Âme d'enfant

Du haut de ses 18 ans, Béatrice Martin est belle, déjà en proie à devenir une affriolante blonde aux tatouages aguichants qu'on peut tous jalouser d'être en perpétuel contact avec sa peau. Béatrice est belle mais ce n'est encore qu'une enfant quand elle devient Cœur de Pirate. Nous sommes au printemps 2008 quand l'album éponyme de la canadienne vient dans les bacs français. Nous sommes dans un printemps peu ensoleillé quand Cœur de Pirate vient avec Comme des enfants nous matraquer les couilles.

Si le matraquage réussit comme à son habitude son paradoxe à irriter n'importe quelle personne sensée et à faire décoller les ventes au point de la certifier disque de Diamant, il a cependant échoué sa mission de découverte. En effet, seul le morceau Comme des enfants n'aura eu sa place sur les ondes, laissant l'album dans les mains d'un morceau surexploité au refrain tout aussi surexploité.

L'écoute du projet est donc obligatoire pour se rendre compte que Cœur de Pirate ne se résume pas qu'à un refrain, mais qu'elle délivre bel et bien des pistes pour un trésor de naïveté : un disque de diamant influencé par les épreuves de sa vie amoureuse.

Dans un premier temps, notre blonde va chanter l'amour avec sa voix satinée quelque peu nasillarde. Mais pas n'importe quel amour. Celui qu'elle connaît et que nous avons été forcé de connaître : l'amour d'enfant. Sans doute un des plus ridicules. Un amour naïf mis en chanson par une personne qui y adhère, un parti pris qui ne trouve que rarement un vrai public.

C'en est assez de ces dédoublements, c'est plus dur à faire qu'autrement
Car sans rire c'est plus facile de rêver, à ce qu'on ne pourra jamais plus toucher
On se prend la main comme des enfants, le bonheur aux lèvres un peu naïvement
Et on marche ensemble d'un pas décidé, alors que nos têtes nous crient de tout arrêter…

L'amour timide et candide n'est-il cependant pas le plus beau ? Là n'est pas la question, mais c'est un point de vue à qui il faut apporter du crédit pour savourer l'album comme il se doit. Les paroles ne sont pas forcément écrites de manière remarquable, mais demeurent néanmoins bonnes, pertinentes et transmettent surtout des images fortes qui peuvent faire ressurgir une image d'un de nos premiers amours, partagé maladroitement lors d'un beau printemps, si on a eu cette chance.

Sans bavure, l'album brille par sa simplicité et son naturel. De la voix caractéristique de Cœur de Pirate à ses entêtantes mélodies se dégage une harmonie mélodieuse qui s'étale sur tout l'album, avec une seconde partie plus terre-à-terre. Seconde partie séparée par une «transmission» au centre de l'album, une interlude où la blonde nous montre son petit talent de compositrice et de pianiste.

La jeune fille alors grandit, et adopte un point de vue plus réaliste. Elle met un peu de côté sa jolie mièvrerie pour succomber à une plus dure réalité, sans pour autant sombrer dans une vulgaire tristesse adolescente comme on aurait pu connaître. Sa naïveté en prend un coup sur une partie des morceaux : on écoute ses regrets sur Pour un infidèle ou Ensemble, mais également certains remords de choses qui ne se sont pas faites comme sur Printemps, pour finir sur de belles mélancolies avec Corbeau et Fondus au noir. On passe même sur la condition d'artiste qui ne peut s'exprimer autrement que sur papier et en chantant avec l'émouvant Francis, inspiré de son meilleur ami.

L'inspiration de Cœur de Pirate quant à elle, est aussi personnelle qu'accessible dans la mesure où beaucoup l'ont connu, et c'est ça la force de l'album. À chaque écoute l'amour pour cet album de notre pirate n'est pas volé car il s'agit bel et bien d'un petit trésor de puérilité pas toujours facile à assumer, qui ne peut plaire qu'à ceux qui accordent de l'importance à la légèreté et au lâcher prise dans un couple sans prise de tête. Peut-être adressé finalement qu'à quelqu'un qui préfère n'aimer que comme un enfant.