Fighting the World
6.8
Fighting the World

Album de Manowar (1987)

Après avoir pondu deux ogives nucléaires qui explose à la moindre chiquenaude, Manowar, peut-être, fut saisi d’un besoin de se calmer. Mais à quel dessein ? Pour se reposer, ou bien pour pouvoir conquérir un public plus large ? Si l’on se fie au très récurrentes diatribes de DeMaio qui, à chaque concert, ne manque pas une seule occasion de s’emparer du micro pour cracher son venin en exhortant tous ceux qui n’aiment pas son groupe à aller pratiquer le coït anal, on peut alors douter du bienfondé d’une démarche démagogique qui viserait à rendre son bébé plus populaire. Non, Manowar ne mange pas de ce pain-là, la soupe fade de la musique commerciale ne correspond pas au quatuor en cuir, eux, ils sont les croûtons imbibés d’ail et d’huile d’olive qui apportent du croquant et donnent du goût, beaucoup de goût. Ils ne sauraient être privés de leur saveur, car c’est la substance qui les définit et qui les caractérise. Retirez ces propriétés et vous n’aurez que des petits cubes de pain mous et granuleux. Est-ce que Manowar a vocation à devenir de la petite baguette industrielle que même des lapins ne daigneraient pas manger ? C’est certain que non, Manowar n’est pas Metallica, il ne vendra pas son âme au diable, il ne troquera pas son inspiration contre des dollars superflus.

Toutefois, Fighting the World est un ouvrage surprenant, car il ose se montrer plus abordable, plus axé sur la communion avec le public. Les morceaux de l’album sont clairement composées pour être chantées à tue-tête par la foule pendant les concerts. Les refrains sont entêtants, entraînants, et possèdent ce sel qui vous pousse à user de vos cordes vocales en harmonie avec les musiciens. L’œuvre musicale parait avoir été produite avec une idée en tête : s’inspirer de Hail to England (la chanson) et la reproduire sur tout un album.

Pour ouvrir le bal, Fighting the World mise sur sa chanson homonyme, et d’emblée, le ton est clair. Les paroles sont minimalistes, pas de démon, de combat épique, de guerre, de lame ensanglantée par l’œsophage découpé d’un ennemi du metal ou que sais-je encore. Il s’agit simplement de combattre le monde, manière métaphorique d’expliquer que, malgré le petit virage musical entrepris, Manowar combattra les détracteurs du heavy metal coûte que coûte. Manowar est fait d’acier, pas d’argile ! On parle fraternité, union, solidarité, les amateurs de metal sont appelés à se rassembler. Le refrain, très fédérateur, va dans ce sens. On s’imagine déjà dans la foule en train de le scander. Très simple et répétitif, il n’oppose aucune résistance et se laisse fredonner sans forcer. C’est sympa, pas du grand Manowar, mais c’est sympa, bien qu’un peu redondant.

Alors, Blow your Speakers est sympatoche, entraînante, fédératrice, blablabla, d’accord, mais bordel, c’est Manowar ! Ces qualificatifs sont bien faibles pour pouvoir prétendre s’attribuer à ce groupe ! Bon, Adams est en forme, mais, quelque chose cloche, on n’a pas l’impression d’entendre les créateurs géniaux d’œuvres atypiques du metal, là, on a l’impression d’être en train d’écouter un groupe de Hard FM qui veut passer sur les grandes ondes à la radio. Non, non, ça ne correspond pas du tout à Manowar ! Je me répète, la chanson en soi est agréable à écouter, mais on a le sentiment de s’être égaré, de voir un putain de char d’assaut tirer des petits cailloux, de surprendre le guerrier barbare musclé stéréotypé que l’on voit sur les pochettes (à partir de Kings of Metal) une tasse de cacao à la main, et en train de manger un pot de glace au caramel beurre salé devant une comédie romantique pour soulager son chagrin dû à une peine de cœur. C’est incongru.

Peu de gens que je connais écoutent Manowar, un nombre encore plus minime apprécie réellement. En ce qui concerne les filles, c’est peau de chagrin, aucune n’apprécie. Toutefois, Carry On, troisième morceau de l’album, est la seule chanson du groupe que les membres du sexe féminin que je connais, apprécient. Carry On est la chanson gonzessiale de Manowar, et par gonzessiale, j’entends les filles peu mélomanes, habituées au contenu radiographique populaire, pléthore d’hommes se voient également inclus là-dedans. Des hommes gonzessiaux, donc. Il faut dire que ce morceau a tout pour plaire au public : une intro douce et calme, des chœurs entraînants avec lesquels on prend du plaisir à chanter à l’unisson, des paroles niaises et un thème éculé (il ne faut rien lâcher, continuer à se battre tant que l’on est ensemble, etc.) et une énergie communicative qui donne la pêche, autant dans les couplets que dans le refrain. La fin du morceau synthétise très bien ces deux parties de la chanson, et l’énergie communicative s’en trouve décuplée. Bon, au risque de me répéter, Manowar n’est pas taillé de ce bois-là, un tel groupe qui chante une telle chanson, c’est faire du contreplaqué avec de l’ébène. Sympatoche, mais incohérent vis-à-vis de la grandeur et du génie d’inspiration du quatuor. Bon, lorsque la chanson est diffusée, je me surprends tout de même à chanter le refrain à l’unisson tel un fieffé nigaud. Un auditeur non initié pourra penser qu’il est en train d’écouter un groupe de Hard FM, une sorte de Bon Jovi (en beaucoup plus burné quand-même parce qu’il faut pas non plus déconner). L’auditeur habitué à Manowar, lui, se demandera où est passé la hargne belliqueuse inhérente au groupe.

Une sirène d’alarme retentit, l’auditeur chevronné, un peu hagard, empoigne prestement son canon et se fait une joie de retourner au front. Des bruits de détonation résonnent, les coups de feu envahissent l’acoustique. Plus de doute, on peut enfiler son marcel en cuir et partir retrouver nos frères sur le champ de bataille ! Cette voix, en fond sonore, je la reconnais, c’est Eric Adams qui s’échauffe ! Il a l’air prêt à en découdre lui aussi ! Et là, boum ! Le riff retentit, un putain de plan de guitare hargneux mais maîtrisé, j’adore ce riff ! Eric Adams nous gratifie d’un cri qui signifie que l’on peut ouvrir le feu, ah, ça y est, Manowar est de retour ! Violence and Bloodshed est un joyau méconnu du groupe, c’est un morceau que j’affectionne beaucoup. Il traite de la guerre du Viet Nam, un sujet sérieux et réel auquel le groupe, très axé sur les différentes mythologies ou épopées guerrière fictives, ne nous avait pas habitués. Le chanteur que je ne présente plus est en pleine forme. Le premier refrain, où il délivre son exceptionnel ambitus tout en parvenant à insuffler la rage nécessaire à son organe vocal unique, atteint des sommets. Et comme si cela ne suffisait pas, le riff monumental vient se greffer à la partition vocale pour créer un orgasme émotionnel à l’intensité gargantuesque. Seul bémol, cette explosion de puissance ne se reproduit pas pour le second refrain, et la chanson se termine un peu mollement, avec un solo qui ne peut se hisser sur les hauteurs précédemment explorées.

Cette ascension vers les sommets fut mouvementée, agitée, voici maintenant le calme qui succède à la tourmente. D’une note lourde et longue, la basse de Joey DeMaio introduit Defender. Seule, la quatre-cordes du fondateur à l’égo microscopique délivre sa mélodie sur laquelle une voix familière vient se greffer pour narrer une lettre touchante d’un père à son fils qu’il n’a jamais connu. Orson Welles et Manowar collaborent pour la seconde fois. Defender sera-t-il à la hauteur de Dark Avenger ? Non, et la comparaison n’a pas vraiment lieu d’être. Defender est Defender, un morceau qui représente très bien la substance épique du groupe. On y retrouve des thèmes récurrents : la prophétie, le mysticisme, l’amour du combat. Adams interprète le fils, l’élu, le Défenseur que Dieu a envoyé. Ce morceau au tempo lent, calme du début à la fin (si l’on excepte la guitare de Ross qui s’excite en clôture de l’œuvre) réussit parfaitement à transmettre l’émotion recherchée. On ressent bien la solennité du père à travers le timbre grave de Welles à la narration, et la révérence que le fils éprouve envers son géniteur est symbolisé par le chant d’Adams, encore terriblement juste et poignant. Le refrain est répété en boucle à la fin, et l’on aimerait qu’il continue encore et encore. Une merveille.

Drums of Doom (qui est le surnom donné à la panoplie de batterie de Scott Columbus, pour l’anecdote giga inutile) est la courte introduction musicale pour Holy War, elle sert à introduire l’ambiance à travers son atmosphère sonore continuelle lourde et inquiétante. Holy War démarre, logiquement, sous les mêmes auspices. Le son va crescendo, puis Eric Admas vient nous ravir les esgourdes avec ses cordes vocales. Toujours aussi axé Hard FM, le morceau renoue toutefois avec les classiques du groupe : la noblesse de la guerre et la dévotion à cette même cause guerrière. C’est un morceau plus sombre et plus énervé que les trois premiers de cet album, plus proche de ce que proposaient les quatre sires sur Into Glory Ride. Le côté entraînant et fédérateur est toujours présent, mais l’on retrouve ici le sel de Manowar. Une chanson efficace et représentative, loin d’être un classique ou une œuvre suprême comme certaines autres, mais une chanson que l’on a toujours plaisir à retrouver, une valeur sûre qui ne nous déçoit pas, mais qui ne nous transcende pas non plus, le mec que l’on est content de croiser dans la rue pour lui serrer la main, mais sans que l’on prenne non plus le temps de discuter avec lui

Que signifie ce cri perçant qui exprime la haine et le désespoir ? Pourquoi, soudainement, dans un album calibré pour plaire à la foule, un riff sombre, menaçant et funeste vient nous plonger dans les ténèbres ? Une tache indélébile de sang vient maculer le tableau jusqu’ici peinturluré de couleur vives. Et cette incantation, ces propos cryptiques, cette prose malsaine déclamée par un Eric Adams possédé, ça fait vraiment partie de cet album ? Il faut croire que oui. Je n’ai pas la réponse à ces questions, mais ce qui est certain, c’est que j’imagine un invocateur mystique réciter cette prose de manière transcendantale, les yeux révulsés, l’âme happée par l’inconnu. Je ne considère pas vraiment cette piste comme un morceau, mais plus comme une invocation que l’on ne peut pas prononcer sans être possédé par une force mystérieuse qui nous priverait de toute faculté de raisonner, impossible de l’écouter sans devenir complètement dément et hurler de concert la prose occulte. Master of Revenge, c’est un joyau à part.

Je ne sais pas vraiment quoi dire à propos de Black Wind, Fire And Steel sans me répéter. Ce morceau, qui clôt l’album, présente les mêmes caractéristiques que beaucoup d’autres de l’album. Entraînant, sympathique, taillé pour les concerts, plus abordable que les classiques du groupe. Très agréable à chanter à l’unisson, on passe un bon moment, mais ça ne prend pas aux tripes. Et Manowar, si je les aime autant, c’est parce qu’aucun autre groupe ne parvient à explorer mes viscères comme eux.

Les thèmes mythologiques mis de côté, les paroles hargneuses et occultes troquées au profit de chants fédérateurs à la gloire du heavy metal, c’est ce qui peut résumer Fighting the World. Les bougres ont du talent, et ils essaient de nouveaux horizons, sans pour autant changer radicalement de style. La rage d’Adams au chant est encore palpable, le son est encore lourd et claquant, la fougue est toujours présente, mais, à travers les trois premiers morceaux, elle s’exprime autrement, elle adapte son style aux nouveaux sentiers explorés pour ce cinquième ouvrage. Defender et Master of Revenge reflètent encore la substance guerrière du groupe, Holy War et Violence and Bloodshed dans une moindre mesure. En dernière analyse, un album qui détonne tout en parvenant à conserver le sel du groupe.

Ubuesque_jarapaf
7

Créée

le 6 août 2022

Critique lue 10 fois

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