Clockwork Angels
7.2
Clockwork Angels

Album de Rush (2012)

Clockwork Angels ou la pièce manquante d'une carrière immaculée

Originellement publié sur Spirit of Metal le 17/01/2017

Perdurer et se renouveler. Voilà deux des immenses défis parmi ceux qu'un groupe de musique se voulant ambitieux fait face. Les deux vont souvent de pair d'ailleurs, car bien que trouver une recette vendeuse soit efficace, continuer à tirer dessus jusqu'au dégoût le plus total conduit bien souvent à la perte d'une bonne partie du public que l'on a fédéré. D'autres se ratent en voulant changer de style, évoluer, démarche certes louable mais la sauce ne prend pas, et un grand nombre de fans se désintéresse totalement de vous. Cela arrive même aux meilleurs cf Metallica dont les sorties d'aujourd'hui n'attirent même plus l'intérêt d'une bonne grosse part de la communauté Metal dont il a pourtant été la figure de proue pendant des années.

Et pourquoi parler de cela ici ? Parce qu'à ce propos, Rush n'est pas seulement un bon exemple. C'est un modèle à suivre. Rien que sur sa perennité, le groupe est une exception des plus remarquables. Plus de 40 ans de carrière sans le moindre changement de line-up ni break pour vaquer à d'autres projets. 40 ans et 19 albums livrés par le même trio d'amis, innébranlable, serein, une amitié et une complicité faisant l'ADN du groupe. Alors que bon nombre de combos gravitent autour d'un ou deux membres fondateurs et voient défiler nombre de musiciens, Rush est un trio indissociable, un OVNI dans le monde de la musique.

De même à propos de se renouveler. Rush est un des rares groupes à pouvoir se targuer d'avoir passé l'épreuve du temps avec brio, n'ayant jamais perdu son identité mais mélangeant habilement les sons à la mode de chaque décennie à la sauce Rush. L'exemple le plus parlant étant certainement les 80's qui a vu couler bon nombre de figures de proue du Prog mais pas Rush, toujours aussi bankable et intéressant, raccourcissant la longueur des morceaux et se couvrant de claviers pour s'adapter aux genres en vogue (New-Wave!). La forme épouse l'ère du temps mais le fond, l'exécution reste profondément Rush.

Et pour Clockwork Angels, force est de constater que cette envie novatrice est toujours présente. Les 3 comparses ont beau avoir près de 70 ans et Neil Peart de l'arthrose dans les doigts, nos chers canadiens nous proposent la seule pierre manquante à leur édifice : un album-concept.

On connaissait déjà la capacité du groupe à mettre en musique des histoires très intéressantes (2112 ou le terrible Cygnus en deux parties) mais allaient-ils réussir à se surpasser une fois de plus ?

La pochette et les designs du livrets sont des éléments de réponse. Le groupe a créé une histoire mais également une ambiance, un contexte steampunk baignant dans le mysticisme avec ces symboles alchimiques et ces rouages d'horloge qui imbibent les artworks. Et comme pour 2112, on retrouve des passages narratifs exclusifs au livret, renforçant l'immersion. D'un coup d’œil, on a le sentiment positif que cet univers a été travaillé et on aborde donc sereinement l'écoute du disque.

L'intro appuie cette ambiance, avant de balancer un riff efficace soutenu par une ligne de basse puissante soulignant automatiquement un parti pris de l'album. Le mixage est ultra énergique. Les deux albums précédents avaient déjà instauré un son plus lourd, proche du Metal-prog moderne et Clockwork Angels enfonce définitivement le clou. Les riffs de Lifeson sont vecteur de headbanging intensif et immédiat (Caravan, The Anarchist, Rush) et la basse de Lee claque comme jamais.

On avait bien sûr l'habitude que la virtuosité de Lee éclabousse de classe chaque nouveau jet de Rush mais cet album est pour moi celui où la basse de Lee trouve l'équilibre parfait de la technique qui laisse pantois associé à un feeling qui fait baver de plaisir. Les lignes sont punchy à souhait (The Anarchist, Headlong Flight, Caravan) et nous gratifient régulièrement de courtes arabesques complètement jouissives.

D'ailleurs tant que nous en sommes à Lee, profitons-en pour parler de son chant. Sa voix criarde est pour beaucoup un frein pour apprécier pleinement la musique du groupe. Sur ce Clockwork Angels, les années passant, sa voix se trouve beaucoup plus mesurée. Si sa pêche et ses tripes demeurent, les lignes de chant sont plus matures et « supportables » dirons-nous, si vous n'encadrez pas sa voix des 70's. Geddy se fait même mélodieux sur des titres plus calmes comme Halo Effect ou la splendide conclusion The Garden.

Parlons maintenant de la composition des titres. Là encore les canadiens font autre chose que de se reposer sur leurs lauriers et brassent sur ce disque beaucoup d'inspirations et de styles différents. L'album est parsemé de touches arabisantes (Headlong Flight, Clockwork Angels), nous offre une intro façon grand Ouest américain sur BU2B ou encore ce sacré break de blues old school sur Clockwork Angels avec une voix radio-boxée et une gratte acoustique impeccable.

Pour la guitare, j'ai déjà dit que les riffs étaient très solides (allez écouter celui de Carnies avec ses harmoniques) mais les solos sont également très plaisants, soignés et précis : je reviens à Clockwork Angels avec un solo court, 30s à peine, mais d'une beauté imparable.

Les lignes de chant ne sont pas en reste, BU2B en est un excellent exemple et à peu près tous les refrains sont des modèles d'efficacité, ma préférence allant à ceux de Caravan, Clockwork Angels (je sais pas si vous avez compris que j'adore ce morceau) ou encore les quelques instants plus lumineux qu'offrent The Garden ou BU2B.

Les compos sont donc classieuses, précises et rudement inspirées mais on notera quand même le léger manque de prise de risque, un des rares défauts imputable à l'album. Les trois amis ne sont pas en mode pilotage automatique bien au contraire, mais il manque le grain de folie propulsant les morceaux dans une autre dimension créative.

Le concept quant à lui se veut bien sûr philosophique (on est chez Rush quand même) et Neil Peart s'il se fait moins démonstratif par son jeu sur cet album délivre des lyrics profonds ainsi qu'une histoire dépaysante, relecture du célèbre Candide de Voltaire dans un univers étrange et dystopique : Prêtres-alchimistes, anges mécaniques impressionnant la plèbe, culte de l'Horloger. Notre jeune homme connaîtra tout cela au cours de son voyage initiatique à la recherche du bonheur et chacune de ses péripéties est l'occasion pour Peart d'évoquer divers sujets sombres. Finalement notre protagoniste tire sa conclusion dans un dernier morceau en écho au célèbre conte philosophique. « The measure of a life is a measure of love and respect, So hard to earn so easily burned » (The Garden)

D'ailleurs en parlant de conclusion, elle se révèle être une magnifique power ballad, exercice casse-binette s'il en est, car tomber dans la mièvrerie est dangeureusement facile lorsqu'on se lance dans ce type de compo. Heureusement ce The Garden s'il est effectivement romantique dans son exécution, se veut toutefois plein de maestria dans sa conception ce qui n'en fait pas un morceau transparent et oubliable parmi tant d'autres. Violons en léger staccato, un magnifique piano judicieusement juxtaposé et un refrain encore une fois somptueux avec au passage la voix de Lee qui n'a jamais été aussi belle que sur ce titre.

Rush ne s'est donc toujours pas essoufflé, 40 ans après et délivre même ici son œuvre la plus aboutie depuis un paquet d'années. Moins extravagant que d'autres albums mais toujours superbement exécuté et minutieusement conçu, Clockwork Angels mérite amplement votre attention ne serait-ce que pour l'explosive partition de Lee. Un magnifique point d'orgue pour un des trios les plus emblématiques de l'histoire du Rock

Porc_Parfum
9
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le 12 sept. 2022

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