Halo
6.6
Halo

Album de Amorphis (2022)

Tu t’éveilles à moi, mais ton destin est déjà entièrement advenu

Dans les contrées glacées d’un Nord fantasmé résonnent les premiers accords d’une mélodie ancestrale. Indomptée ? Pas vraiment. Cette complainte, tu la connais jusqu’aux moindres courbures, tu saurais la reconnaître même perdue dans les torrents les plus impétueux, délaissée dans les braisiers les plus ardents, abandonnée aux blizzards les plus écrasants. C’est la mélodie d’Amorphis, ce thaumaturge forgeur de songes folkloriques, murmureur de sombres prophéties, interprète romantique d’un Kalevela mystique qui s’enracine dans les plus grands tourments de l’homme pour compter ce qu’il a d’éternel, d’intemporel.

Avec Halo, l’ensorcelant monde d’Amorphis s’étend de nouveau au creux de l’oreille. Tu es sûr de marcher en territoires connus, douillette sensation qui t’accompagnera tout du long de ce sentier rassurant que tu as tant de fois foulé de ta fougue renouvelée. Mais voilà, face au connu ressassé, l’énergie peu à peu se tarie, l’aventure se résorbe imperceptiblement, l’étrange s’affaisse et te voici soudain planté dans un impalpable ennui, éprouvé par une triste léthargie.

Ces lyrismes des glaces finlandaises ou ces fureurs des sables de l’Orient ne tintent désormais plus avec la même hargne et le même charme ravageur qu’autrefois. Assis au pied de tes sentiments en désordre, tu te mets à rêvasser de cet âge d’or où Amorphis tissait l’épique avec l’épure, chevauchait l’arc céleste des émotions avec une spontanéité sublime, une empathie touchante. Peut-être est-ce le fruit du mélancolique regard rétrospectif qui te ronges, mais les halos actuels peinent à te transcender. Tu en as senti le manque d’originalité, tu en as découvert la facilité d’écriture, le caractère pauvre et banal au creux d’un foisonnement fallacieux.

L’enrobage est toujours impeccable, l’énergie sombre encore plus présente qu’auparavant, mais le fond manque cruellement d’âme. Au détour de morceaux à la construction terriblement archetypée, calibrée et balisée (On the Waters, When the Gods Came ou War pour ne citer qu’eux), tu découvres quelques envolées majestueuses qui te rappellent les frissons des grands temps. Le refrain de The Moon, la suave vigueur de Windmane, la robustesse de A New Land, la cavalcade de Seven Roads Come Together. Dans ces instants suspendus, les feux de Skyforger ou les trances de Circle semblent alors si proches ! Malheureusement, l’homogénéité imparable du tout étouffe vite ces timides tentatives d’évasion, l’entropie d’une recette trop bien rodée s’abat à nouveau, emprisonne le champ des possibles, cloître le roulis métallique dans la jolie mièvrerie d’une force qui frappe dans le vide, brisant sa lame sur les mêmes souches endormies.

A la fin du voyage, après l’usure prématurée de The Wolf et la sucrerie indolente de My Name is Night, une pluie de tristesse s’abat sur toi. Tu te relèves et tu t’ébroues, ensommeillé face à si peu d’audace, conscient que cette fois-ci l’alchimiste a distillé sa potion de trop – trop prévisible, trop douceâtre, trop puérile. Alors tu fais le compte des beautés restantes, elles sont encore légion car le cœur d’Amorphis reste le même, ensorcelant malgré tout. Tu pardonnes la fadeur du Halo, tu te recueilles doucement et espère qu’à la prochaine flambée ces tisseurs de légendes oseront enfin se délivrer de leurs automatismes moribonds, briseront les chaînes du convenu ; car bouillonne en eux une puissance au potentiel assourdissant – elle se ressent parfois au détour d’un solo, à l’orée d’un break, au pic d’un refrain au growl fascinant. Désormais, il est temps de laisser éclore cet appel sauvage, cette mélodie indomptée, et d’enfin révéler une facette libérée d’un groupe au destin qui mérite tant d’être renouvelé. Tu y crois dur comme fer, à ce changement radical, tu souris et en attendant, juste en attendant, te tu replonges une fois encore dans l’univers généreux d’Amorphis l’épuisé. d’Amorphis l’aimé.

Ps : Halo a malheureusement la place du petit dernier à qui l'on ne cède rien. Le précédent album Queen of Time (2018) avait su doper les sonorités du groupe dans quelque chose de plus orchestral et violent qu'auparavant. Queen of Time complétait le précédent Under the Red Cloud (2015) qui était très direct et catchy. Avant cela, Circle (2013) avait réussi à donner de la noirceur et une épaisseur prog inédites à un groupe qui avait délivré son chef d'œuvre poétique en 2009 avec Skyforger ... bref, chaque album d'Amorphis a sa patte et sa raison d'être ce qu'il est, depuis quinze ans (à l'exception faite de l'oubliable The Begenning of Times en 2011). Or, avec Queen of Time, le groupe avait atteint un cap, avait abouti à la quintessence de ce qu'il forgeait depuis son renouveau en 2006. Le manque cruel d'innovation de Halo lui pâtit donc énormément car ce devait être l'album d'une brisure, d'un renouveau, or il n'en est rien. Halo n'est pas un mauvais album en soi, loin de là, c'est même un bon cru d'Amorphis. Seulement ... rien ne s'en dégage, rien ne s'en démarque, rien n'évolue et en cela, Halo déçoit grandement.

Créée

le 19 oct. 2022

Critique lue 37 fois

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