Everyday Robots
6.8
Everyday Robots

Album de Damon Albarn (2014)

Damon Albarn a le bourdon. Plus proche désormais de la cinquantaine que de la quarantaine, le voilà au bord de la midlife crisis. On imagine sans mal la remise en question d'un mec avec une telle carrière derrière lui. Un gars qui a traversé l'intégralité des nineties à la tête de Blur, grand pourvoyeur de pop insolente. Qui s'est entièrement réinventé avec Gorillaz à l'arrivée des années 2000 en se mettant au goût du jour et en proposant des tubes à la pelle ; on aime ou on aime pas mais c'était couillu. Qui est devenu sérieux et grave avec son bwitish supergroup The Good The Bad & The Queen tout en cultivant un petit jardin solo contenant lui d'étranges disques - dont un opéra, oui ma bonne dame. Albarn a dû manquer un battement, faire l'erreur de s'arrêter un petit moment pour faire un point sur sa vie, se demander dans quelle direction aller maintenant... et là vertige : comment être à la hauteur de son propre C.V. ? Du fond de son trou, Damon aurait pu faire l'erreur de se réfugier dans la nostalgie, ou pire, l'autocélébration, et tenter (par exemple) de refaire du Blur à la mode de Parklife. Fort heureusement, le bonhomme confirme avec Everyday Robots qu'il est une fois de plus capable de se réinventer. On ne parlera pas de révolution ici, et ce n'est d'ailleurs pas le but du disque ; il s'agit seulement d'un très bon album. Voilà ce qu'est Everyday Robots : un disque cohérent, avec une identité sonore qui lui est propre, une production et des arrangements à la grande force évocatrice, un songwriting élégant - comme toujours avec Albarn, et surtout probablement son album le plus personnel à ce jour.

A l'instar de la pochette grise montrant Damon assis sur un tabouret, les épaules abattues et la tête baissée, le disque est sobre. Presque minimaliste par moment ; il ne suffit bien souvent que d'un léger beat pour accompagner les rares instruments et la voix désenchantée de Damon. La grisaille abonde certes, mais il ne s'agit pas de déprimer à l'écoute du disque, contrairement à l'image que celui-ci se trimballe auprès de la presse. Non, à l'écoute de Everyday Robots on a simplement envie de se poser. De se calmer un coup dans ce monde effréné, de jeter un coup d'œil derrière son épaule et de méditer un peu sur soi. Si cette introspection vous cafarde, c'est qu'il est temps de se poser les bonnes questions. Cette appel à la "rétrospection" n'est sûrement pas étranger à l'usage que fait Albarn des samples vocaux. Le disque s'entame d'ailleurs par l'un d'entre eux ; une vanne d'un comédien à un public hilare. Et tout de suite le décalage s'installe... La plupart des extraits s'intègrent étrangement dans les morceaux, comme s'ils n'étaient pas vraiment à leur place. Joyeuses, vivantes, vieillottes, ces voix semblent sortir d'une radio grésillante. Contre toute attente, le mariage de ces reliques du passé avec le spleen très contemporain d'Albarn est heureux. Au milieu de ce brouillard incertain et mélancolique, ces échos d'un passé joyeux brillent par leur contraste avec les compositions du disque et créent une atmosphère inexplicablement attirante.

"This is a precious opportunity, beware of the photographs you are taking now". Et lorsque avec le disque se clôt l'album photo, une question reste en suspens. Éludons d'entrée le poncif de fin de chronique : "quel sera la prochaine direction prise par Damon Albarn après ce nouveau disque ?". Le bonhomme est imprévisible, on verra bien le moment venu. Mais si on s'est correctement imprégné de cet album, si personnel et intimiste, la conclusion peut plutôt se formuler comme suit : Et maintenant, où vais-je ?

Créée

le 11 mai 2014

Modifiée

le 23 août 2014

Critique lue 901 fois

17 j'aime

T. Wazoo

Écrit par

Critique lue 901 fois

17

D'autres avis sur Everyday Robots

Everyday Robots
TWazoo
7

Le gris de la stase

Damon Albarn a le bourdon. Plus proche désormais de la cinquantaine que de la quarantaine, le voilà au bord de la midlife crisis. On imagine sans mal la remise en question d'un mec avec une telle...

le 11 mai 2014

17 j'aime

Everyday Robots
Valentin_Lalbia
8

Mr.Tembo

Après son succès avec Gorillaz, Blur et bien d'autres collaborations, Damon Albarn livre son premier album solo après plus de vingt ans de carrière. Everyday Robots est l'un des albums les plus...

le 29 avr. 2014

17 j'aime

5

Everyday Robots
Aivil
8

When you're lonely press play...AND REPLAY.

Non mais déjà, des critiques 5 jours avant la sortie officielle de l’album, les gars? Et moi, la petite groupie naïve qui attends de recevoir mon vinyle le lundi matin pour bien commencer cette...

le 28 avr. 2014

12 j'aime

2

Du même critique

One-Punch Man
TWazoo
4

"Well that was lame... I kinda had my hopes up too."

Cette citation n'est pas de moi, c'est Saitama lui-même, principal protagoniste et « héros » de One-Punch Man, qui la prononce après un énième gros vilain dûment tabassé d'un seul coup...

le 5 janv. 2016

67 j'aime

38

Jackson C. Frank
TWazoo
9

Milk & Honey

"Le plus connu des musiciens folk sixties dont personne n'aie jamais entendu parler." Ainsi s'exprime très justement un journaliste dans un article dédié à la mémoire de Jackson C. Frank, mort en...

le 16 oct. 2013

66 j'aime

4

Murmuüre
TWazoo
9

Murmures du 3ème type

On pourrait être tenté, à l'approche de la musique de Murmuüre, de ne parler que de Black Metal. On pourrait amener, à la simple écoute des guitares poisseuses et saturées ou bien des - rares -...

le 30 sept. 2014

54 j'aime

5