Depuis tout petit, je m’intéresse à la boxe, l’anglaise, le noble art. Ma nature de petit mâle me poussait à apprécier les démonstrations de force, et comme les autres petits mâles de mon espèce, on adorait quand, dans la cour de l’école, il y avait « la bagarre ». Mais les bagarres de récré n’étaient que esbroufes, poudre aux yeux, ce n’était que coups mal donnés par des pantins désarticulés soumis à leurs pulsions violentes. Les coups de poings étaient des tours de moulin à farine, et l’on était davantage grisés par l’animosité entre les rivaux que par la bagarre en soi.

La boxe, c’était mieux. Deux combattants aguerris qui savent donner des coups s'affrontent dans l’arène sans que personne n’intervienne pour les séparer. Je n’ai jamais cessé de regarder ce sport depuis. Avec un ami à la passion identique, on en discute très souvent, et lorsque je lui parle de mon boxeur préféré, George Foreman, il me répond : « Foreman, il faisait péter ! ». Cette interjection lapidaire sied parfaitement à Defenders of the Faith. Dans cet album, Judas Priest, ils font péter !

Freewheel Burning est le direct du bras avant, il annonce la couleur et sert d’amorce pour la suite du combat qui sera à sens unique, entre un boxeur à la puissance monumentale d’un côté et un auditeur masochiste qui redemande sa dose énorme de mandales de l’autre. Ce qui frappe instantanément, c’est la qualité du son, il est superbe ! On entend parfaitement les guitares survoltées nous assommer la face à coups de riffs rapides, précis et inspirés et la section rythmique soutenir tout ce déferlement de violence. Quant à la voix de Rob, elle nous décourage immédiatement par sa facilité ubuesque à dépasser les limites du genre humain.

Jawbreaker ne nous laisse pas respirer, c’est le l’enchaînement de directs du bras avant qui s’enchaînent sur votre visage déjà contusionné. Les guitares sont encore énormes, et Rob nous étend sa maîtrise sur le refrain avant de doubler l’intensité sur la fin du morceau pour nous gratifier de ses aigus acérés qui se plantent dans notre esprit pour ne plus jamais le lâcher.

Moins tempétueux, Rock Hard Ride Free apporte l’accalmie nécessaire pour éviter l’arrêt du combat par un arbitre à la fois épris de pitié pour l’auditeur et béat d’admiration envers le déploiement de puissance auquel s’adonne le Priest. C’est le refrain qui se taille la part du lion dans ce morceau plus modéré et mélodique. Les paroles sont niaises, mais qu’est-ce que c’est bien chanté !

The Sentinel se paie le luxe de bénéficier d’une intro magnifique à la guitare qui s’achève en laissant la place à un riff colossal. Downing et Tipton nous gratifient d’un duel époustouflant à la guitare dont le point d’orgue est atteint durant le solo, incroyablement beau et mélodieux tout en restant puissant et rapide. Le chant de celui qu’on ne présente plus atteint de tels sommets qu’il côtoie les astres. Putain, mais cette voix sur le refrain, c’est indescriptible ! Et pour couronner le tout, il se permet de monter de plusieurs tons à la fin…Qu’est-ce que ça cogne fort ! Physiologiquement, l’auditeur devrait être hors d’état de combattre, mais son centre émotionnel se régale tellement depuis le début qu’il en réclame encore et encore, forçant le corps à se tenir debout et à faire front. Masochisme ou lubricité ?

Love Bites, bien supérieur à son homonyme effarouchement niais et mièvre de Def Leppard, nous hypnotise par son martèlement entêtant et son style beaucoup plus brut, limite metal indus mais en moins chiant, qui détone chez Judas Priest. Habituellement du côté des aigus, Rob Halford nous gratifie cette fois d’un chant beaucoup plus rauque et guttural, n’oubliant pas d’être excellent. Le jeu de jambes qui déconcerte l’adversaire pour mieux l’atteindre au foie, à la mâchoire ou au menton.

Eat Me Alive est du même acabit, mais encore plus sombre, plus déroutant. Le refrain est apocalyptique, faisant penser à l’ineffable rage présente sur White Heat, Red Hot de l’album Stained Class. Encore un coup terriblement brutal qui fracasse la garde de l’auditeur pour lui fracturer le nez. Mais c’est tellement bon qu’il exhorte son coin médical à le lui remettre en place pour pouvoir se le faire fracturer encore et toujours.

Some Heads Gonna Roll est le titre un peu en-dessous du reste, le petit enchaînement pondéré de directs du droit qui sert à maintenir l’adversaire à distance. Une technique qui n’inflige aucun dégât physique, mais qui permet de garder la mainmise pendant le combat. Tout est là, chant, rythmique, guitares magistrales, etc., mais en moins intense et moins dangereux pour les cervicales que le reste de l’album.

Night Comes Down fait figure de ballade, dont le rôle est de baisser la tension beaucoup trop élevée, même pour un adversaire qui ne réclame que ça. La capacité qu’à Rob de moduler sa voix et la faire monter en puissance lorsque vient le refrain impressionne toujours, même si on sait que l’on a affaire à un dieu absolu du chant heavy metal. Il faut bien boire un coup et s’asseoir un moment sur le tabouret pour se faire soigner et récupérer !

Avec Heavy Duty et sa rythmique aussi rudimentaire que pachydermique, on atteint paradoxalement l’apothéose. Pas de guitares survoltées ici, simplement quelques accords bien placés et des motifs basiques venant se greffer au battement primitif de la batterie. C’est simple, mais qu’est-ce que c’est bon. Chanter cet hymne fédérateur avec Rob procure des émotions phénoménales, on a l’impression d’être sur le toit du monde, et de disposer du pouvoir de détruire celui-ci lorsque le chanteur perce l’empyrée avec sa palette aigüe. Defenders of the Faith conclut l’album en faisant office de suite directe à Heavy Duty. Impossible de trouver plus entraînant, je pourrais passer des heures d’affilée à m’égosiller sur ce refrain laconique tellement il est exquis. Il a l’intensité maximale, l’émotion paroxystique, la contagion extatique et la puissance absolue. Judas Priest remporte la victoire et étale ostentatoirement son triomphe, et l’auditeur le regarde avec amour et passion. Je veux être un défenseur de la foi à vie !

Mohammed Ali disait que le cogneur le plus brutal qu’il ait jamais rencontré n’était pas George Foreman, mais Earnie Shavers. Defenders of the Faith est celui qui frappe encore plus fort que ces deux mastodontes du noble art. Il fracasse la garde et brise les os, martèle le crâne et rompt la mâchoire, mitraille les abdos et perce le foie. Le point culminant du heavy metal traditionnel des années 80. Grandiose.

Ubuesque_jarapaf
10

Créée

le 7 sept. 2022

Critique lue 24 fois

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