Géopoétique
5.9
Géopoétique

Album de MC Solaar (2017)

Il m'aura fallu du temps pour digérer cet album.


Pour bien comprendre mon état d'esprit à l'écoute de "Géopoétique", il faut connaître mon amour pour MC Solaar depuis 20 ans - j'en avais six : je connais tous ses albums ; "Prose Combat" est au sommet de mon Top10 ; "Cinquième As" le suit de près ; j'admire la poésie, la qualité des textes, la suavité de la voix, l'immense culture musicale, l'engagement même de l'artiste, son entourage.


Mon engouement souffre toutefois quelques limites. Je n'ignore pas l'irrémédiable virage pop pris par le Cinquième As au détour de "Mach 6", son sixième album, et depuis confirmé dans ses deux derniers. Je n'apprécie pas non plus outre mesure le flow particulier qu'il a endossé dans "MC Solaar" et une partie de "Paradisiaque", ses troisième et quatrième albums qu'il aurait voulu voir sortir en un seul et à cause desquels il est entré en conflit avec son ex-maison de disque, Polydor.


Mais j'ai vécu avec Claude Mbarali, puisque c'est son nom, un compagnonnage profond, une amitié admirative platonique, une construction de mon identité de l'enfance à l'âge adulte que nul ratage commercial, nul égarement musical, nulle incartade stylistique ne pourra remettre en cause. J'aime MC Solaar pour tout ce qu'il m'a apporté et tout ce qu'il a apporté au rap français en général.


Ceci étant dit, cet album n'est pas le sommet du rap "back to basics" qu'on aurait rêvé qu'il fasse. Breaking news donc, Solaar n'a pas rendu ses lettres de noblesse au rap français. On aurait pu feindre de le croire (certains y ont apparemment cru - moi compris ?) mais, a posteriori, ça aurait été nier la lente construction d'un style qui lui est propre dans ses deux derniers albums.
Le compte n'y est donc pas vraiment. Entouré de la paire de producteurs qui l'a accompagné depuis sa séparation d'avec Polydor, Eric K-roz et Alain J formant la Black Rose Corporation qui avait fait miracle sur "Cinquième As", on retrouve les mêmes arrangements un peu ringards qui nous avaient fait lever le sourcil sur "Chapitre 7" : une tonalité plus pop, un flow moins abrupt, des chœurs de femmes à gogo et une instru souvent grandiloquente. On est loin du rap fluide, liquide et rythmé par les ambiances géniales de Jimmy Jay que Solaar avait théorisé dans ses premiers opus.


Tout n'est pas à jeter pourtant dans cet album dont on reconnaîtra le mérite de l'éclectisme. On peut ainsi identifier trois catégories de morceaux.



1) Oups



On va pas s'étendre. Comptez bien six ou sept morceaux "ratés", d' "Intronisation" à "Aiwa" en passant par "Jane et Tarzan" ou "Zonmé des zombies". Ce dernier morceau m'attriste particulièrement parce que ce petit featuring avec Bambi Cruz est une tradition sympa dans les albums de Solaar et que ce morceau n'est pas réussi.



2) Allez !



Satisfaisants d'une manière ou d'une autre, ces morceaux forment le coeur de cet album en ce qu'ils recherchent la diversité des thèmes et des arrangements à même de souligner l'éclectisme voulu par Solaar. Rappelons au passage que comme l'indique son titre et son morceau phare, "Géopoétique" se veut comme un melting pot universaliste des expériences de De-Clo : diversité des genres musicaux, thématique du voyage et de l'éveil culturel reprise dans quelques morceaux, accents russes, africains, franchouillards ou anglo-saxons... Comptez dans cette catégorie des morceaux comme "Frozen Fire", "Les Mirabelles", "I need gloves" ou "Pili-pili". "L'attrappe-nigaud" en fait rire (jaune) certains, mais, rien que pour le jeu de mot du titre, je dis oui. D'ailleurs, dans une interview sympa du MC sur Nova peu avant la sortie de cet album, Solaar reconnaissait volontiers une part d'auto-critique dans ce titre ; de quoi lui donner un peu plus de relief.



3) Les réussites



Elles sont trois. C'est peu, mais suffisant pour "sauver" l'album. On n'est pas dans la stratosphère, mais on décolle quand même un minimum et je pourrais même - allez-y dénoncez-moi - incorporer "Géopoétique" à mon best-of perso. Ce morceau est posé, ingénieux et musicalement classe (c'est assez rare dans l'album pour être souligné) et constitue à ce titre une bonne surprise. A ses côtés, l'hommage à Gainsbourg, classique (tout écrit en alexandrins, j'espère que vous apprécierez) mais audacieux, encore une fois remarquablement écrit, m'a beaucoup séduit, la partition de Maureen Angot apportant une touche délicieusement James Bondienne au titre. Enfin, "Adam et Eve" dont j'ai entendu du mal - ce que je peux aussi comprendre - m'a enthousiasmé par sa funk rutilante, quoique classique, son flow rythmé et ses textes cocasses et ciselés dans la grande veine des morceaux légers de Solaar ("Hasta la vista", "Bling Bling", etc).


En définitive, ce qui m'émeut dans ce patchwork inégal, c'est la sincérité globale de cette œuvre où l'on voit Solaar finalement accepter de tourner la page qu'il a incarnée aux yeux de toute une génération. Assumant son virage pop, il se livre ici plus que par le passé (écouter "La clé") quitte à renier un peu les assauts qu'il menait contre la variet' et à laisser sur la route ses derniers fans avides du rap d'antan. Comme il le dit bien dans l'interview sur Nova, son tube "Sonotone" ne décrit en rien son état d'esprit ; Solaar ne se voit pas vieillir ni glisser vers l'oubli : il s'assume.


Après une décennie dorée à passer les plats, une autre à les goûter, le maître de cérémonie s'est enfin servi.

Fwankifaël
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le 3 janv. 2018

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