Colorado
6.5
Colorado

Album de Neil Young et Crazy Horse (2019)

Le retour d'une bande de vieux blancs...

« You might say that I’m an old white guy… », c’est ainsi que Neil Young, 73 ans, introduit "She Showed Me Love", la seule chanson de son nouvel album, "Colorado", (le premier publié, depuis sept ans quand même, sous le nom emblématique de Neil Young & Crazy Horse…) qui sonne vraiment comme du Crazy Horse… avant de se perdre dans une répétition de plus en plus épuisée du fameux « système » mis au point en 1969 avec "Everybody Knows This Is Nowhere" : une rythmique simpliste et lourde, et Neil qui balance un solo interminable – mais viscéral – basé sur quelques notes grinçantes, suraiguës, qui semblent extirpées, et douloureusement encore, de notre inconscient collectif. "She Showed Me Love" parle très simplement du mal que les vieux blancs comme lui ont fait à la planète, avec une sorte de résignation typique du passage des années, une résignation pourtant toujours assortie de cette colère que le Loner a si souvent manifestée au cours de sa longue carrière. Voilà, ce titre de plus de 13 minutes devrait être le sommet de "Colorado". Il ne l’est pas…


Appeler Crazy Horse le duo de survivants constitué par Billy Talbot (le bassiste) et Frank Molina (le batteur) constitue une licence poétique – le rappel du brillant Nils Lofgren, près de 45 plus tard (!), pour compléter le casting, aurait pu fonctionner si Neil l’avait autorisé à jouer un peu de guitare, ce qui ne sera quasiment jamais le cas ici. Crazy Horse, on le sait depuis longtemps, c’est plutôt un état d’esprit pour Neil : une manière plus cool, moins exigeante pour lui de faire de la musique, qui lui permet d’être simplement lui-même. Si sa collaboration avec les petits jeunots de Promise of the Real a donné de beaux résultats, en particulier en live, on comprend en écoutant "Colorado" combien ils ont fait sortir le vieux tigre de sa zone de confort, et donc combien il semble heureux d’y revenir, le temps d’un nouvel album, qui s’inscrit naturellement dans la ligne d’un "Zuma" ou même d’un "After the Goldrush"… Le génie en moins, nous rétorquera-t-on ? Oui, incontestablement, il y a longtemps que Neil n’écrit plus de GRANDES chansons qui resteront dans l’histoire de la Musique. Et pourtant, les sentiments que fait naître en nous l’écoute de Colorado sont-ils si différents de ceux que ces deux albums provoquaient ?


Prenez "Green is Blue", par exemple, cette mélancolie tremblante, cette émotion presque naïve, ou encore le bouleversant final de "I Do", l’une des choses les plus personnelles que Neil ait écrites depuis longtemps : ces deux chansons n’ont-elles finalement pas le même impact que les "After the Goldrush" ou les "Don’t Let It Bring You Down" de 1970 ? Et la plaisante ritournelle au piano de "Eternity", n’est-elle pas un écho parfait, même pas assourdi, de chansons aussi simples, aussi efficaces, que Neil composait à cette même époque ? Oui, il y a dans "Colorado" la même rage ("Shut It Down", parfait !) du vieil ex-hippie encore plus révolté contre « le Système » qu’il ne l’a jamais été, et qui utilise encore et toujours l’électricité et la distorsion sur un vieux refrain bâclé et bancal. On retrouve ici un peu de la mélancolie magique de "Cortez the Killer" dans un "Milky Way" littéralement enchanté, et qui compense largement quelques passages à vide d’un album irrégulier… comme l’a finalement été une bonne partie de la discographie de Neil Young !


Qu’on aime ou qu’on n’aime pas ce "Colorado" (parce qu’il faut passer outre une impression générale de « bricolage » qui choque par rapport au perfectionnisme stérile d’une bonne partie de la production musicale contemporaine), il est de toute manière impossible de ne pas y entendre une sincérité désarmante. Et de la part d’un « vieux Blanc » comme Neil, après plus de 50 ans de carrière, c’est une excellente, voire même une formidable nouvelle !


[Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/11/10/neil-young-crazy-horse-colorado-le-retour-dune-bande-de-vieux-blancs/

EricDebarnot
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Promenade sur les traces d'un géant : Neil Young

Créée

le 9 nov. 2019

Critique lue 417 fois

9 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 417 fois

9

D'autres avis sur Colorado

Colorado
XavierChan
5

Critique de Colorado par XavierChan

Il faut bien se l'avouer, entre nous, qu'on ne retrouvera plus le Neil Young et le Crazy Horse du puissant Psychedelic Pill, remarquable de tenue et d'électricité déployée en pleine tempête sonique...

le 17 nov. 2019

3 j'aime

Colorado
bisca
7

Critique de Colorado par bisca

Neil Young, artisan frénétique de la ressortie de perles inédites de son prolifique passé, l’a toujours clamé : les exhumations d’archives ne doivent pas prendre l’ascendant sur son activité au...

le 10 mars 2022

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

104

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

185 j'aime

25