Après le très heavy et occasionnellement expérimental Fear of the Dawn, qui a réconcilié un certain nombre de fans de Jack White avec leur idole, voici donc le second album promis pour cette année, Entering Heaven Alive. Et, un peu à la manière de ce qu’a régulièrement fait Neil Young, que White connaît bien et qui devient peut-être une sorte de nouveau modèle pour lui, après un album électrique et moderne, voici donc un disque plus acoustique – enfin, partiellement – et surtout plus… traditionnel. Et pourquoi pas ?


Débutant paradoxalement par ce qui s’avérera l’un de ses moins bons titres, A Tip from You to Me – insignifiant, qui infuse immédiatement une certaine inquiétude en nous, dans le registre « tout ça pour ça ? », Entering Heaven Alive n’est pas le disque d’Americana / bluegrass annoncé – plaisanterie ? – par White, et se déploiera au contraire progressivement dans une multitude de genres (jazz, bossa, etc.) inattendus. Et s’avère donc une excellente surprise, tout en gardant les caractéristiques des compositions classiques de White depuis les White Stripes. All Along the Way est une petite merveille, débutant en format folk primitif avant de culminer en quasi-crise de nerfs typiques de son auteur. Help Me Along ressemble un peu à l’une de ces ballades traditionnelles, un peu anecdotiques – que les Beatles (ou plutôt McCartney) écrivaient et incluaient sur leurs albums pour relâcher la pression entre deux titres plus ambitieux, avec une orchestration baroque dont on ne saurait apprécier le degré de sérieux. Love is Selfish lorgne clairement vers le versant acoustique du Loner, mais la voix de Jack infuse une émotion bien différente, et bien caractéristique.


Et puis arrive I’ve Got You Surrounded (With My Love), l’indiscutable sommet de l’album : blues, swing, jazzy, avec guitare wah wah à gogo, constamment surprenant avec ses virages inattendus, plein de soul, c’est probablement ce que le nouveau Jack White peut nous offrir de meilleur en 2022, de l’expérimentation comme il aime, mais sans sacrifier ni la subtilité musicale, ni ôter à sa musique cette « âme » qui en faisait tout le prix à l’époque des White Stripes. A partir de là, la partie est gagnée pour Jack, et même des gens aussi réticents que nous à sa démarche actuelle devons admettre que Entering Heaven Alive exsude une classe incroyable. Et replace son auteur dans le peloton de tête des musiciens qui comptent.


Queen of the Bees est un autre divertissement baroque, qui louche vers une sorte de variété US des années 40-50 : mais la facilité avec laquelle il est capable d’aborder presque tous les styles musicaux, cette élégance avec laquelle il en joue, avec un sens de l’humour qui n’a pas été jusque là sa caractéristique la plus évidente, tout ça nous laisse penser que Jack assume enfin son destin, sans complexe. La mélodie irrésistible de A Tree on Fire From Within met les points sur les i, avec une aisance, une évidence qui manquait à ses derniers albums. If I Die Tomorrow retrouve des accents folk anglais, évoquant même une sorte de Nick Drake qui aurait clairement triomphé de sa tristesse et s’élèverait vers une sérénité triomphante.


Please God, Don’t Tell Anyone, pas si loin du Dylan de la période la plus roots, est légèrement en deçà des titres précédents, mais A Madman from Manhattan, avec ses ruptures de ton et de rythmes, et sa narration très cinématographique, est une autre pièce absolument magnifique de ce puzzle qu’est cet album. La conclusion en forme de clin d’œil que représente la version country / bluegrass, avec violon folklorique en sus, de Taking Me Back permet à l’album de se refermer sur une vraie joie de vivre, un plaisir suprême de jouer qui est la meilleure description de cette nouvelle phase du travail de Jack White.


Finalement, de manière imprévisible, Entering Heave Alive se révèle le disque le plus humain, le plus direct, le plus touchant, le plus… plaisant à écouter que Jack White nous ait proposé depuis des années… Espérons, non gageons que grâce à cette immédiateté, cette sincérité retrouvée, Jack White aura définitivement retrouvé la grâce.


[Critique écrite en 2022]

EricDebarnot
8
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le 23 juil. 2022

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Eric BBYoda

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