GoldenEye (OST)
6.7
GoldenEye (OST)

Bande-originale de Éric Serra (1995)

Il ne fait aucun doute que parmi toutes les bandes originales de la série des James Bond, celle créée par Éric Serra pour la dix-septième aventure de l'agent secret de Sa Majesté, Goldeneye, détonne quelque peu. Profondément marquée par les symphonies majestueuses du grand John Barry, compositeur de onze des seize films précédents, la franchise librement adaptée des romans de Ian Fleming ne sera que très rarement tournée vers d'autres maestros ; il faut dire que leur tâche n'était pas facile, tant Barry aura réussi, au-delà du fameux thème musical de 007 lui-même, à lui conférer une véritable identité sonore et musicale, contribuant ainsi à forger une certaine continuité que ne permettaient pas les changements d'acteurs.


Mais Goldeneye, sorti en 1995, soit six ans après le précédent opus Permis de Tuer, était conçu pour secouer le cocotier, le film devant d'ailleurs son nom à la propriété caribéenne de Fleming. Mais plus que de réinventer la série comme le fera Casino Royale dix ans plus tard, il s'agissait avant tout de transposer le personnage et son concept, purs produits de la Guerre Froide, dans le monde post-chute de l'URSS, celui de '"la Fin de l'Histoire", comme l'a nommé un peu présomptueusement le politologue américain Francis Fukuyama.


Les compteurs étaient donc remis à zéro : nouvel interprète principal (Pierce Brosnan), nouvelle M (Judi Dench), nouvelle Moneypenny (Samantha Bond), hors-écran nouveau réalisateur (Martin Campbell), nouvelle productrice (Barbara Broccoli)... la musique n'a pas échappé à ce remaniement en règles, puisqu'elle fut donc confiée à notre ami français Éric Serra, alors déjà principalement reconnu en tant que comparse de son compatriote et ami Luc Besson, pour qui il avait signé la bande-son du Grand Bleu ainsi que celle de Léon.


Amateur de musique synthétique avant-gardiste, Serra va véritablement s'approprier les codes de la franchise 007 pour mieux les dépoussiérer, comme l'avaient déjà fait avant lui ses collègues Marvin Hamlisch (L'Espion qui m'aimait) et Bill Conti (Rien que pour vos yeux). Plus radical, Serra donne le ton dès la fameuse "séquence du barillet" qui ouvre traditionnellement chaque épisode, avec une version particulièrement tranchante du thème.


La séquence pré-générique, autre tradition de la série, bénéficie quant à elle d'un morceau intitulé "Goldeneye Overture", à mon sens le meilleur de l'album. Le goût de Serra pour les motifs métalliques et industriels sied parfaitement à l'ambiance de fin de Guerre Froide de cette scène, qui voit Bond et son homologue 006 infiltrer une base militaire soviétique. L'usage des chœurs, unique dans un Bond, rappelle fortement le travail de Basil Poledouris sur À la poursuite d'Octobre rouge.


Cette approche sombre et menaçante se retrouve immédiatement après dans la chanson du générique, interprétée par Tina Turner et co-écrite par Bono. La puissance de la voix de Tina évoque les classiques de Shirley Bassey, mais c'est tout le mérite de Serra d'avoir maintenu son cap plutôt que de chercher à copier le style plus chaleureux et conservateur de Barry sur Goldfinger et Diamonds are forever. Cela permet à Goldeneye de s'inscrire dans la continuité de ces dernières tout en apparaissant distinctement plus moderne, plus "90s".


Cependant, tout le travail de Serra sur ce film ne saurait se résumer à ces thèmes industriels, bien que récurrents. "We share the same passions" et "That's what keeps you alone" apportent une jolie touche de romantismes à l'ensemble, flûte aidant, tandis que "Trapped in the Tiger" rend hommage aux célèbres notes d'ouverture de Goldfinger. Mais c'est au-travers de ses audaces que Serra signe véritablement la plus atypique, et donc la plus controversée, des bande-originales de James Bond. Voix râpeuses russes entrecoupées de dubstep dans "Our Lady of Smolensk", murmures oppressants et amplifiés dans "Whispering Statues", ultrasons étranglés dans "A good Squeeze" : on sort résolument de la zone de confort forgée par Barry !


Je conçois bien que ce n'est pas pour tout le monde, d'autant que Serra va parfois trop loin dans ses expérimentations : "Ladies first", électro-mix bizarroïde, aussi criard que cacophonique, s'apparente davantage à la bande-son d'un jeu Mario Kart qu'à 007 ! Ce décalage un brin trop futuriste, qui fera tout le charme du Cinquième Élément, se retrouve également dans le morceau "A pleasant drive in St-Petersburg", censé accompagner la course-poursuite en tank, mais qui fut remplacé au dernier moment par une pièce bien plus classique (et appropriée), signée du compositeur John Altman.


Mais en dépit de mon aversion pour ces deux morceaux, je ne me lasse jamais du reste de la composition du natif de Saint-Mandé, qui contribue à donner une saveur unique et irrésistiblement années 90 à Goldeneye. Mon plaisir s'étend même, sacrilège, à la très décriée chanson de générique de fin, The Experience of Love, chantée par Serra lui-même et d'autant plus insolite qu'elle avait été écrite pour Léon et non pour Goldeneye, avec lequel ses paroles n'ont strictement rien à voir (à moins que la rivalité entre 007 et 006 n'ait été originellement conçu comme homoérotique ? "L'expérience de l'amour t'enlèvera toute ta douleur").


D'ordinaire, même les plus ardents partisans de Goldeneye, comme le youtubeur Calvin Dyson, reconnaissent que la bande-son est le seul problème qu'ils ont avec le film de Martin Campbell ; tel n'est pas mon cas. Je ne peux concevoir Goldeneye sans les fulgurances et étrangetés de la composition de Serra, qui auront à mon sens véritablement rempli leur mission en ancrant fermement le "dinosaure sexiste et misogyne", comme l'appelle M au début du film, dans l'ère moderne. David Arnold allait reprendre le flambeau pour le reste de l'ère Brosnan et même la transition avec Daniel Craig, mais sans jamais égaler la radicalité de notre Éric national. C'est tout de même une contribution française plus réussie que Léa Seydoux à la mythologie des James Bond, avouons-le !

Szalinowski
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le 23 août 2020

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