everything is alive
7.1
everything is alive

Album de Slowdive (2023)

Il n’y a plus personne en gare, plus personne dans ma tête non plus, le moment est idéal, les années furent longues pour en arriver là, le plus dur c’est de commencer, mais il faut bien y aller. On en était resté à :


Thinking about love/thinking about love/thinking about love...

Everything is alive, ça faisait de nombreuses années que bon nombre d’entre nous l’attendait, parce qu’en attendant Slowdive, on attend davantage leur musique que le groupe en lui-même, et en attendant leur musique, on attend davantage une nouvelle rencontre tardive avec nous-mêmes : notre cœur de la dernière fois, notre âme d’aujourd’hui, et puis celle à venir, qu’on attend avec ce curieux mélange d’espoir et d’appréhension. Une impression propre à l’aura de Slowdive plus qu’une intention propre au groupe, il faut bien se l’avouer, forçant à mes yeux un respect teinté de mélancolie.


Ces couches soniques vaporeuses, ces murs de sons éparses bouleversant l’âme, ces voies éthérées incompréhensibles dans lesquelles nous venons piocher les mots que nous avons besoin d’entendre… Pas de doute, nous y sommes. 


6eme écoute. Elles ont jusqu’ici toutes été différentes, mais le paradoxe est là, immédiat, presque suprématiste, et quelle joie de constater l’immédiateté des paradoxes lorsqu’ils viennent tout de suite trouver leurs réponses dans une nuance nécessaire. Tout est vivant, mais la mort est partout. Il faut de la réflexion, ainsi qu’une appréciation presque spirituelle, pour saisir l’animisme du titre de l’album tout autant que sa musique, comme il nous en a fallu pour saisir l’importance de Pygmalion au fil du temps. Les similitudes soulignées entre ce dernier et everything is alive (et c'est remarquable sur un titre comme chained to a cloud) n’étaient donc pas infondées, et leurs ressemblances dépassent la simple utilisation réciproque des synthés analogiques pour la composition. C’est sur le temps que ça s’apprécie, et sur le détail que ça se savoure. J’aime y voir une certaine définition de la poésie. 


À l’écoute d’everything is alive, je me rends compte de mon ignorance. J’ignorais de manière sensible la mort qui y rôdait. Je l’avais déjà entre aperçue entre les lignes des poèmes de Rilke, mais cette mort, elle était trop douce pour être vraie. Elle n’avait que la célébration pour être apaisée. Mais alors, elle existe vraiment ?


J’entends la mort, en dehors même du contexte de création de l’album, et pourtant, je vois se marier avec elle une ode universelle à la vie. Une catharsis presque aristotélicienne que ce mix bizarre entre dream-pop, shoegaze, ambiant et electro vient illustrer. J’y entends une unité qu’alife propulse au-delà de la beauté, aidé par ses riffs entre krautrock et math-rock embrassés. Centre symbolique, plus que névralgique, de toute la poésie d’everything is alife que je me vois déjà écouter dans une dizaine d’années, des épreuves en plus, de l’innocence en moins.


Two lives are hard lives with you

L’apaisement règne, je ne savais pas qu’il pouvait être si salvateur, il a presque un goût de miel et de cryptes ensoleillées, et il nous suffit de ré-entendre la grandiose et silencieuse élégie prayer remembered pour en capter tout l’éventail des sensations égarées. On y cueille la beauté comme on oserait à peine cueillir une pétale parmi toutes les corolles d’un champ de fleurs.


Et s’il nous faut venir comparer quelques splendeurs parmi ces champs de fleurs, car il n’est sans doute pas de splendeur unique en cet univers qui en regorge tant et qui sait si bien les unir, il semble évident que des complémentarités peuvent se percevoir entre les productions folk de Mojave 3 du duo Halstead/Goswell et la stellaire andalucia plays, certainement mon morceau favori pour le moment en raison de la force intime qui y règne en maîtresse esthétique. En berceuse cosmique nous murmurant tous les secrets qu’il nous reste à découvrir d’un temps qui nous les livre à compte goutte, la transparence inédite des paroles de Neil confine au divin tandis que le mariage ponctuel des synthés et des guitares nous font découvrir des horizons que même l’enfance n’aurait su nous faire parcourir. Le soleil y frappe plus fort que nulle part ailleurs, et il nous faut avec un peu plus d’effort et d’attention capter toute la chaleur de ses rayons. 


Andalucia plays on the stereo/Remember the first winter/The dark of everything

Et la naïveté, alors tant recherchée pour saisir les besoins d’une jeunesse désenchantée, se révèle finalement ne pas être si naïve lorsqu’elle habite une sincérité presque trop émouvante pour être tout à fait comprise, en une sorte d'hommage fait aux êtres que nous avons une fois été. De rêves, vécus ou invaincus, kisses apparaît finalement comme le centre névralgique de l’album, servant son propos comme aucun autre titre, faisant le choix sublime et magnifique du bonheur contre le désespoir. 


Maybe there's a car there/Driving away from here

Alors que le temps passe, dans notre esprit et entre ces nappes qui se superposent aux couches indicibles de nos émotions, on se surprend à disparaître dans le rythme lancinant de chained to a cloud, qui ne manquera pas de nous surprendre en nous faisant atterrir un peu plus au dessus des cieux. À croire que Brian Eno est passé par-là, et s’il le fit il y a de ça de nombreuses années, c’est pour mieux permettre à Slowdive de nous offrir ces échappées que seul le temps leur a permis d’évoquer. On croit partir, s’échouer enfin sur des rivages qu’aucun oasis ne saurait égaler, et puis… 


Did you really understand/Falling down to the begin

Ce rythme. Ce rythme, enfin, discret parmi des milliers mais tribal comme aucun autre dans cet ensemble de résilience et d’apaisement. The slab, ce titre au même son que ses batteries que percutent et perturbent une sérénité qui n’en possède que le nom, serrant et desserrant les poings en permanence, comme pour exorciser une force qui ne trouverait pas d’exutoire. Choix audacieux s’il en est pour un single, qui aurait avec sagesse sans doute dû être gardé pour le jour du dévoilement complet ; mais peu importe. Cette conclusion acharnée, où s’affolent des pistes s’intervertissant selon l’attention de nos ouïes libertines, revêt à l’écoute complète d’everything is alive une magie à la hauteur des espérances pour une dernière valse spatiale caressée d’infini. 


La jeunesse délirante et délirée de Slouvaki a désormais laissé place, avec le temps, à une maturité dans laquelle se marient résilience et nostalgie, refus d’oubli et transcendance. Peuvent s’en plaindre les plus frustrés d’une jeunesse qui passe trop vite. Les autres, espérer concevoir dans quelques années la nécessité presque religieuse d’une certaine quiétude individuelle. La lutte a disparu (ou du moins a-t-elle perdu sa définition d’antan), et pourtant nous y retrouvons certains de ses apparats, comme en témoignent les pistes initiatrices et conclusives de l’album. Les fantômes du passé rôdent, les défunts par les nuits rongées du jour osent des retours, mais il n’est rien de mal. La mort n’en est pas une, andalucia passe à la radio dans une cuisine au bord d’un lac, et tout est bien. La nécessité des choses se ressent ; elle n’a pas à être comprise. Puisse la douleur d’aujourd’hui laisser place dans quelques années à une attendrissante nostalgie. Tout l’album semble nous adresser ce message : mention spéciale à skin in the game, moment phare, qu’aucune tristesse ne submerge tant la beauté la dépasse. L’âge me convaincra qu’un tel espoir d’existence est possible. 


Il ne sert pas à grand chose de souligner la puissance évocatrice d’un tel style musical et la préciosité inhérente à cette intention, d’autant plus couplée par les talents de compositeurs des membres de Slowdive alliés à la production éparse de Shawn Everett (The War on Drugs et Julian Casablancas, entre autres), qui y fit un travail magique en tout point. Que la jeunesse indie se précipite sur les pédales de delay afin de reproduire ce son iconique prouve le besoin d’évocation, pour soi, pour les autres, mais aussi pour les inconnus, dans un monde qui donne seulement à voir ce qui doit pour lui être vu. 


Slowdive, et d’autant plus à travers cet album, continue de se détacher trente ans depuis leurs débuts par cette humilité que possède les groupes qui n’ont besoin que de leur son pour s’inscrire quelque part, faisant fi de tous les besoins qu’ont aujourd’hui les musiciens de se référencer ou de jouer une musique qui cherche étrangement à être comparée. L’humilité d’un art qui ne se conçoit et ne se crée que par lui-même, aux reflets troubles mais en aucun cas troublés : ils ne donnent rien à voir, n’imposent aucune image, et font apparaître en trois notes éparpillées sur trois secondes le besoin de ressentir l’Imagination. Celle qui nous permet de voir sans qu’on ait besoin de nous montrer. Celle grâce à qui, lorsque l’on ne ressentira plus le besoin de voir les choses, celles-ci oseront se montrer un jour à nous par elles-mêmes.


C’est donc ça, vieillir ? S’il s’agit pour le temps qui passe de nous offrir un peu de réconfort et un brin d’infini, je veux bien accepter la vieillesse pour venir par avance apaiser ceux qui en ont l’envie. 


Une grande œuvre pour les siècles à venir, et pour tout ceux qui tacheront d’en discerner les éparses éclats de beautés. Que Slowdive nous revienne vite ou bien jamais, s’ils ont épuisés pour nous toute l’importance cathartique de leurs créations.


J’y retourne pour un peu plus d’une 15ème d’écoute depuis le début de cette chronique. Je n’imagine pas dans 150 ans.


PS : la note de 9 est seulement contextuelle, et pourrait surprendre de prime abord. Elle me laisse toutefois le temps, et l'espace, de la monter à 10 pour dans 150 ans.

Lafonthug
9
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le 1 sept. 2023

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Lafonthug

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