Enclosure
6.1
Enclosure

Album de John Frusciante (2014)

Que doit-on désormais attendre de John Frusciante ? On l’a connu virtuose chez les Red Hot Chili Peppers, plus éclectique et profond dans sa carrière solo; et voilà que, maintenant qu’il est entièrement dévoué à celle-ci, on le découvre expérimental et électronique.

C’est une entreprise délicate que celle d’écrire sur la musique d’un artiste qui m’a à ce point fasciné. Il y a certes la variété des styles explorés: le funk, le pop-rock (et cette association bâtarde n’aura jamais paru aussi noble qu’avec Frusciante) avec les Red Hot, puis des albums acoustiques, hard-rock, psychédéliques, et de bien d’autres styles que je ne me risquerai pas davantage à énoncer parce que j’ai bien conscience de la vanité de l’exercice, surtout face à la musique d’un tel personnage.

Mais il y a bien plus. Il y a cette dimension métaphysique, que l’on retrouve parfois dans ses paroles, mais toujours plus maladroitement que dans sa musique. Il y a un sentiment de sincérité, d’une vocation et d’un amour pour son art. Il n’est pas rare de ressentir cette vocation chez un artiste. Ce qui l’est davantage, c’est qu’elle s’accompagne d’un tel dénuement. Le statut d’artiste est exigeant; si bien qu’on ne l’assume qu’en se créant un rôle: on établit un jeu de scène, on se maquille, on travaille son style, on ne se montre que sous son masque. A cet égard, John Frusciante affiche une sérénité qui touche au génie. Pas d’apparat, pas de tricherie, pas d’égo non plus. La sortie d’un de ses albums en est dès lors presque cérémoniale, et mon excitation est à la mesure de mon appréhension. Enclosure ne déroge pas à la règle, même si j’ai accepté, depuis les deux précédents opus, de ne plus tout comprendre de ses envolées.

Voilà donc ce que l’intéressé décrit comme l’aboutissement de ses cinq dernières années de travail. Moi qui avais cru devoir comprendre cette pochette et ce cercle dont Frusciante lui-même dessine les contours approximatifs comme l’aveu d’une œuvre imparfaite, je m’étais trompé. Si l’album n’est pas aussi déroutant que son précédent Outsides, où il avait poussé la dysharmonie jusqu’au dernier degré, il intrigue par ce singulier équilibre qu’il semble finalement trouver. Fort de quelques fulgurances lumineuses (« Fanfare » et l’outro de « Sleep » sont parmi les plus manifestes), il n’hésite pas non plus à ressortir ces rythmes fortement inspirés par Aphex Twin qu’on avait déjà entrevus auparavant, et qu’on retrouve notamment dans « Stage », à mon sens le moment fort de l’album.

Enclosure est une réussite parce qu’il est audacieux, et d’autant plus plaisant qu’il se dévoile – est-ce bien nécessaire de le dire ? – après plusieurs écoutes. Mais il reste malgré tout quelque peu obscur, et l’impression d’un résultat bancal n’est pas loin. Et pourtant, avec Frusciante, je m’en remets toujours à l’idée que, vu la stature du bonhomme, ce sont forcément mes oreilles inaptes qui sont la cause d’une compréhension limitée, bien plus que d’improbables lacunes dans son travail
Manu-D
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le 1 mai 2014

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Manu-D

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