Flaming Pie
7.4
Flaming Pie

Album de Paul McCartney (1997)

Dans le title track, Paul affirme « I'm the man on the flaming pie », ce que confirme la musique plus qu’un peu réminiscente de Lady Madonna.


Pourtant c’est à John que renvoie le titre de l’album, puisque c’est une allusion à une blague de celui-ci remontant à 1961 sur l’origine du nom des Beatles : « Ce fut une vision : un homme apparut sur une tourte en flammes et nous dit, à partir de ce jour vous serez les Beatles avec un A. » John en faisait beaucoup, des blagues, et il aimait bien profaner le sacré. Mais celle-ci est spéciale : elle est prémonitoire, les Beatles étant alors un groupe local que le Dieu du rock n’avait pas encore élus, et elle porte sur le nom et sur l’origine.


Avec une telle référence, Paul annonce la couleur : il va chahuter un peu la sacralité des Beatles. Mais pour cela il convoque le sacré, puisqu’il passe par une parodie biblique quasi-prophétique, et surtout il passe par un nom, et quel nom : le Nom du Frère, puisque l’homme sur la tourte qui décida du Verbe n’était autre que John. Tout est là : l’hésitation entre profaner le sacré et consacrer le profane, et entre être Paul et être John à la place de John. Paul veut secouer le poids des Beatles, et des Beatles tels que voulus par John, mais après se l’être mis sur le dos et approprié.


Et l’album s’ouvre sur une évocation des discussions entre John et Paul, au temps où ils refaisaient le monde, et où « ils en revenaient toujours aux chansons qu’ils chantaient ». Comme Paul à 30 ans d’écart, quoi.


En 1995, alors que les 3 double albums du projet Beatles Anthology étaient prévus pour sortir sur une période de 2 ans, EMI refusa que Paul en sorte un de lui dans l’intervalle. « D’abord je me suis senti presque insulté, et puis je me suis rendu compte que ce serait un peu idiot d’aller contre soi-même sous la forme des Beatles. » Un peu idiot, oui, mais tel fut bien son premier mouvement : comme si ce refus commercial impliquait un jugement en sa défaveur, genre « ça se vendra pas parce que les gens s’intéressent aux Beatles et pas à toi ». Considérant que ces 3 double albums, si passionnants soient-ils, ne sont jamais que des brouillons et des démos exhumés pour les fans hardcore, il est remarquable que Paul se soit senti menacé par eux. Comme si une ombre de Beatle Paul était plus consistante, voire bien meilleure, que tout ce qu’un Paul créateur bien vivant pourrait sortir, quoi qu’il fasse. Alors qu'en fin de compte, Flaming Pie s'avéra être un succès critique et commercial....


Flaming pie fut enregistré entre 92 et 96, mais principalement après les deux ans qu’il avait consacrés au projet, et Paul en avoue l’influence ouvertement, mais bizarrement : « The Beatles Anthology m’a rappelé les niveaux d’exigence des Beatles et ceux que nous avions atteints dans nos chansons », dit-il dans les notes de pochette. D’où « une intention de produire quelque chose de frais et de limpide (pure and easy), sans arrangements sophistiqués ». Remarquons l’écart entre les prémisses (les niveaux d’exigence, les niveaux atteints) et la conclusion (donc faire quelque chose de fais et de pas sophistiqué) : là aussi, il y a une contradiction, un conflit - un tiraillement.


Si Flaming Pie imite, et parfois retrouve, la naïveté magique des débuts des Beatles, il envie aussi les sommets atteints ensuite et ne veut pas y renoncer. D’où quelques morceaux plus ambitieux que les autres et sur la corde raide. Sometimes, qui est, ô surprise, une chanson ayant pour thème le tiraillement (Sometimes I laugh / I laugh to think how young we were / Sometimes it's hard / It's hard to know which way to turn), parvient magistralement à donner l’illusion de la simplicité, avec un arrangement et une mélodie à la fois économes et complexes. Mais Beautiful night, trop ampoulé, trop mièvre (The long and winding road + Let it be + Back seat of my car, ça fait beaucoup) c’est du Beatles revu par Wings. Et Heaven on a Sunday est un morceau atmosphérique de la veine de ces bossa novas parfois esquissées par le Paul post-Beatles, dont on se demande un peu ce qu’il fout là.


Dans l’ensemble l’album évoque/invoque l’ensemble de la carrière des Beatles, de Really love you, variations sur Twist and shout façon jam lâche, qui pourrait presque figurer dans Beatles First, à Souvenir, un mash-up Oh Darling /Come Together/I want you qui lorgne vers Abbey Road, en passant par un If you wanna période Hard day’s night. Et la lead guitar papillonne entre le style pleureur de George, le style gracieux de Paul et le style rock de John. Paul ne parvient pas toujours à faire du neuf avec du vieux : Great day et le title track sont de pâles resucées (de Blackbird et de Lady Madonna), et Used to be bad, un blues proto-Beatles tout ce qu’il y a de basique, n’a ni charme ni intérêt malgré le clin d'oeil à Getting better.


En outre, quand l’esprit voulu est bien là, il n’est pas toujours redevable aux Beatles. La fraîcheur et la limpidité promises culminent dans Calico skies (une guitare acoustique et un vocal, c’est tout) et Little willow, de très belles mélodies sans affèterie, et aussi dans Sometimes, encore lui, puisque c'est de loin le morceau le plus beau et le personnel, ceci expliquant peut-être bien cela. Et puis il y a Jeff Lynne, qui a produit et/ou joué sur pas mal de morceaux, et qui retrouve lui aussi, miraculeusement, son beau son du temps d’Idle Race. Et comme la jeunesse d’Idle Race date d’après celle des Beatles, du coup ça donne de drôles de choses – de belles choses.


L’album laisse une impression paradoxale de surcharge (références et réminiscences) et de dépouillement (orchestrations), de cadre bien défini et d’orientations multiples (sometimes he doesn’t know which way to turn….). Symboliquement, Paul a cherché à réunir harmonieusement sa famille artistique éparpillée, et à la réconcilier avec sa famille familiale et la maturité qu’il a acquise – à abolir le temps et les conflits dans un rêve fusionnel. Tout le monde est convoqué, physiquement ou spirituellement, dans cet album : John, George, Ringo, George Martin, Jeff Lynne, Steve Miller, Linda, James Sr, James Jr et Stella. Est-ce que tout le monde est là ? Pas sûr.


Jamais Paul ne s’était autant couru après, jamais plus il ne le fera à ce point. L’éternel retour aux sources, jamais suffisant. Et si Flaming Pie a bien la fraîcheur, la limpidité, la nostalgie multi-allusive recherchées, une sorte de tristesse et une forme d’impuissance s’y sont invitées à son corps défendant. Mais elles lui donnent aussi de la profondeur et rendent ce voyage sentimental particulièrement émouvant.


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Cette chronique fait partie de la rétrospective consacrée à l'oeuvre de Paul que j'ai entreprise :
https://www.senscritique.com/liste/Revisiting_Paul_Mc_Cartney_before_the_end_of_the_end/2221531

OrangeApple
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le 6 oct. 2018

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OrangeApple

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