Here Be Monsters
7.2
Here Be Monsters

Album de Ed Harcourt (2001)

Songwriter rusé et arrangeur extravagant, Ed Harcourt séduit avec un album capiteux et long en bouche, en forme de bric-à-brac. Il aura fallu tout l'été pour prendre la mesure de ce Here Be Monsters, puis, carrément, trancher le n'ud gordien d'un album étonnamment complexe, aussi subtil qu'ambivalent, un album de très longue haleine. Tout avait pourtant commencé de la plus simple des manières avec Maplewood, une petite chose tout bête, enregistrée à la maison, qui situait Ed Harcourt dans la lignée des singers-songwriters tendance folk-pop, avec quand même une propension à la bizarrerie, aux ambiances bricolées, un peu tordues, un rien déglinguées. Avec Maplewood, Ed Harcourt flirtait sans scrupule avec Tom Waits, tout en gardant un œil jaloux sur Randy Newman et Lou Reed : bel imbroglio sentimental, méchant cas de conscience, avis de tempête à venir dans un crâne déjà fragile. Fatalement, au moment de tenir ses promesses, Ed Harcourt, beau garçon, choyé par la nature mais quelque peu velléitaire, a visiblement craqué. Son premier vrai album, il l'a voulu à la hauteur d'ambitions dantesques, raflant tout le budget de la maison de disque, convoquant musiciens chevronnés et producteurs de renom. Ed Harcourt voulait tout, il a tout eu : Tim Holmes, Gil Norton et Dave Fridmann, la noirceur acide de Death In Vegas, la sécheresse sonore des Pixies, la pyrotechnie psychédélique des Flaming Lips sur un même disque, rehaussé d'une fine écriture, classique et délurée en même temps, bien élevée mais prête à toutes les conneries ­ une écriture d'enfant gâté, de tête à claques. Au premier abord, Here Be Monsters agace franchement, sorte de pièce mal montée, de gros pétard mouillé, bien trop futé pour être honnête. Et puis, sous l'apparat, le vernis et la (fausse) prétention, la vérité et la sobriété du propos l'emportent in fine. Ed Harcourt n'est pas, ne sera jamais un génie. Un bon faiseur tout au plus, un érudit doté d'un étonnant pouvoir de séduction. Sur Here Be Monsters, il y a un peu tout ce qu'on aime : de la pop, du folk, du rock, des guitares, des loops, des orchestrations symphoniques, des ambiances jazzy, des plages de bruits et d'autres de silence, une voix haut perchée qui s'égare en faibles chuchotis, des trompettes bouchées, du piano, du violoncelle, des ritournelles flamboyantes... Un bric-à-brac sur catalogue, qu'on feuillette avidement, comme on cherche des idées pour aménager son intérieur. Forcément, on n'a pas de mal à s'attacher à Here Be Monsters. Tout y est idéalisé, comme dans un rêve, un songe de papier glacé, un fantasme, jusqu'au titre, qui renvoie au Moyen Age, quand les géographes annotaient les zones blanches de leurs cartes de cette légende lapidaire, en forme de mise en garde aux marins intrépides : "Ici, des monstres". Tout le problème d'Ed Harcourt se situe là. Franchir la frontière qui sépare les bonnes intentions des terres fantastiques où s'ébattent les "monstres", ces grands disques qui le font tant baver. Qu'il se console néanmoins : l'idée qu'il s'en fait est plus que satisfaisante.(Inrocks)


À l'heure où certains n'en finissent pas de regretter la disparition tragique de Jeff Buckley ce qui donne souvent des remugles pas très ragoûtants, pour rester poli , la consécration de Ed Harcourt constitue une extraordinaire opportunité. À seulement vingt-quatre ans (le fils de Tim en avait trois de plus à la publication de Grace en 1994), ce natif des environs de Brighton vient plus que confirmer tous les espoirs placés en lui il y a quelques mois, à la sortie du mini-album Mapplewood. Et si, à l'époque, on y a entendu "un futur grand", que dire aujourd'hui de ces onze créatures de rêve, qui feraient passer les précédentes pour des monstres défigurés ? Certes, on connaissait déjà Hanging With The Wrong Crowd et Apple Of My Eye, mais dans versions beaucoup trop étroites pour des chansons aussi vastes. Une fois de plus, le définitivement impeccable label londonien Heavenly Recordings (East Village, Saint Etienne, Doves, Dot Allison...) ne s'est pas trompé en signant ce songwriter prolifiquement génial (en plus d'un album et demi en deux mois, il posséderait pas moins de trois cents titres dans ses tiroirs). Comme quoi l'on peut avoir été découvert au Kashmir Club de Londres en reprenant l'outrancier Screamin' Jay Hawkins (l'éculé I Put A Spell On You, repris par tout le monde ou presque) et devenir non seulement fréquentable mais absolument essentiel (la beauté inouïe de Something In My Eye vaut à elle seule l'acquisition de ce disque). Avec ses outils (en bois, forcément) et sa voix légèrement traînante, ce faux frère de Grant Lee Philips (physiquement s'entend) s'est trouvé un producteur de tout premier choix en la personne de Tim Holmes. Aidé ici ou là par Gil Norton il y aurait donc une vie après les Pixies et David Fridmann qu'on ne vous fera pas l'injure de présenter , le Death In Vegas méconnu n'a pas enfermé le répertoire, classique mais cousu d'or, d'Ed Harcourt dans l'académisme pompier auquel il aurait pu dangereusement céder par paresse ou par profit. Il y a, par exemple, plus de chemins de traverse et de détours sinueux dans un morceau comme l'imposant Beneath The Heart Of Darkness ou le labyrinthique Wind Through The Trees que dans l'intégrale de Joseph Arthur. Et l'orchestration luxueuse n'est jamais là pour masquer des chansons cache-misère ou peine-à-jouir, comme c'est devenu trop souvent le lot commun de la production actuelle, mais pour servir l'ingéniosité et la subitilité des arrangements. En piochant aussi bien dans le folk et le blues que dans la pop à papa, Ed Harcourt ne circonscrit jamais son inspiration à un seul genre réducteur. Pour résumer, on dira qu'il représente le meilleur de Ron Sexsmith (le sautillant Apple Of My Eye) conjugué à la quintessence de Rufus Wainwright (le chatoyant She Fell Into My Arms), le tout mâtiné de l'élixir de Spain (le solennel Those Crimson Tears) mélangé à la crème de Jeff Buckley (l'éloquent God Protect Your Soul) et servi avec le gratin d'Elliott Smith (le planant Birds Fly Backwards). Évidemment, tous ceux-là autant d'auteurs-compositeurs aux fortunes diverses et à la discographie disparate pâliront de jalousie en découvrant de telles pépites, jamais aussi étincelantes qu'au fil des écoutes. Quand on sait que le principal concerné est aussi satisfait du résultat final que les lecteurs de L'Équipe de sa nouvelle formule, on se réjouit par avance de l'avenir qu'il nous réserve. S'il fallait donc encore convaincre de l'importance de ce Here Be Monsters, on conseillera surtout de ne pas se laisser effrayer par ce titre en trompe-l'oeil. On n'a pas fréquenté de maison aussi accueillante depuis des lustres. D'ailleurs, puisque ce Ed là a un homonyme épicier bien connu, on dira qu'en matière d'épicerie fine, ce jeune homme d'une sidérante maturité en connaît décidément un rayon. (Magic)
Ce n'était pas facile (c'était même sacrement compliqué) mais Ed Harcourt l’a fait. En quelques mois de studio, il a réussi à transformer ce qui aurait du être l’un des albums de l'année en calage pour armoire normande. Calage de luxe, avec violon, tromblon et double basse, il faut le dire, mais calage tout de même. Rarement je n’aurais été aussi déçu. Il faut dire que je l’attendais au tournant. J’avais tellement aimé “Mapplewood” et ses chansons bricolées qui sentaient bon la campagne et la nonchalance. J’avais été tellement impressionné par le talent de ce jeune blanc-bec prolifique et puis tout s’est effondré. Oh, bien sûr “Here Be Monsters” n’est pas un mauvais disque, loin de là, ce n’est simplement pas le disque qu’il aurait pu être. “Peut mieux faire” dit le bulletin scolaire. Peut largement mieux faire, même. Le passage en studio a affadi la musique, là où on admirait les interstices et les accrocs sur “Mapplewood” il n’y a que de lisses aplats de plâtre masquant la beauté fragile des compositions d’Ed. Les trompettes nappent chaque chanson d’une chape de plomb et le chant se perd au milieu d’un trop plein d’arrangements fades. Là où un simple piano et quelques accords de guitare auraient suffi des tonnes de trompettes, des violons de tous poils et des orgues géants envahissent l’espace et étouffent les chansons. En plus, pour un artiste qui admet avoir plus de 300 titres en réserve, je trouve un peu pingre de n’inclure que onze titres sur son album .... Surtout quand deux d’entre eux était déjà disponibles sur le précèdent mini lp. Alors que reste-t-il d’“Here Be Monsters” ? Une poignée de bonnes idées, des douzaines de mauvaises, quelques bonnes chansons (Something in My Eye, " god protect your soul ", " Hanging with the wrong crowd " et " apple of my eye ") et beaucoup de remplissage (le reste de l’album). Un artiste que l’on sent bon songwriter mais piètre producteur. Un album que l’on écoute avec plaisir quand même mais dans lequel on ne rentre que trop rarement. (Popnews)
Le risque avec les chansons pop, c'est que ça peut très vite tourner au pompeux (popeux), au gnangnan, au pas intéressant. Ed Harcourt n'est pas tombé dans ce piège. Les mélodies sont parfaitement tournées, la voix est joliment gracieuse sans être lisse (parce qu'un peu rêche). Il y a un bon dosage de sensualité, d'allégresse et un petit coté indocile…C'est sûrement parce qu'on a la chance d'être emmené par un multi-instrumentiste, roi du piano sur "Those Crimson Tears" ou sur "Wind Through The Trees"; prince de la guitare sur "Beneath The Heart Of Darkness"; ou Kurt Cobain du clavier sur "Shnaghai" (faut le voir en live…). Et c'est par la même occasion un album multi-ambiances: Railleur; crooner; romantique; rocker; ou encore marchand de sable. Les arrangements non seulement rendent plus que pertinentes ces exquises chansons, mais plus on les écoute, plus on se rend compte, c'est épatant, qu'elles sont faites pour ça( les arrangements)…La tournure que prend les choses est inexplicable. De toutes façons, on n'est pas là pour ça. Même si on n'est pas musicien, il est facile d'être convaincu de la valeur et de la singularité de ces morceaux. C'est évident qu'un titre comme "Beneath The Heart Of Darkness" est superbe! Les bruitages de "Birds Fly Backwards" sont trop trippants! "Shanghai" est carrément géniale! On sent que Ed Harcourt pourrait se prêter à tous styles musicaux et aller plus loin que ce que nous offre "Here Be Monsters". Il est néanmoins un des plus brillants songwritters des années 2000.(liability)
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le 27 févr. 2022

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