Homme Studio -1970/1975
7.4
Homme Studio -1970/1975

Compilation de Henri Salvador (2021)

Henri Salvador était...non, il est un prince de la musique, de l'humour, du groove, du swing, de la décontraction, de l'irrévérence, de textes en apparence légers et le prouve à travers cet album où il s'affranchit de tout ce/ceux qui l'entoure(ent) pour produire lui même seul sa musique. Il se noie à l'image de la magnifique pochette dans la technologie musicale qu'il asservit pour des arrangements très moderne (en 1970) et variés.

Grand guitariste et grand compositeur il nous éclate de rire avec des titres hilarants et rOcK (guitare Fuzz son sale, boite à rythme foldingue) tels que "Sex Man" (j'en ris encore, un tube à la Gainsbarre mais tellement 1er degré) un titre unique à l'époque de la pilule

Sex Man / Batman même combat pour le blues :

https://www.youtube.com/watch?v=kK4H-LkrQjQ

ou "J'aime tes g'noux", nous pousse à la réflexion avec "Le temps des cons" (très groovy Fonky lent), nous montre en 2023 que comme en 70 rien n'a changé avec "On l'a dans l'baba", nous balance un espèce de jazz chaloupé un rien reggae pour dire à Jésus que tout est foutu !

Salvador quel guitariste, il jouera même avec Django qui aime son jeu tropical !

Homme Studio, Salvador un vrai précurseur :

Pour cet album notamment il enregistre seul dans son home/homme studio situé dans son appartement de la place Vendôme et il est certainement le premier à utiliser en France une boîte à rythmes. En effet les premiers tubes avec de la boite à rythmes remontent à la toute fin des années 60 et enregistrer chez soi et bien c'est tout neuf ! Henri Salvador dans sa volonté de ne plus être dépendant des maisons de disque a une démarche d'une modernité étonnante et surtout sonne comme absolument personne d'autre à l'époque dans l'Hexagone.

Oui Henri était un prince salvateur qui nous protégeait de la grisaille, de la monotonie, de l'ennui par ses pantalonnades désopilantes et le peut encore grâce à la technologie du disque, du MP3. A travers cet humour, ces paroles "débilo" filtrent toutefois les grands problèmes de son/notre époque ou encore d'une angoisse enfouie au plus profond celles des grands humoristes terrorisés par la vie, la mort, les hommes mais qui à grandes louches de bêtises parviennent à tenir le coup envers et contre tout et à travailler, travailler, travailler jusqu'à l'épuisement à l'image de son camarade Boris Vian avec lequel il collaborera pendant 10 ans et à créer à partir de rien des albums intemporels.

QUI ETAIT HENRI SALVADOR :

Ci dessous un copié collé d'un article paru sur Bandcamp et qui illustre bien le bonhomme, sa vie et une partie de sa carrière. J'y reviendrai certainement dans une autre critique pour parler de sa collaboration avec le grand Boris Vian.

Une vedette de la chanson qui tourne le dos au showbiz pour devenir artiste indépendant, téléguidé par les idées visionnaires de sa femme Jacqueline dans la France des sixties. C'est le parcours atypique d'Henri Salvador, qui le conduira à devenir une star puis à se marginaliser de tout le circuit du disque pour fabriquer sa musique depuis son salon avec ses guitares. A cinquante ans, Salvador se met aux synthés, aux boîtes à rythmes, aux multipistes, aux collages de voix truquées, au montage, au mixage et produit en solitaire depuis la place Vendôme des chansons pour petits et grands.

«Malheureusement, les belles chansons ne font pas une carrière extraordinaire. Ce sont des chansons qui existeront après ma mort.» (1969)

Comment raconter Salvador? Soixante-dix années de musique, un millier de compositions couvrant tous les styles. Il a connu chaque courant, chaque mode, en a inventé d'autres, s'en est approprié certains. Il est parfois associé aux yéyés, on dit qu'il a importé le rock en France (1956, avec Boris Vian). Pourtant, il a 26 ans de plus que Johnny Hallyday. Quand il sort Zorro est arrivéen 1964, il a 47 ans… et Jardin d'hiver, 83 ans. Vu d'aujourd'hui, ça fout le vertige. On ne sait jamais s'il est jeune ou vieux, on ne sait pas où le classer: jazzman, crooner, amuseur, compositeur, guitariste, chanteur pour gosses…

Enfant, il s'approprie la guitare sans connaître le solfège et devient si fort qu'il accompagne Django Reinhardt. Il apprend seul à chanter et composer. Les années 30 marquent son apprentissage. Les années 40 sont celles de l'émancipation au sein d'orchestres où ses talents s'épanouissent. Il y développe son public et ses trucs: éclats de rire et séduction. Les années 50, il retrouve les airs des îles de son enfance, renoue avec le jazz, le swing, le blues. Il chante pour les petits. L'inoubliable «chanson douce». La voix mue. Sa gouaille laisse place à un talent multiforme, il remplit les salles, s'entoure de paroliers solides, enchaîne les classiques. Le blues du dentiste, Dans mon île, Syracuse.

«Ma femme m'a tellement bien compris qu'à présent elle peut penser pour moi. Quand elle a une idée, pour ainsi dire, c'est une idée de moi!» (Télé Magazine, 1972)

Jacqueline va le façonner et l'émanciper. Quand il l'épouse en 1950, c'est une jeune femme discrète et érudite qui prendra peu à peu en main sa carrière. Elle imposera ses vues et son tempo frénétique. Témoin du showbiz, Jacqueline constate que les artistes, écartés des discussions professionnelles, sont souvent spoliés. Henri brise tour à tour les chaînes qui l'unissent à Philips, Vogue, Barclay, son éditeur, son manager, son impresario, et devient autonome. Les Salvador se familiarisent avec les ficelles de la production, de l'édition, du pressage, de la distribution et de la promotion. Il y aura toujours chez eux de quoi enregistrer une maquette. L'appartement est truffé de magnétos. Un au pied de son lit pour la guitare. Un autre dans son bureau pour le Steinway. Sur tous les fronts il collectionne les hits, invente, parodie, adapte, produit.

Le label Rigolo naît Place Vendôme. Pourquoi Rigolo? «Parce que c'est rigolo», répondait-il. Les clips faits maison sont diffusés dans des émissions télé qu'ils produisent eux-mêmes: Salves d'Or, Dimanche Salvador. La méthode s'avère payante. Le couple Salvador aborde les années 70 en confiance.

Parfois, Henri sort son américaine pour faire la tournée des disquaires avec ses colporteurs. Jacqueline est une redoutable femme d'affaires. Disney menace d'attaquer le chanteur pour son utilisation du nom de Zorro: elle retourne l'affaire à son avantage et empoche un contrat Disney-Salvador. La décennie les verra sortir cinq albums: Les Aristochats, Blanche-Neige, Le petit Poucet, Robin des Bois et Pinocchio. Continuant de se réinventer, les Salvador entendent désormais se passer de studios, d’ingénieurs, de producteurs, de musiciens!

«J'ai commencé à travailler avec un tout petit magnéto. Maintenant j'en suis à seize pistes. J'ai des batteries électroniques, mes instruments. J'arrive à donner l'impression d'un grand orchestre. C'est fantastique, j'ai à ma disposition autant de musiciens que je veux et à n'importe quelle heure du jour et de la nuit» (1972)

Ils installent dans leur salon un studio d'enregistrement dernier cri qu'ils surnomment la PAM – référence au nom de leur société, Productions Artistiques et Musicales. Louis Chedid se souvient qu'«il y avait une énorme console artisanale, faite sur mesure je crois, un magnéto 3M. Il devait avoir les toutes premières boîtes à rythmes, celles qui accompagnaient les orgues par exemple, inspirées de l'Ace Tone, avec des rythmes préenregistrés comme "samba" ou "biguine" [en appuyant sur deux boutons en même temps, on pouvait les combiner]. Et puis pas mal de guitares. Ce dont je me souviens bien, c'est son jeu de guitare. On le voyait comme un amuseur mais c'était un virtuose.»

Avec sa console et ses bobines, Henri multiplie sa voix et harmonise à l'infini. Tout est fait à l'arrache mais non sans application. Il s'amuse avec les sons décalés des synthés, s'éclate avec les boîtes à rythmes. Il utilise tous les beats préenregistrés, teste les 'fill' en boucle pour générer des beats alternatifs, joue avec les vitesses, programme ses propres rythmiques parfois loufoques. Musicalement, ce virage artistique change le groove. Salvador s'est inventé un jazz mécanique qui prend son swing dans les guitares et son tonus dans les vocals. Peu doué à la basse, il se débrouille avec ses cordes et son clavier Moog. Pour habituer les auditeurs à ce nouveau style, la PAM produit d'abord quelques face B de 45tours – On n'est plus chez nous, ou l'histoire de deux scat-men interrompus par un passant qui cherche la place de l'Opéra. Puis une face A: Ah ce qu'on est bien quand on est dans son bain enregistrée dans la salle de bain, le hit de Noël 1970. Et enfin le premier album autoproduit: Les Aristochats, distingué par l'Académie Charles Cros en 1971. Jacqueline tient les rênes, la calculette et… les clés du studio où elle enferme parfois Henri pour qu'il compose. Il ne sort que pour travailler ses shows télé.

Sous contrat avec Disney, il est tenu de faire des disques familiaux. Il invente avec ses auteurs des chansons sur Picsou, Atchoum ou Mickey. Il les mélange avec des créations très particulières. Les voisins, un vieux réac se plaint du bruit. Petit Lapin, un citadin conseille à un rongeur de ne pas s'établir en ville. Voilactus, un extraterrestre raille notre système bancaire. J'ai envie de Lucie, le narrateur raconte qu'en toutes circonstances, il a envie de Lucie. Maman Papa, il spoile aux enfants comment détester leurs parents plus tard. Ou Le temps des cons, critique au vitriol de la société française.

«Les gosses, je les fais rire. J'aime appartenir à ce public. C'est le plus juste et le plus sévère. S'il vous aime, il vous le dit; s'il ne vous aime pas, il vous le dit aussi» (Télé-Star, 1977)

Ces 33t regorgent également de chansons tendres, de pièges à dancefloor et de vignettes écologiques. Un fourre-tout qui sera moins considéré que la période sixties. Il s'agit pourtant d'une tumultueuse collection de perles, avec une signature sonore et de nombreuses idées fraîches. Siffler en travaillant est une brillante relecture d'un thème de Blanche-Neige, déjà joué par un jeune Salvador au sein de l'Orchestre de Ray Ventura dans les 40s. Hello Mickey, un entêtant ska plein de fougue. J'aime tes g'noux, une excellente adaptation de Shirley and Co Shame shame shame. Sur Un jour mon prince viendra se choquent un beat de Suicide et un solo de Les Paul.

En parallèle, Rigolo sort aussi des 45-tours destinés à un public moins familial. Notre larron veut s'éclater un peu. Il aborde l'érotisme, la crise économique, les négociations entre les USA et le Viêt-Nam: Kissinger et le Duc Tho. Il écrit de lumineuses balades comme Marjorie et d'entraînants classiques comme Pauvre Jésus Christ. Il expérimente à tout crin sur Sex man – particulièrement inventif – ou Et des mandolines – ode au cool louchant du côté de Lucio Battisti. Il compose la musique d'un film chaotique: L'explosion. Sortie uniquement au Canada, cette BO contient des matières superbes comme Thème du bateau ou le déprimant et éblouissant Le bilan écrit par son ami le batteur Moustache.

Jusqu'où serait allé Salvador dans son salon, s'il avait poursuivi ses enregistrements au-delà de l'année 1975? Aurait-il fait partie des pionniers du rap ou de la techno? En 1975, on diagnostique à Jacqueline un cancer. Comme elle gère tout, décide tout, impulse tout, la maison Rigolo tourne au ralenti. Pinocchio, le seul album de l'année est complété à la va-vite et mal distribué. Les Salvador enchaînent les rendez-vous médicaux mais Jacqueline s'éteint l'année suivante. C'est la fin d'une époque. La fin du home-studio. Asséché, Henri n'a plus envie de jouer dans sa maison vide. Il laisse tout mourir: la télé, le label, les éditions, la PAM. Les vautours ont table ouverte, les labels et les éditeurs se bousculent à la porte. On le détrousse et le pousse à faire d'autres albums Disney. Peter Pan est en projet, Bernard et Bianca et Mary Poppins devraient suivre, mais rien ne sortira. Son ancien imprésario Marouani l'aide à se relever et l'emmène noyer son chagrin au bout du monde. Henri n'avait jamais pris l'avion.

«Avec lui, j'ai un homme, un enfant, un bébé et le souvenir des îles. Je suis son ombre et son alter-ego. Je vis pour lui.» (Jacqueline Salvador, 1973)

Rentré dans le rang, il enregistre Salvador 77 avec plusieurs producteurs. Il y place deux vieux trucs période home-studio: Rock star, parodie de Johnny créée pour la télé, et L'amour, va, ça va, dans sa veine crooner. Cette dernière fait figure d'ovni avec ses arrangements négligés. Sur le vinyl la saturation du synthé menace de crever le haut-parleur! En 1978, toujours pour le label RCA, il enregistre en studio On l'a dans l'baba, qui ressemble pourtant à un morceau électronique avec Vocoder – sauf qu'il y a un vrai batteur à la place de la boîte à rythmes! Ici encore, Salvador n'était pas à un paradoxe près. Nous non plus puisque nous l'avons inclus sur cette compilation pour la clore.

En 1980, il écrit à la main sur la pochette de son nouvel album : «Si vous ne l'aimez pas, allez vous faire foutre». On ne saura jamais si ça s'adressait aux journalistes ou à son label. Il réenregistre ses tubes, sort des singles ternes, mais reste une bête de scène qui fait bouger le tout Paris et un champion de la jeunesse (Emilie Jolie, La petite sirène). Les années 90, artistiquement noires, mais sentimentalement roses: il rencontre sa dernière femme, Catherine. A nouveau porté et illuminé, il fera des années 2000 son retour grâce à Chambre avec vue.

«Dans les années 60, les artistes se faisaient plumer, avec des pourcentages grotesques. Dans les années 80, les avocats s'en sont mêlés. L'économie a changé, les avances non-récupérables sont arrivées. Les maisons de disque ont commencé à allonger pour que les artistes ne fassent pas comme Salvador.» (Louis Chedid)

Avec Jacqueline, Henri Salvador aurait dû donner l'exemple à tous les autres artistes: l'indépendance face à un système injuste et rigide. Ne pas finir esclaves de contrats signés trop tôt, ni nourrir une bande de ronflants propriétaires assis sur des millions de droit éditoriaux. Soyez heureux, amis consommateurs de musique, ce soir un rond-de-cuir va manger une entrecôte grâce à l'argent que vous aurez bien voulu mettre dans cette compilation.

Bonne écoute.

Créée

le 6 mai 2023

Critique lue 11 fois

SombreLune

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