Bien évidemment, les Kinderszenen par Horowitz sont une référence, pour leur douceur, leur tendresse même, mais aussi par leur profondeur et toute la sensibilité qui vient véritablement illuminer l’œuvre sous les doigts d’Horowitz. Mais j’avais davantage de doutes et d’appréhension quant à la D.960, répertoire dans lequel, en apparence du moins, l’on attend - beaucoup - moins le pianiste - bien que son interprétation disponible chez Sony soit, je pense, un petit chef d’œuvre.


Il m'a fallu du temps avant de me décider à écouter la dernière sonate de Schubert par Vladimir Horowitz. J'ai par le passé pris l'habitude de parler "d'Horowitz" plus que de "compositeur". On a notamment reproché au Beethoven que jouait le pianiste russe d'être trop proche de Chopin, d'être hors-sujet, comme cela a pu être le cas dans Mozart, par exemple. Je reconnais en revanche un extraordinaire talent à Horowitz dans Rachmaninoff, Liszt, Chopin, Scarlatti et bien sûr Scriabine ( il est pour moi l'interprète idéal de la troisième sonate, avec Vladimir Sofronitsky ) et Schumann, dont j’ai parlé plus haut.


Je savais avant de me lancer dans mon écoute que cette D.960 alimentait les débats. Ma première impression fut une sonorité plus que remarquable. Vint au fur et à mesure du développement du mouvement un sentiment de perfection rarement atteint dans l'œuvre, digne de Clara Haskil ou Clifford Curzon. Mais est-ce la perfection que voulait atteindre Schubert ? L'interprétation d'Horowitz est résolument optimiste, pleine de lumière, avec mille couleurs. Un paradoxe venait donc aussitôt : c'était d'un côté extrêmement travaillé et beau, et de l'autre sans doute trop orignal, trop parfait, extravagant. Et n'est ce pas le propre des grandes versions d'être extravagantes : Yudina, Sofronitsky, Richter, pour ne citer qu'eux, sont extrêmes dans leur interprétation, certes, mais Serkin, Brendel ou Lupu ne le sont pas du tout, bien au contraire.


Le deuxième mouvement me paraît plus contrasté. Nous pouvons retrouver la magnifique sonorité qui m'enthousiasmait beaucoup dans le mouvement précédent. Mais je trouve que cet Andante manque cruellement de pathos : j'ai souvent l'impression de retrouver Schubert sur son lit de mort à rêver, à anticiper la fin, mais ici c'est entre deux eaux, je ne sais pas très bien où Horowitz cherche à nous emmener, et je trouve que cela manque de cohérence. Cela reste très beau en "matière" : je suis servit en "son" mais pas en "sens".


Le Scherzo est très rythmé naturellement, pas la peine d'en faire plus. Horowitz cherche le rebond, et pourtant il retombe. C'est en apparence très sautillant, mais le morceau n'arrive pas à monter. J'ai le sentiment que les phrases sont simplement posées, voir jetées, les unes à côté des autres. Une nouvelle fois, je trouve que cela manque de cohérence. La sonorité reste magnifique, je retrouve dans l’ensemble la même impression que l'Andante. Ce troisième mouvement me rappelle souvent une source qui s'écoule, et là c'est bien trop saccadé. En revanche le dernier mouvement, noté Allegro ma non troppo, est réussi à l’aise de ce qui selon moi ratait le Scherzo. Ici c'est très saccadé, mais la musique l'exige et cela créé un excellent rebond. Enrobez le tout avec une sonorité magique et vous obtenez le Final idéal, très puissant.


En considérant cette interprétation dans sa globalité je retiens donc une grande puissance, particulièrement en terme de "son". Il est cependant dommage que le sens manque dans les deuxième et troisième mouvements. Autrement c'est une excellente interprétation que je conseille malgré tout, à découvrir au même titre que les autres que j'ai cité avant.

Créée

le 28 janv. 2023

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