Green Mind
7.4
Green Mind

Album de Dinosaur Jr. (1991)

Hypothèse : si l’on a autant aimé autant Dinosaur Jr, c’est peut-être parce que ce groupe nous ressemble, souvent pataud, jamais trop à son aise, un peu mal foutu, avec une tendance coupable à l’embonpoint. Si l’on a beaucoup pardonné à Dinosaur Jr, et Dieu sait qu’il a fallu apprendre l’abnégation, c’est probablement grâce à "Green Mind", parce qu’on s’est persuadé que si Dinosaur Jr pouvait être touché par la grâce, après tout, la même chose pourrait bien nous arriver aussi…Dinosaur Jr, c’est l’histoire de la lente glissade d’un groupe pop-punk volontiers bourrin vers un hard-rock verbeux et mou du bide. Une histoire dont le fil conducteur est un apprenti guitar-hero à tête d’endive braisée et doté d’une voix évoquant Kurt Cobain sous Hélium, J.Mascis. Une histoire dont l’apogée est, incontestablement, ce petit chef-d’œuvre de punk-rock idéalement muselé par des mélodies pop solaires, cette collection de tubes bricolo aussi imparables que mal fagotés.Ici, Mascis semble miraculeusement économe de soli de guitare, et adopte plutôt une concision bienvenue, si l’on excepte une longue dégoulinade finalement assez réussie sur Thumb, enchaîne les refrains les plus accrocheurs en tentant même de maîtriser les faiblesses de sa voix. Résultat : du bonheur en barre, des chœurs débiles de The Wagon au refrain hymnique de Water en passant par les superbes sons de guitare spongieux qui imbibent les couplets de Muck ou l’intermède folk Flying Cloud, perdu pile poil entre voûte céleste et voûte plantaire. Plus euphorisant qu’une ecstasy gobée à l’Hacienda, plus réconfortant qu’une bluette de House of Love : "Green Mind" prouve que Mascis a bel et bien trouvé, un jour, une formule magique, qu’Evan Dando et ses Lemonheads lui ont certainement piquée pendant la sieste.Il était probablement écrit que cet éclat improbable et contre-nature devait rester une parenthèse enchantée. D’ailleurs, après ce coup de génie le brontosaure Mascis commencerait déjà à rouler sur le flanc comme une otarie repue ("Where You Been") avant de finir les quatre fers en l’air, toute bedaine au vent, sur l’impardonnable "Without A Sound". (Indiepoprock)


Crétin ? Allure de Californien pouilleux aux potacheries de colo, nihilisme gueux et fierté de déculturation : le punching-group idéal. Un délice à boxer, à condition d'ignorer les disques. Soit deux albums de gribouillis hardcore vaguement mélodiés, puis Freak scene et Bug : et si l'opaque couche crasseuse de ces cancres cachait un mini-Einstein du refrain pop cabossé ? Jay Mascis, le marionnettiste de Dinosaur Jr, peut bien compter sur son image d'avilissement pour laisser croire le contraire, il est irrémédiablement trahi par ses chansons, celles de Green mind plus que toute autre. Pourtant mal fagotées, mal élevées, vulgaires et flasquement musclées, elles repousseraient un aveugle par leur seule odeur. Leur musique sent des pieds. Dinosaur Jr joue de travers, bestial et mal, sans même le moindre égard pour l'orthodoxie du rock voyou, copieusement insulté par des solos de Ritchie Blackmore paralytique. Sonic Youth avec un nez rouge. Sur ce terrain vague de détritus visqueux, entre deux bâillements, Jay Mascis baragouine du fond du lit avec l'haleine du réveil. Ça râcle et ça traîne, on en a mal pour lui, mais l'effet est irrésistible. Il existe quelques voix au pouvoir de séduction vicelard comparable à cette chose-là, notamment chez Jeffrey Lee Pierce, qui trouvent la mélodie dans leur seul timbre et rendent l'auditeur accro. Ça y est, le mal est fait, Green mind colle comme un chewing-gum éternellement sucré, même mâché et remâché. On mime le dégoût, on ressent un peu de honte et puis on succombe au désir de se laisser aller à la débauche, malpropre mais bien inoffensive, de cette vulgarité bon enfant. Idéal pour prouver qu'on reste rebelle à la notion de bon goût, on s'offre avec ce disque sa dose de sensations crados comme un mioche saute dans le caniveau pour emmerder ses parents. Nourri des mêmes débris incandescents du rock américain, Mascis est le frère de lait de Black Francis. L'un se fringue Dinosaur Jr, loser, l'autre s'habille Pixies, golden boy. L'un est peut-être gras, mais lavé tous les matins, poli et reconnu, l'autre est la honte de la famille, l'asocial méprisé sous prétexte de manque de manières. L'un parle concis, rapide et étoffé ; l'autre bégaie le vocabulaire limité à trois mots de la génération TV frigo canette. Une avalanche de calamités ignorées par Jay Mascis. On dirait que lorsqu'on possède don et sex-appeal infus, on peut se foutre de tout. (Inrocks)
bisca
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le 27 févr. 2022

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