G. Cook, l’album regorge de sonorités électroniques industrielles, d’autotune et de distorsion/saturation en tout genre.


Comme à son habitude, Charli fait étalage de sa science du songwriting pour nous offrir des mélodies irrésistibles, des refrains imparables, et des build-ups laissant place à des drops fracassants. La meilleure illustration de ce savoir-faire est la chanson forever, la meilleure de l’album selon moi. Les couplets sont dignes d’un film de science-fiction : la voix de Charli est saturée et modifiée pour lui conférer un aspect surnaturel, tandis que les synthés et percussions opèrent d’étranges va-et-vient en arrière-plan. Tout à coup, la saturation et l’instrumentation se coupent pour laisser place au refrain et à la voix maintenant très claire de Charli, qui répète sur des claviers discrets :



I will always love you / I’ll love you forever / Even when we’re not together



Cette déclaration, simple et touchante, exprime la frustration liée à leur éloignement lors de ses tournées, mais également la foi inébranlable de la chanteuse dans leur relation. Petit à petit, les claviers s’amplifient et les percussions synthétiques reprennent place, laissant présager un drop qui n’arrivera finalement pas. Loin de frustrer l’auditeur, ce build-up avorté ne fera que renforcer l’importance du drop à la fin du deuxième refrain. Entretemps, dans un nouveau couplet, Charli aura eu le temps de développer l’ampleur de ses sentiments envers son compagnon. Ce qui donnera encore plus de poids aux paroles du refrain, les rendant presque incantatoires. Le build-up refait son apparition, laissant cette fois-ci sa place à un drop dévastateur. Le fracas électronique qui en résulte est une libération pour l’auditeur, qui comprend enfin toute la violence des sentiments qu’éprouve la chanteuse envers son compagnon.


L’efficacité de forever ne réside donc pas dans son refrain, comme c’est le cas pour la plupart des chansons pop, mais dans la construction de son drop final. Le génie de Charli et de ses producteurs consiste ici à brouiller les pistes en fonctionnant par contraste entre couplet surnaturels et refrains calmes qui s’amplifient, laissant croire qu’un drop arrivera à la fin du premier refrain. En réalité, toute la chanson n’est qu’un build-up progressif vers ce drop final, dont la puissance est décuplée par la déclaration d’amour passionnée de la chanteuse. Son sentiment de frustration amoureuse mêlé d’optimisme et de confiance est universel, et permet à chacun de se reconnaître et de s'identifier dans les textes de Charli, rendant une nouvelle fois le drop absolument irrésistible, et l’afflux de dopamine inévitable pour l’auditeur. Il m’est personnellement impossible d’écouter cette chanson sans avoir la chair de poule et les larmes aux yeux, sans même avoir vécu une situation similaire. Forever démontre encore une fois toute la classe de queen Charli dans la construction de ses chansons, et est entré avec fracas au panthéon des meilleures chansons pop qui n’ait jamais existé.



That bitch can rap !



How I’m Feeling Now ne se limite pas à l’excellent forever, et comporte une flopée d’excellentes chansons. Si A.G. Cook a signé la co-production de la majorité de l’album, il faut également saluer l’apport de Dylan Brady, moitié du duo 100 gecs, sur les morceaux claws et anthems. Charli avait déjà collaboré au début de l’année avec le duo du Missouri sur un remix de ringtone, qui est un véritable earworm electropop impossible à se sortir de la tête, sur lequel Charli avait taillé un couplet d’une efficacité chirurgicale. Parmi les 3 guests du remix (Kero Kero Bonito, Rico Nasty et Charli XCX), on sentait d’ailleurs que c’était l’artiste britannique qui avait la meilleure alchimie avec l’atmosphère glitch pop et bubblegum bass de 100 gecs. Il est donc logique et réjouissant de les voir collaborer à nouveau sur How I’m Feeling Now.


Sans surprise, on retrouve les deux univers colorés de 100 gecs et de Charli XCX sur les deux morceaux claws et anthems, à grand renfort d’autotune, de kicks protéinés et de claviers démentiels. Mention spéciale à anthems, qui atteint des sommets de violence sonore rarement égalés dans la pop. Prenez le riff du refrain du remix de day n nite par Kid Cudi, accélérez-le, ajoutez-y de la saturation et vous obtiendrez l’ossature du morceau. La voix, ou plutôt le râle de Charli sur le refrain paraît sortir des entrailles d’un démon en quête de sang. Tout dans ce morceau sent la sueur et le pogo, vivement la fin du confinement qu’on puisse à nouveau en profiter !


Musicalement, How I’m Feeling Now voit notre pop queen utiliser des influences rap encore plus prononcées, tant au niveau de son chant qu’au niveau instrumental. Les hi hats frénétiques et les basses rondes des morceaux party 4 u et 7 years sont particulièrement en vogue dans la scène rap actuelle par exemple. Mais c’est surtout au jeu des ad-libs que Charli se démarque, et prouve qu’elle n’a rien à envier à la majorité des rappeurs. That bitch can rap ! Elle aime se prêter à cet exercice dans de nombreux outros, ce qui donne un côté encore plus délirant, psychédélique et renforce ainsi le sentiment d’euphorie générale qui est mis en avant dans ses productions pop. Citons encore le morceau 7 years, qui réussit parfaitement la jonction entre pop sentimentale, rap autotuné et electropop tonique.


Les rares faiblesses qu’on pourrait reprocher à cet album résident dans son storytelling limité, la quasi-totalité des chansons tournant autour de sa relation amoureuse avec son compagnon, et son relatif déséquilibre, avec un milieu d’album plutôt mou par rapport à son début et sa fin. Toutefois, peut-on vraiment en vouloir à Charli d’explorer cette thématique, elle qui se retrouve confinée avec son boyfriend après des années de relation à distance ? De même, rappelons-nous que l’album a été conçu en moins de deux mois…


How I’m Feeling Now s’impose comme un temps fort musical de la crise que nous traversons. Par sa qualité et son processus de création si particulier et rapide, cet album est une nouvelle démonstration du génie débordant de Charli et de son talent à s’entourer des bonnes personnes pour repousser encore un peu plus les limites de la pop.


Quand la pandémie prendra fin et qu’il faudra raconter cette période à mes petits-enfants, l’homme sénile que je serai répondra du tac au tac :



« Vous ai-je déjà narré les exploits de Charli XCX, qu’on surnommait
la quarantine queen ? »




  • En quelques mots: L’album emblématique de la quarantaine

  • Coups de cœur: pink diamond, forever, claws, party 4 u, anthems

  • Coups de mou: I finally understand

  • Coups de pute: RAS

  • Note finale: 8

JLTBB
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le 16 mai 2020

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