Les National ont l'immense atout d'avoir pour eux un univers bien façonné, maîtrisé avec le temps, reposant sur des bases solides, inébranlables et parfaitement assemblées. À ce niveau, on titille l'orfèvrerie. Les ingrédients : une voix au charisme fou, une batterie sublime et frénétique, à laquelle réussissent pourtant à s'ajouter avec un infini raffinement, les arrangements et les textures sonores. Le tout donne une musique intimiste, bouleversante ; un diaporama sonore d'images et d'émotions nuancées pouvant aller de la tristesse brute (sans toucher au pathos) à la douceur étincelante (sans toucher au mièvre).


L'écoute d'un album des National ne se compare pas à des montagnes russes, courtes et effroyablement intenses, mais bien à un voyage contemplatif lors duquel les temps de mouvements et ceux de repos sont autant d'occasions d'assister à du beau. À être témoins d'une intense délicatesse.

Au fond, la volonté première du groupe peut très certainement se résumer ainsi : créer du beau. Combien de leurs morceaux viennent parler directement à notre cœur - même si notre niveau d'anglais ne permet aucunement de comprendre le sens des paroles ? Par la seule force de l'union entre la voix et la musique, on a la sensation que tout passe : les images, les émotions, les histoires racontées et leurs thèmes… tout. Comme un film dont on ne comprendrait pas les dialogues mais qui, on ne sait trop comment, arriverait quand même à nous rendre limpide son propos.

Je reconnais au groupe nombre de qualités, mais au-dessus de toutes, celle qui vient se présenter telle une évidence, c'est celle de l'équilibre. Dès lors que le groupe est parvenu à trouver sa signature, sa griffe (Boxer), on retrouve cet aspect partout : entre les instruments (leur présence et leurs intentions), entre les émotions véhiculées par les morceaux qui s'enchaînent, ainsi que dans les morceaux eux-mêmes.

En conséquence, il est possible de ne pas être touché par la musique que propose le groupe, mais on peut difficilement leur reprocher des fautes de goûts ou des choix peu judicieux. Pour ma part, si je reconnais que leur précédent album était un peu poussif sur la longueur, je le trouve pourtant encore à ce jour extrêmement intéressant dans les idées trouvées pour ne pas se répéter - et nombre de morceaux présents dans le projet restent de véritables perles - et sa présence dans leur discographie est tout à fait pertinente !


Et ce dernier album ? Les bras m'en tombent, mais cette fois, non… Si équilibre il y a, il se trouve malheureusement dans cette sensation constante de linéarité fade et dépouillée de tout relief - sensation qui traverse l'album d'un bout à l'autre.

Eux qui savent si bien retranscrire en musique le pouls de nos émotions ; cette fois c'est l'encéphalogramme plat. Oubliés les nuances subtiles, les changements délicats de couleurs au sein d'un même morceau et la sensation que ces derniers, proposés à la suite les uns des autres, forment un véritable ensemble stable, réfléchi et fort. Les morceaux s'enchaînent, tous corrects, mais sans grande cohérence et sans impact. Bien qu'il n'y ait toujours pas de fautes de goûts à l'horizon (l'album reste objectivement bon, j'insiste), il reste quand même pauvre en trouvailles, en surprises et en moments de grâce.


Une question relative à la présence des invités sur l'album me hante. Inviter Sufjan Stevens pour participer aux cœurs d'un morceau est une brillante idée (le bonhomme excelle dans l'art des harmonies vocales, et sa capacité à transcender mélancolie et douceur, sur le papier, ça peut vraiment faire des ravages combinée à l'univers du groupe...), mais si c'est pour faire ça, ce n'était peut-être pas la peine. On avait une belle promesse et le résultat est un feat assez décevant, car tellement peu exploité.


Pour être franc, et ça me fait mal de l'admettre, seuls deux éléments m'ont empêché de passer à autre chose pendant l'écoute de l'album - pourtant très attendue : d'abord, pour la voix (parce qu'elle restera à jamais sublime) et l'idée que j'étais en train d'écouter le dernier projet des National - je me devais (comme tenu par un accord tacite entre le groupe et moi) d'écouter cet album en entier, jusqu'au bout et d'une traite.


En bref, un album bien fade. Assez décevant quand on sait de quoi le groupe est capable (ou fut capable… là est la grande question qui fait peur). C'est un album des National dans lequel on y retrouve tous les ingrédients constitutifs de leur musique, et pourtant... la sauce ne prend pas. La magie est absente. Le cœur ne vibre pas. Et plus globalement, c'est le premier album du groupe que je ne trouve pas pertinent lorsque je regarde l'ensemble de leur discographie.

K-A-M-I
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le 3 mai 2023

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K-A-M-I

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