Cela fait plusieurs années déjà qu’on suit la trajectoire, de Howlin’ Jaws, ce trio parisien qui, depuis ses débuts alors que les musiciens étaient encore quasi enfants, semble s’être donné pour mission de porter bien haut la flamme du rock le plus classique, mais sans jamais sonner ni nostalgique, ni démodé. Avec ce Half Asleep, Half Awake, le groupe affronte donc le défi du second album, deux ans après un Strange Effect qui avait déjà confirmé tout le bien qu’on pensait d’eux. Deuxième album ? Pas tout à fait, car en 2022, Howlin’ Jaws ont mis dans le mille en composant la musique de la pièce de théâtre Electre des Bas-Fonds, musique pour laquelle ils ont reçu le Molière de la meilleure musique de scène : une initiative couronnée de succès qui n’entre pas a priori dans le parcours « classique » d’un groupe de Rock, mais qui a confirmé le talent du trio, tout en, du moins on l’imagine, leur apportant de la confiance supplémentaire… Une confiance qui, d’une certaine manière, se matérialise dans ce nouveau disque.

D’un côté, on pourrait dire que Djivan, Baptiste et Lucas ne prennent pas trop de risques pour cette nouvelle livraison de onze chansons, puisque l’album a été, comme le premier, enregistré dans le studio londonien de Liam Watson, et également produit par ce sorcier célébré de l’analogique (et autrefois complice des White Stripes…). Pourtant, le groupe continue clairement son évolution musicale à travers l’histoire du Rock : eux qui étaient largement classés comme groupe de « rockabilly », ont depuis plusieurs années assumé leurs influences Beatles pré-66 et Kinks (des influences plus que respectables… à condition de savoir écrire des mélodies qui tiennent la route, ce qui est la cas de Howlin’ Jaws). Et là, dès l’intro du formidable Mirror Mirror – avec ses guitares orientalisantes et sa mélodie immédiate – on comprend qu’ils ont « finalement » rencontré l’époque psyché ! On peut en sourire, plaisanter en disant ; « ça y est, les Howlin’ Jones sont arrivés en 1966 ! ». Mais, très franchement, les chansons sont tellement bonnes qu’on n’a aucune raison de faire de l’ironie ! Bewitched Me poursuit dans le même registre, avec une belle intervention de la guitare.

Through My Hands, par contre, rappelle que classicisme rock’n’roll reste d’actualité, parce qu’il est toujours dans l’ADN du groupe. Et puis, c’est l’admirable Lost Songs, sommet de l’album, deux minutes et trente-deux secondes que John Lennon se serait enorgueilli d’avoir composé et chanté en 1964-1965 : et on n’exagère pas ! L’enchantement ne retombe pas avec les plus de quatre minutes de The Sting, une ballade poignante, un classique instantané que l’on imagine très bien repris par Chris Isaak : « Every now and then, you feel like crying / Deep down in your heart you feel the sting » (De temps en temps, tu as envie de pleurer / Au fond de ton cœur tu ressens la douleur). Après toutes ces belles mélodies, il était grand temps de faire parler le plomb : Half Asleep Half Awake a tout pour devenir l’un des sommets du groupe en live, charge tête baissée, où les vocaux pop sont propulsés par une rythmique virulente, et où un pont aérien sert à relancer la machine et surtout la guitare « incendiaire » (un cliché, mais juste pour le coup) de Lucas.

On vient d’enchaîner, mine de rien, six chansons parfaites, assez stupéfiantes en fait : même si on adorait le groupe, on n’était pas certain qu’ils arrivent à un tel niveau. Les cinq morceaux restant – allez, la majorité de la seconde face – sont un poil moins stratosphériques, mais révéleront, on en est sûr, toute leur efficacité en live : Healer est un blues rock bien martelé, à la manière des Kinks première époque. It’s You marque le retour à un psychédélisme pas si loin des débuts de Temples. Mindreader est une belle chanson d’amour, rêveuse et romantique, à la fois parfaitement intemporelle et en même temps originale, et débouche sur un Blue Day plus datée fifties. L’album se referme sur un See You There flottant, cotonneux par instants, qui illustre parfaitement le côté « à moitié éveillé, à moitié endormi » du titre… même si une violente intervention d’une guitare 100% psyché et très contemporaine nous secoue les puces à mi-parcours.

Plus expérimental, avec un usage immodéré mais toujours séduisant d’effets sonores, Half Asleep Half Awake est pourtant l’album de la maturité d’un groupe qui a su gravir tous les échelons vers la classe internationale.

PS : Bon, s’il y avait une critique à adresser à l’album, ce serait sa pochette, qu’on nous annonce conçue et réalisée par un IA : sa laideur est telle qu’on ne peut que déplorer qu’elle ait été choisie pour emballer un aussi BEAU disque !

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2023/10/03/howlin-jaws-half-asleep-half-awake-bienvenue-en-1966/

Créée

le 19 oct. 2023

Critique lue 43 fois

4 j'aime

2 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 43 fois

4
2

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

105

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

187 j'aime

25