Décédé le 21 octobre 2003 dans des conditions aussi tragiques que douteuses, Elliott Smith aura ajouté son nom au panthéon des légendes de la musique disparues trop tôt. On pense notamment à Nick Drake et Jeff Buckley appartenant à la même famille musicale de ce compositeur hors normes.

Il faut dire que la route avait été longue, au regard des thématiques toujours très préoccupantes abordées dès le premier album et compte tenu de la mauvaise passe que traversait le chanteur suite à l'échec commercial de son album précédent (Figure 8) et à la fin du contrat qui le liait avec Dreamworks.
Lors de sa mort, Elliott Smith travaillait sur un nouveau disque depuis près de deux ans. From a basement on the hill devait être un double album. Il ne sera que simple, posthume, sorti près d'un an après son décès. L'appréciation de cet album est particulièrement sujette à controverse dans la mesure où il ne s'agit pas d'un album fini et qu'il ne constitue probablement pas celui que Smith aurait lui-même souhaité. En partie dû au manque de finition, From a basement on the hill peut paraître brut de décoffrage. Cependant cette rudesse que l'on ressent tant au niveau des paroles que sur les sons employés ne font que renvoyer à l'état dans lequel il se trouve au moment où il enregistre cet opus.

Brut, le premier morceau, 'Coast to coast' l'est indéniablement. Avec ces guitares lancinantes sorties des tréfonds et qui grincent comme une hache qu'on laisserait trainer sur un sol de métal. Celles-ci finissent par éclater sur un riff entraînant alors que quelques touches de piano et une batterie sommaire soutiennent cette introduction à l'album. On y trouve une forme de désabusement familière au songwriter et relevée dès le deuxième morceau par 'Let's get lost', balade folk traitant de l'amour perdu : « I had true love / I made it die / I pushed her away / She said please stay ». Toujours aussi présents, l'incompréhension face aux relations sentimentales et les différentes émotions ressenties lors des échecs rencontrés sont retranscrits dans 'Pretty (Ugly before)', chanson qui sonne comme une lettre d'excuse.
Il jaillit de cet album toujours autant de désespoir, de perdition et de haine de soi. 'Strung out again' est un titre qui aborde assez explicitement ce pan de la personnalité du chanteur: « I know my place / I hate my face / I know how I begin, and how I'll end / Strung out again ». Dans la même veine, King's crossing s'impose comme un chef d'œuvre de noirceur. Que ce soit au niveau des guitares tâtonnantes au début du morceau, de la mélodie ensuite jouée au piano ou encore des arpèges criards, tout dans ce titre respire l'aliénation, l'emprisonnement. A travers cette chanson, Smith dresse presque son oraison funèbre. Ses visions hallucinées sur un monde dans laquelle il n'a vraisemblablement jamais su trouver sa place. Le texte, dans son ensemble, est viscéral, taillade les bras, arrache les larmes. Dès lors, les vieux démons refont rapidement surface : « It don't matter 'cos I have no sex life / And all I want to do now is inject my ex-wife [...]I'm going on a date with a rich white lady / Ain't life great? / Give me one good reason not to do it ». Twilight, diamant brut de folk met un point d'orgue à cette lancinante complainte tout en étant d'une douceur et d'une beauté exceptionnelle: « But I'm already somebody's baby ». Ce morceau est d'une pureté telle qu'on en viendrait presque à souhaiter l'entendre résonner entre les murs d'une église lors de ses propres funérailles.

Difficile de passer en revue toutes les chansons tant tout commentaire peut se révéler fade compte tenu notamment du contexte dans lequel cet album a été composé et produit. Reste qu'avec ce disque, on tient la pièce la plus pessimiste d'Elliott Smith, son chant du cygne, une merveille de sincérité. Une sincérité qui fait quand même très mal. Le cœur se serre, les yeux peuvent se mouiller à l'écoute de cette merveille (comment ne pas se sentir frissonner devant 'The last Hour' ?), si bien que parfois on s'en voudrait presque de s'infliger de telles émotions. Mais la tristesse peut être si belle...
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le 28 déc. 2011

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Anthony Boyer

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