Finistériens
6.6
Finistériens

Album de Miossec (2009)

On est encore dans le train à regarder défiler la Bretagne par la fenêtre que le téléphone portable vibre déjà. C’est la femme de Miossec. “Christophe vous attend à la gare de Brest, il est en voiture. On a réservé un petit restaurant en bord de mer, vous allez être bien là-bas pour déjeuner”, dit-elle d’une voix douce. On descend sur le quai en cherchant les yeux translucides du gars Miossec, qu’on trouve finalement coincé, discrètement, près de la sortie. T-shirt et pantalon noirs, tongs aux pieds, il s’avance avec le sourire – et une canne. Une opération au genou qui a un peu dégénéré, rien de grave. La voiture est au parking, un break gris. Coup d’oeil aux CD rangés près de la boîte de vitesses pendant que Miossec sort du parking : un disque de Juliette Gréco, un autre de reprises de Leonard Cohen. “On ne va pas rester à Brest, j’en ai fait tellement, des interviews ici.” Exit donc la rade, le port ou ce qu’il en reste, le vent dans la rue Jean-Jaurès. A nous les départementales bretonnes, à tailler le bout de gras en compagnie d’un Miossec timide, mais avec qui l’on partage des silences sereins. “On parlera du nouvel album plus tard, hein”, dit-il brusquement avec le sourire, en passant une vitesse. On discute donc du Paraguayen Roberto Cabañas, qui vient d’être élu meilleur joueur de l’histoire du Stade brestois. “C’est assez mérité, enfin je crois”, sourit-il. On parle bouffe. Visiblement apaisé, le chanteur raconte sa vie bretonne, loin des tumultes. Amis fidèles, soirées tranquilles, d’autres moins tranquilles mais qui se font rares. “C’est pas comme quand j’étais à Paris ou à Bruxelles. A un moment, j’ai eu besoin de prendre un peu le large. La Bretagne, c’est le bon endroit pour ça.” On arrive au restaurant Les Mille et Une Lunes, des enfants remontent de la plage en combinaison, une petite planche de surf sous le bras. Des chiens chahutent, la mer est loin, le soleil dépasse d’un nuage. “On va brancher le magnéto, on fait ça sous forme de conversation. C’est mieux, non ?”, propose-t-il. La parole, entre deux commandes, est pleine de pudeur, comme à son habitude. Le disque a été réalisé avec Yann Tiersen et s’appelle assez logiquement Finistériens. Pourtant, les deux Bretons se sont rencontrés à Paris il y a seulement quelques années. “J’avais dit à Yann que j’aimais beaucoup une de ses chansons, je pensais qu’il l’avait composée pour Dominique A. Il m’a répondu que c’était Dominique qui l’avait écrite. C’est notre première rencontre. Pas terrible, hein ? Après on s’est revus en Bretagne, à Ouessant, on a des amis communs. On ne parlait pas trop de musique.” C’est Tiersen qui a l’idée de la collaboration. “Yann a toujours eu un avis très critique sur mon boulot. Il trouve que certains de mes disques sont mal enregistrés, mal arrangés, mais ça me démonte pas, c’est plutôt constructif.” Le regard porté au loin, sur la mer, Miossec plante paisiblement le décor de ce septième album. Un disque imposant, à l’écriture simple, précise et poignante (Seul ce que j’ai perdu, magnifique morceau de bravoure rentrée qui ouvre l’album), que le Brestois raconte avec un détachement troublant. Comme si l’intervention de Tiersen l’avait délesté de quelque chose, de la responsabilité permanente et pesante qu’il entretenait jusqu’ici avec son oeuvre – car Miossec est certainement l’un des artistes français qui porte le regard le plus lucide et le plus critique sur son parcours enviable. “Un jour, Yann m’a dit que ça serait bien qu’on fasse un disque ensemble, je lui ai dit ouais… et fin de la conversation, s’amuse Miossec, alors que les plats arrivent sur une petite table. Et quelques mois plus tard, il m’a envoyé une maquette des Philippines, où il était en vacances, je crois. Des trucs à la guitare, très simples. J’ai ajouté des paroles et j’ai écrit des musiques de mon côté. Je me disais qu’ensuite, on se donnerait des rendez-vous chez lui, à Ouessant, pour enregistrer tout ça. Ça me plaisait l’idée de faire des allers-retours en bateau. Mais son studio était à Paris.” Fin 2008, ils travaillent donc tous les deux, en quasi-autarcie, dans le studio de Tiersen. “Je pensais qu’il y aurait d’autres musiciens, mais Yann est un homme-orchestre. Il passait de la basse au Moog, de la guitare à la batterie. C’est assez impressionnant à voir.” En studio, la communication entre eux est d’une rare franchise, d’une belle sobriété. “Autant on est bavards sur le reste, mais là on ne s’est pas posé de questions. On avançait très simplement.” Les chansons sont finalement prêtes début 2009. “On avait ces titres en chantier et ça commençait à se savoir. Une copine du Quartz, une salle de spectacle de Brest, nous a proposé de les jouer. C’était une bonne idée de les tester chez nous. La date a été complète très vite, d’autres salles nous ont appelés, et on a décidé de se lancer dans une petite tournée, histoire de voir comment réagissait le public à notre travail. Puis on est rentrés en studio mettre tout ça en boîte.” Entendues live au début de l’année 2009, et désormais sur disque, les chansons qui composent Finistériens semblent vouloir emmener Miossec encore un peu plus loin que ses précédents albums. Certes, il y a les thématiques récurrentes : les filles qui vous font du bien, puis du mal, puis du bien (Chiens de paille) ; les faiblesses en tout genre, du jeu à l’alcool (Jésus au PMU, petit chef-d’oeuvre) ; le renoncement et les regrets (Une fortune de mer, bouleversant, Fermer la maison, des larmes) ; l’envie de repartir aussi, tant bien que mal (Loin de la foule). Mais sur Finistériens, pour une fois, Miossec n’est pas dans son disque : il le surplombe avec une envie et une aura nouvelles. “J’en avais un peu marre de l’image du chanteur éthylico-bretonno-gaucho à fleur de peau. J’avais envie de creuser l’écriture, d’aller plus loin dans l’économie de mots. Je crois que c’est mon disque où il y a le moins de mots. Forcément, ils sont plus durs à trouver.” Finistériens s’écoute comme le signe d’une mue bashunguienne chez Miossec, une envie d’exploration certaine, à laquelle Tiersen participe activement, en fournissant le socle nécessaire à l’échappée. Après deux heures de conversation, où on évoquera tour à tour Grover Lewis, le fantastique journaliste américain à qui Philippe Garnier vient de consacrer un livre, Marcel Béliveau, Cali, Vincent Delerm, Sarkozy aussi bien entendu, on parlera bien sûr de Bashung. “Sa mort m’a foutu un coup. Alain était un type tellement génial, il nous a ouvert tellement de possibilités. C’est à nous de saisir le truc maintenant, mais il va nous falloir du courage… Dans l’avenir, je ne sais pas trop ce que je vais faire, je sais que j’ai envie de rester ici, d’écrire sur les gens d’ici. Un truc à la Steinbeck un peu. Je ne sais pas si on peut en faire un disque… Mais il faut qu’on retourne à la gare, ça va être l’heure, je crois.” Façon pudique de mettre fin à la conversation. Le trajet du retour sera tout aussi serein que celui de l’aller, bien qu’un peu plus sportif au niveau de la conduite… “Au revoir, on se revoit pour le prochain album, hein ? Je sais pas quand, hein ?” Miossec sourit, fait un petit signe de la main, puis démarre. Le break gris repart dans Brest. (Inrocks)


Les albums de Miossec se suivent et ne se ressemblent pas. Ou si peu. N’en déplaise à l’intéressé, toujours prompt à descendre son troisième Lp, mais Boire (1995), Baiser (1997) et A Prendre(1998) constituent une indépassable trilogie de la vie amoureuse : le célibat, le couple et la rupture en tiercé même pas gagnant. Et le reste n’est pas de la bricole : l’attachant Brûle(2001) en album de transition avant le chef-d’œuvre1964 (2004), symphonie aussi casse-gueule sur le papier que bluffant entre les esgourdes, ont achevé de placer Miossec sur le podium de la chanson franc-tireuse. Puis il y eut L'étreinte (2006), seul et unique album décevant à ce jour. En dépit de ce faux-pas, on garde le Finistérien en haute estime. Sa petite boutique regorge de trouvailles stylistiques et musicales. Et le patron, assoiffé de nouvelles collaborations (de Guillaume Jouan aux ex-Valentins, de Mathieu Ballet à Joseph Racaille) surprend toujours sa fidèle clientèle. Attendue au tournant, cette collaboration avec Yann Tiersen tient toutes ses promesses. Il s’agit de retrouvailles pour ces deux grands timides, qui s’étaient déjà croisés, à Ouessant, pour un album de Tiersen intitulé… Les Retrouvailles (2005), justement. Composées à quatre mains, ces chansons sont le fruit d’un travail de longue haleine, Miossec envoyant à Tiersen des bribes de mélodies (sur une corde ou quelques touches) que ce dernier s’est chargé de mettre en forme. Et le résultat coule de source. On tangue entre délicatesse (guitares chancelantes, mélodies chétives) et épaisseur (voix en écho, rythmiques massives). À presque quarante-cinq ans, un peu apaisé, Miossec n’en est pas pour autant ramolli, et n’envisage pas les sentiments autrement qu’exacerbés, confondant allègrement amour et haine (la bancale Haïs-Moi, la remuée Nos Plus Belles Années) ou s’épanchant sur des ruptures douloureuses (À Montparnasse, Seul Ce Que J’ai Perdu). D’autres constantes de l’auteur de La Fidélité sont au rendez-vous : Les Joggers Du Dimanche, tout comme autrefois Évoluer En 3ème Division ou Le Critérium, mêle considérations sportives et sentimentales autour du footing qui, malgré un malaise vagal en forme de fausse joie, reste un sport populaire. Certainement pas porte-drapeau, le candidat municipal à Locmaria-Plouzané n’a jamais rechigné à traiter de politique, avec une légèreté empreinte de gravité. Les Chiens De Paille, moins Drieu La Rochelle que Peckinpah, ou encore CDD évoquent le triste sort de la classe ouvrière. Plus loin, le Brestois s’est peut-être souvenu de ses portraits dans Ouest-France pour écrire Jésus Au PMU, taché d’un humour acide et d’une sacrée tendresse, pas loin des frères Coen ou d’Ettore Scola. Moins crue qu’auparavant, l’écriture possède toujours quelques balises, tels ces vers en points d’interrogation, ou ces mots déjà entendus ailleurs (“Brique par brique, pierre par pierre”, au hasard). Radotage ? Certainement pas. Mais la marque d’un style. Cette réussite se conclut en douceur avec Une Fortune De Mer, au refrain lancinant et lacanien (“Esther, Est-ce terre ?”) posée sur quelques notes de pianos, une guitare grave et quelques caresses de cymbales. Ou comment le discret Yann Tiersen, à force d’arrangements épurés et de percussions nuageuses, parvient à épouser le parlé-chanté rocailleux de ce “tendre granit”, comme l’avait qualifié le regretté Alain Bashung. Un Bashung qui n’aura jamais chanté Fermer La Maison. Et dont l’ombre, ce serait trop simple, ne plane pas sur ce disque : Miossec crée sa propre voie, sa “petite zone marécageuse”. Ce qu’il défriche, il le remblaie immédiatement derrière lui. Mais finalement, pourquoi Finistériens ? Peut-être pour ces chemins de terre traversés ensemble par les deux Bretons, pour ce phrasé escarpé, façon sentier des douaniers, pour cette chanson pas tout à fait française. Et peut-être, aussi, pour faire parler les scribouillards. Qui attendent la suite avec une impatience renouvelée. Miossec n’avait-il pas évoqué, un jour, son souhait de travailler avec Alan Stivell ? (Magic)
On peut dire que notre relation avec Miossec est parfois à l’image de certains de ses meilleurs textes. Celui que nous avons découvert au détour d’un soir, au cours de l’écoute assidue de l’émission de Bernard Lenoir sur France-Inter, s’est immédiatement imposé comme le compagnon de certaines de nos errances mélancoliques, lorsque nous avions l’impression de vieillir un peu trop vite. Quelques années plus tard, on s’est éloigné de Miossec, comme nous pouvons le faire avec des amis pour lesquels nous sentons que l’on a moins de chose à partager. Autant dire que l'on n’attendait pas grand chose de “Finistériens” …Ce disque est l’occasion de retrouver Miossec comme à son premier jour, avec un dernier album réalisé avec Yann Tiersen, un autre compositeur français que nous avons beaucoup aimé à ces débuts, un peu moins quand on l’entendait dans un film de Jean-Pierre Jeunet. Aujourd’hui les mots se font moins présents, laissant un peu plus de place aux instruments, renforçant l’ensemble avec une grande cohérence. Le temps fort de ce disque se retrouve sur Seul ce que j’ai perdu, où la guitare acoustique de Tiersen accompagne le texte de Miossec, puis révèle progressivement un superbe crescendo où l’émotion fait mouche, touche en plein cœur, nous laisse face à nous, au temps qui passe. Plutôt content, on retrouve là le Miossec de “Boire” ou “Baiser”. Et puis il y a CDD ou Les Chiens de paille, faisant un peu écho avec On était tellement de gauche, l’occasion pour une fois de retrouver un texte social, genre qui avait déserté la chanson française, telle une vieille chaussette sale que nous ne voulions plus porter. Pour le reste Miossec ressasse ces obsessions, la fin du couple et le marasme du mâle (A Montparnasse ou encore Nos Plus Belles Années) ou encore l’observation précise sous dépendance éthylique (Jésus au PMU). Pourtant, même si on est content de retrouver cette vieille carne qu’est Miossec, le chanteur ne surprend finalement pas beaucoup et préfère nous ressortir ses thèmes habituels, au risque d’en lasser certains, et c’est finalement la seule déception de ce disque plutôt bon. De son côté, Tiersen réalise quelques belles compositions, les arrangements sont au diapason, beaucoup de guitares, acoustique et électrique, en accords mineurs, accompagnées de quelques notes de piano pluvieux. Au final, un album touchant, plutôt bien réalisé, malgré quelques passages maladroits, pardonnables sous l’effet de la nostalgie. Pas de quoi regretter nos retrouvailles avec Christophe Miossec et Yann Tiersen, alors que l'on craignait une déception. Un bonne surprise qui nous tombe dessus quand on ne s’y attendait pas. Un disque vibrant, modeste, qui ne sera pas la truc über-hype de l’année, mais qui fera assurément partie de ces petits chefs d’oeuvre sur lequel on reviendra poser une oreille de temps en temps …(indiepoprock)
bisca
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le 5 avr. 2022

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