Quand j'emprunte des paradoxes, je les rends, avec intérêt...

"Et Basta !" est l'album difficilement accessible de Léo Ferré, par ses arrangements et son texte très fleuve, avec son ultime disque "Une saison en Enfer". Clairement, c'est pas la peine de débuter avec celui-là. Il est adressé aux grands Fans. Ceux qui sont prêts à l'écouter au fin fond de la noirceur de la nuit. Parce que c'est ce qu'il se passe sur ce disque: Léo parle. Il se confie sur ses obsessions, et surtout sur ce désespoir, si fructueux dans le domaine artistique, qui l'a habité entre 1968 et 1973. Ça peut paraître égocentrique comme intention j'en conviens. J'ai d'ailleurs du mal à imaginer quel plaisir ont bien pu prendre les ingénieurs du son ou les musiciens (qui n'ont pas grand chose à faire sur ce disque), et la tronche de Barclay à son écoute même si il a été publié la même année qu' "Il n'y a plus rien"... L'intimité même, l'anti-commercial dans ce qu'il y a de plus extrême (alors que Ferré était lucratif à ce moment là !), ce disque est totalement à part dans la Chanson française. Léo Ferré cause et crache, rend hommage à ses sujets d'inspiration, nous sort de nouveau des formules d'anthologie ("Quand la merde te déborde, c'est encore de la merde !" , " Mon chien me regardait jouer du piano. Son soleil c'est moi. Son soleil ne se couche jamais" etc. etc.) et nous livre donc son autobiographie poétique musicale. L' originalité et la sincérité sont à saluer. Et puis, c'est un pari on ne peut plus audacieux. Et Léo gagne. Les arrangements, minimales (il est même à capela de temps en temps), sont pourtant magnifiques. La partition de la guitare, les percussions "surprise" et surtout celle du clavier lorsque Ferré parle de la mer, finissent par créer une vraie émotion et à exister derrière la voix du chanteur. D'ailleurs, c'est sur ce disque que l'on se rend compte à quel point sa voix est particulière et peut tout exprimer. L' écoute est donc vraiment magnifique, comme si on était chez lui et qu'on l'entendait raconter le Désespoir au coin du feu. Il est, hélas, quand même facile de décrocher. Surtout pour certains passages trop cryptés (pour la "femme qui porte le derrière sur la figure" : il s'agit de Michèle Arnaud, que Léo n'a jamais pu piffer), ou pour d'autres passages dont on perd le fil. Ainsi, ses insinuations à Madeleine, sa deuxième compagne avec qui il a vécu 18 ans et dont l' histoire d' amour fou l'a détruit, viennent un peu par hasard, et de n'importe où, au fil du texte. Il faut vraiment aimer l'expérimentation, et être un peu anar aussi peut-être. Il faut ne pas avoir peur de la noirceur, parce que si Ferré a bien sorti un jour un titre noir, c'est bien "Et... Basta !". Personnellement, je salue, et puis je me régale. Et puis, terminer sur la nouvelle version de "Ni Dieu Ni Maître", la meilleure, aux arrangements complètement remaniés et au parlé émouvant... achever sur le son, simple, de la mer, quand l'album a commencé par un son de vent violent... pour quitter l'île mentale de Léo Ferré... et se dire que, même si il a été long, quel voyage tout de même !