Chansons ordinaires
6.5
Chansons ordinaires

Album de Miossec (2011)

“Pourquoi les chansons parlent-elles toujours d’amour/C’est une chose inabordable”, s’étonnait Miossec au cours de Pourquoi ? Parce Que ! (Brûle, 2001). Le chansonnier au regard iroise a souvent été cantonné au rôle du romantique revêche et ingérable, mais une autre thématique irrigue son œuvre : le temps qui file. Pour s’en convaincre, se replonger dans Brest, La Vieille, Trente Ans, Seul Ce Que J'ai Perdu, En Quarantaine, Ça Sent Le Brûlé… Ces Chansons Ordinaires témoignent encore de cette angoisse, de ce moteur. Miossec évoque les ambitions perdues (le single Chanson Pour Les Amis) s'en prend au chronomètre (“Comme le temps passe/Et comme il nous abîme”, in Chanson Qui Laisse Des Traces), et déplore la déchéance trop banale durant Chanson Pour Un Homme Couvert De Femmes. Clin d’œil à un passé sépia, les intitulés renouent avec le répertoire d’avant-guerre. On y croise André Gide dès l’ouverture, mais aussi Henri Garat (“Avoir un bon copain”, sur la vacharde Chanson Sympathique). On pense aux ingénieuses Nouvelles En Trois Lignes de Félix Fénéon (la désabusée Chanson D’Un Fait Divers) et à Drieu La Rochelle (la délicate Chanson Pour Un Homme Couvert De Femmes). Drieu, auteur maudit autour duquel Miossec tournait depuis longtemps déjà (Gilles, Les Chiens De Paille). Le décor début de siècle est posé. Mais pas question pour ce parolier courtisé de pleurer sur sa montre en regrettant le bon vieux temps. Au contraire. Épaulé par des musiciens rennais débauchés à… Dominique A, le Brestois joue avec les nerfs et l’électricité. Les six-cordes bouillonnent (Chanson D’un Fait Divers), citent My Bloody Valentine (les distorsions torturées de Chanson Pleine De Voix), ou s’étranglent avant de sombrer en mer (Chanson Pour Un Homme Couvert De Femmes). Le tout servi par la production brute et pleine de reliefs de Dominique Brusson (ingénieur du son historique de Dominique A, déjà à l’œuvre sur Finistériens, 2009). Avec de tels alliés, Miossec sublime les tentatives pop de L’Étreinte (2006), comme en témoignent les chœurs de Chanson Dramatique ou Chanson Que Personne N’Écoute. Puis signe tout simplement l’une de ses plus belles pièces : Chanson Du Bon Vieux Temps fleure bon le Paris gouailleur, les braqueurs qui ont de l’honneur et les putes au grand cœur. Mais calée sur une rythmique binaire et armée d’un texte habilement équivoque (on vous laisse découvrir la pirouette finale), elle écorche l’aseptisation ambiante et plombe la triste chanson néo-réaliste. Sans sombrer dans la nostalgie facile, ni dans le jeunisme ridicule, émanent finalement de ces Chansons le recul et la sérénité d’un vieil homme. Oh, de toute façon, le Finistérien n’a jamais chanté l’insouciance de la jeunesse ni l’espoir de jours meilleurs. Pour nous, Miossec était né à l’âge de trente ans, un beau jour de 1995. Le reste, le printemps (noir) des jeunes années, les années parisiennes et les mois réunionnais n’étaient que littérature. Aujourd’hui, ces Chansons Ordinaires forment en quelque sorte le bilan d’une vie sinueuse. Et de quinze ans de chansons, aussi. Pourvu que ça dure. (magic)


C’est presque devenu une habitude : Miossec reçoit désormais à Brest. Comme deux ans auparavant, pour la sortie de Finistériens, c’est au bout du quai de la gare qu’il attend. Les yeux sont toujours aussi limpides, les mots aussi racés. “On va faire un tour en bord de mer ?”, demande Miossec. Le Breton sort son huitième album, Chansons ordinaires. Un disque qui, comme son nom ne l’indique pas, est tout simplement extra, rock et âpre, garanti sans plomb, l’extrême opposé du précédent, réalisé avec Yann Tiersen. Sa voiture sillonne les routes de Bretagne, nous emmène jusqu’à Plouzané, tout près de la plage. Un restaurant nous accueille, Les Mille et Une Lunes. Déjeuner en terrasse. On sort le magnétophone, il propose que l’on fasse ça plus tard. Miossec est un chanteur super, mais c’est comme s’il voulait garder la vie d’un type ordinaire, chez lui en Bretagne. Il raconte l’histoire de la plage du Minou, en contrebas : de retour des longs voyages, les marins y jetaient les chats – souvent morts – qu’ils avaient emmenés en mer pour combattre les souris. Rayon grands voyageurs, on enchaîne sur Cizia Zykë, le fameux explorateur qui publiait des livres et passait sa vie sur le plateau d’Apostrophes, on parle des écrivains qui fumaient chez Bernard Pivot, du clip de Chanson pour les amis réalisé par le Grolandais Gustave Kervern, de la vie à Bruxelles, d’anecdotes concernant Eddy Mitchell. Le repas terminé, des dizaines d’éclats de rire plus loin, Miossec se décide enfin à enfiler le costume de chanteur, direction sa maison, et son jardin où l’on s’installe au soleil, autour d’une petite table. “Tu fais souvent des disques contre ceux que tu as fait avant, c’est toujours bizarre. Dans mon dernier disque, il y avait ce grand truc de chanson qui me faisait vraiment peur. J’avais peur de m’intégrer là-dedans, surtout quand on voit ce que c’est en train de devenir”, explique-t-il calmement. Du coup, pour Chansons ordinaires, et sur les conseils de son ingénieur du son, Dominique Brusson, Miossec est parti s’enfermer trois jours, en mars dernier, dans une ferme-studio “ambiance redneck”, du côté de Rennes, avec trois jeunes musiciens : Sébastien Buffet, David Euverte et Thomas Poli, repérés dans l’entourage de Dominique A ou du groupe Montgomery. “On ne se connaissait pas, on a fait un peu comme quand on se rencontre après avoir passé une petite annonce, raconte Miossec. Ça a vraiment été très vite, au bout d’une demi-heure, j’ai compris que ces sessions déboucheraient sur le disque. A 3 heures du matin le premier jour, on écoutait encore de la musique, on parlait de Captain Beefheart. Ça m’a ramené à mon adolescence, j’avais l’impression d’être un vieux qui se payait une cure de jouvence, une sorte de balnéothérapie rock.” Enregistré rapidement après ces trois jours de communion, Chansons ordinaires est un disque qui replace Miossec sur la carte rock (et dont tous les titres commencent par “chanson”, comme un joli pied de nez). On y entend du shoegazing en creux (Chanson que personne n’écoute, Chanson pleine de voix), des montées héroïques qui rappellent Arcade Fire (Chanson pour les amis), voire même des passages carrément stoner (Chanson d’insomniaque). Alors qu’on l’avait – peut-être un peu à la hâte – rapproché de Bashung sur son précédent essai, Miossec a pris la contre allée, repositionné sa petite entreprise. “Le disque précédent avait été enregistré à Paris, j’avais eu une relation assez professionnelle à la musique, je passais mon temps au Novotel, porte de Montreuil, ça m’avait plutôt gêné. Je me souviens que tous les matins, en bas de l’hôtel, je voyais un type à qui il manquait deux bras et une jambe, j’ai pris ça comme un signe”, plaisante le Breton, avant de reprendre. “J’ai l’impression que ce disque me ramène dans cette zone intermédiaire qui me plaît plutôt. J’avais envie de braconner à nouveau.” Un braconnage qui passera par quatre concerts électriques au Nouveau Casino de Paris, les potards dans le rouge. De l’ordinaire rock, d’une certaine façon. (inrocks)
« Tout a déjà été dit, mais ce n'est pas grave car personne n'écoute... » Dès les premiers mots souffle un vent froid de fatalisme. Cette noirceur râpeuse qui fait la patte de Miossec depuis ses débuts, en 1995, imprègne encore ce huitième album studio. « Tout a déjà été dit »... Pas faux. Le Brestois se répète et n'évolue qu'à la marge (comprenez, dans les arrangements). « Personne n'écoute... » Moins vrai. En dépit de thèmes récurrents et d'un chant atonal, Miossec parvient à nous faire tendre l'oreille. Et même à nous donner la sensation qu'il gagne en humanité et en humilité. Ce disque sec et nerveux, frappe par un son puissant, rock, que le Clash des débuts n'aurait pas renié. L'histoire veut que le chanteur n'ait répété que trois jours avant d'entrer en studio ! Guère surprenant que l'on sente l'urgence traverser son chant mi-âpre mi-doux - et curieusement sensuel -, disant encore et toujours l'obsession et le dépit amoureux. Miossec l'esquinté se console dans l'amitié (avec un clin d'oeil « copain » à un refrain des années 1930) et laisse entrevoir un peu de rage politique. Mais loin des revendications bruyantes, la sienne est murmurée ; preuve de plus que son disque n'est pas aussi ordinaire qu'il nous le chante. (télérama)

C'est toujours un peu compliqué de se pencher sur le nouvel album d'un chanteur qui a bercé ses années étudiantes et que l'on a suivi avec plus ou moins d'assiduité depuis. Miossec, en 1995, c'était "Boire", une détonation : arrangements acoustiques minimalistes, énergie rageuse et textes très directs avec ses vers rentrés au chausse-pied. Le Brestois a évolué, et c'est très bien comme ça : virage pop avec notamment l'ex-Valentins Jean-Louis Pierot et collaborations diverses dont dernièrement avec Yann Tiersen sur "Finistériens". Il tourne une nouvelle fois une page avec ce "Chansons ordinaires" dont le titre et les morceaux (uniformément intitulés "Chanson...") fleurent bon la provocation. Et le changement s'entend tout de suite : Miossec revient avec un groupe de rock plutôt inspiré - lui qui, en solo, a toujours fait l'équilibriste entre les mondes de la chanson et du rock franchit enfin le Rubicon ! Guitare/basse/batterie... et chant donc. Quelques claviers aussi. Un son direct, tendu et puissant, hérité des belles heures de la noisy-pop et qui, bonne surprise, se marie bien avec les textes de Christophe Miossec. Car, quinze ans après "Boire", le Breton n'a rien perdu de sa verve : à une "Chanson du bon vieux temps" mi-ironique mi-nostalgique suit une "Chanson protestataire" entre provoc et sketch des Inconnus ("Y'a des gens que j’aime dans le XVIème", "Y'a pas que du bon chez les Bretons"). Ou cette "Chanson sympathique", amusante série de conseils vachards du chanteur à son "ami" ("Ce n’est pas parce que t’as rien à dire / Qu’il faut tenter de l’écrire"). Mais comme toujours, à côté de ses provocations habituelles, Miossec parvient à toucher : même à travers des morceaux très énergiques comme "Chanson d’insomniaque" ; ou dans le très beau (et autobiographique ?) "Chanson pour un homme couvert de femmes" : là, la musique se fait plus feutrée, le ton désabusé et l'on recueille la confession du chanteur.  Quoi qu'il en soit, avec "Chansons ordinaires", alternant provocations bien senties et morceaux plus sensibles, Miossec  est  toujours  aussi  (im-)pertinent. (popnews)
Le Brestois Christophe Miossec s’est fait connaître en 1995 avec son manifeste Boire. Ce premier album folk-rock irrigué de méandres sentimentaux et errances existentielles avait tout autant imposé d’emblée l’auteur-compositeur-interprète qu’il lui avait collé une étiquette de poète éthylique, entretenue par des performances scéniques parfois plus titubantes que de raison. Seize ans plus tard, revoilà le Breton avec un huitième album, Chansons ordinaires, qu’il a écrit et composé à l’eau, littéralement «mis au sec» par la neurologue qui lui a découvert une maladie génétique chronique, l’ataxie cérébelleuse. Une pathologie liée au système nerveux qui affecte la marche et l’équilibre. «Si j’avais continué à boire de l’alcool, je risquais à court ou moyen terme de me retrouver en chaise roulante. Donc j’ai tout arrêté», tranche Miossec sans amertume. Car l’auteur de textes pour Johnny Hallyday, Alain Bashung ou Juliette Gréco dit que son processus créatif n’en a nullement été affecté. «Désormais je vais au plus près. L’écriture est même plus jubilatoire. Il faut dire que mes horaires ont complètement changé. Là, je me rends compte qu’elle est attachée au matin, après un bon bol de café. C’est assez drôle.» Comme de coutume, les onze nouveaux textes slaloment entre turpides de l’âme (Chanson dramatique), fuite du temps (Chanson pour les amis, Chanson du bon vieux temps), interrogations intimes (Chanson que personne n’écoute), mal-être plus ou moins social (Chanson d’insomniaque, Chanson d’un fait divers) et, évidemment, claques sentimentales (Chanson qui laisse des traces). Mais comme on ne se refait pas, l’ironie carnassière et le goût de la provoc’ - sur un mode désormais apaisé - de Miossec nourrissent deux textes drôlissimes (Chanson protestataire et Chanson sympathique).Sur le plan musical, Chansons ordinaires marque une rupture nette avec le précédent, Finistériens, réalisé avec Yann Tiersen. «Je voulais quelque chose de plus nerveux, du premier jet, qui attaque d’entrée. Quelque chose qui ne soit pas dans la réflexion, dans l’accumulation, détaille Miossec. Toutes les prises ont été rapides. Ça a aussi changé mon rapport au chant.» Le processus créatif a, lui aussi, été différent. Les musiques ont été écrites en mars dans une ferme-studio près de Rennes avec les musiciens de scène de Dominique A. «Les compositions que j’amenais et que j’avais faites au piano et à la guitare étaient embryonnaires. Le contrat était simple : en répétition, tout le monde devait s’approprier les arrangements. Le fait de développer les morceaux ensemble a imposé un format de groupe. Chacun a participé à l’édifice, même si c’est moi qui suis le chanteur.» Le résultat donne un disque électrique, physique, guitares droit devant. A découvrir cette semaine sur la scène parisienne du Nouveau Casino, en compagnie des musiciens du groupe Santa Cruz qui accompagnent Miossec en sobre tournée. (Libération)
bisca
7
Écrit par

Créée

le 5 avr. 2022

Critique lue 19 fois

bisca

Écrit par

Critique lue 19 fois

D'autres avis sur Chansons ordinaires

Chansons ordinaires
Thran
2

Galette bretonne périmée

Non, mais Christophe, franchement, c'est plus possible, là. Depuis « A prendre » et « Brule » (tes deux meilleurs albums selon moi), tes chansons sont de plus en plus molles, tes compositions sont de...

le 24 janv. 2012

1 j'aime

Chansons ordinaires
bisca
7

Critique de Chansons ordinaires par bisca

“Pourquoi les chansons parlent-elles toujours d’amour/C’est une chose inabordable”, s’étonnait Miossec au cours de Pourquoi ? Parce Que ! (Brûle, 2001). Le chansonnier au regard iroise a souvent été...

le 5 avr. 2022

Du même critique

Le Moujik et sa femme
bisca
7

Critique de Le Moujik et sa femme par bisca

Avec le temps, on a fini par préférer ses interviews à ses albums, ses albums à ses concerts et ses concerts à ses albums live. Et on ne croit plus, non plus, tout ce qu'il débite. On a pris sa...

le 5 avr. 2022

3 j'aime

Santa Monica ’72 (Live)
bisca
7

Critique de Santa Monica ’72 (Live) par bisca

Ça commence avec la voix du type de KMET, la radio de Santa Monica qui enregistre et diffuse ce concert de Bowie, le 20 octobre 1972. « Allez hop on va rejoindre David Bowie qui commence son concert...

le 27 févr. 2022

3 j'aime

Taormina
bisca
7

Critique de Taormina par bisca

Taormina, perle de la Méditerranée, disent les guides touristiques à propos de cette belle endormie sicilienne, bordée par le volcan Etna. Taormina, perle noire dans la discographie de Murat, dira la...

le 5 avr. 2022

2 j'aime