Boxer
7.6
Boxer

Album de The National (2007)

Soyez prévenus, un fantôme vit à l’intérieur de ce disque. Une force obscure, comme une ombre d’outre-tombe, qui re-vient hanter ces chansons à leur corps défendant (quoique). The National pourrait être un de ces groupes américains comme il en existe beaucoup, doués pour la mélodie, charpentés, le muscle ferme, avec un certain penchant pour la flamboyance électrique, en veste de cuir noir – les New-Yorkais d’Interpol, disons. Mais The National (de New York également) joue un cran au-dessus du lot. Grâce à ce drôle de fantôme, ce spectre inquiétant qui s’invite régulièrement dans la gorge de l’impressionnant chanteur Matt Berninger – on dirait alors que Nick Cave a pris le contrôle de sa voix, de son corps – ou qui vient désordonner des chansons parfois tentées par l’académisme. Pas de place pour l’ennui dans le rock élégant de ces cinq fans de Roxy Music et de Joy Division. Dès que la routine menace, quelque chose se passe. Un glissement, un décalage. Une guitare se tait ou éteint toutes les autres. Une phrase accroche par sa rudesse, ou claque comme une menace (Fake Empire, Apartment Story...). Comme dans les disques du merveilleux M. Ward, rien ne se passe jamais vraiment comme on pouvait l’imaginer, et les chansons, comme des trains perdus, n’arrivent jamais à destination. Elles dérivent, s’éloignent, échappent à leur destin de parfaites pop songs carrées. Rien de révolu­tionnaire ici, ni dans l’écriture ni dans le pedigree, mais un indéniable talent pour la construction d’un univers sonore intense et inquiétant, à la fois très sombre et lumineux. Emmanuel Tellier


Ça ne l’a pas empêché de toucher en plein cœur sa confidentielle poignée de fans, notamment lors de concerts ténébreux dont les souvenirs, toujours émus, s’échangent et se dévoilent sur le net comme des objets sur eBay. Les dernières nouvelles du groupe dataient d’il y a deux dans, lorsque The National publia un Alligator désarmant, à donner à tout le monde son lot de larmes de crocodile. Lui succède aujourd’hui un album à l’intitulé faussement belliqueux, Boxer. Parmi les cuisiniers qui ont contribué à la réalisation de ce quatrième album, on notera surtout la participation, aux arrangements et aux cordes, de Padma Newsome, membre des Clogs et collaborateur de The National depuis 2003 et l’album Sad Songs for Dirty Lovers, mais également le discret concours de Sufjan Stevens, venu jouer du piano sur deux (très beaux) morceaux (Racing Like a Pro et Ada). On ne pourra pas non plus ignorer la présence du producteur Peter Kadis, proche des New-Yorkais d’Interpol, tant sa marque de fabrique est identifiable. Sur Boxer, les chansons de The National sont, par la tension qu’elles découvrent, semblables à celles du quatuor cravaté, mais aussi proches de celles de Lambchop, Clem Snide ou même Springsteen. Dévoilant ce même alliage, symptomatique d’une certaine Amérique, de spleen et d’espoir, elles pourraient avoir été composées pour la bande originale idéale d’un film impressionniste sur l’adolescence dans les villes moyennes de l’Ohio. 

De Fake Empire à Gospel, c’est plus qu’une simple alchimie que dévoilent aujourd’hui Berninger et ses quatre collègues (deux fois deux frères) : il y a de la magie dans cette façon de faire cohabiter une batterie et un piano décalés, dans cette habileté à trouver l’équation parfaite entre une voix grave et une mélodie aussi légère. Il y a de la magie aussi dans Start a War, délicate comptine qui évoque justement celles de Sufjan Stevens, ou dans le plus énervé Mistaken for Strangers, deuxième morceau de cet élégant tableau fait de nuit et de lumière. A l’école, on se souvient avoir appris, sans trop comprendre, l’obscure clarté avec Corneille. Voici qu’on la saisit enfin, brillamment illustrée.(Inrocks)


Membre remarqué d'une certaine renaissance musicale brooklynoise, The National continue de s'affirmer comme l'un des meilleurs groupes en provenance d'outre-Atlantique. Après trois albums de haute tenue, le quintette des frères Devendorf et Dessner livre un Boxer du même calibre, mais davantage resserré et cohérent en termes de tempo et d'énergie. Si le chanteur Matt Berninger ce Stuart A. Staples américain a décidé de ne plus hausser le ton, ses paroles mémorables portent toujours sur la thématique des relations hommes-femmes, souvent filmées en appartement (Apartment Story, Guest Room). La force de The National est d'avoir su créer un équilibre sonore propre entre garage et pop de chambre, énergie alternative et ballade décalée. On ne compte pas les morceaux de bravoure d'un disque qui a bénéficié des coups de main non négligeables de la folkeuse Marla Hansen et de Sufjan Stevens lui-même, au piano sur Racing Like A Pro et Ada. À placer aux côtés de Sad Songs For Dirty Lovers (2003), Boxer s'avère un grand cru, long en bouche, révélateur d'un groupe au sommet de sa forme. Et soudain, être nationaliste n'a plus rien d'une tare intellectuelle.(Magic)
Il m'est difficile de dire, vite et bien, pourquoi j'aime autant ce disque, celui-là peut-être plus que tout autre dans la discographie de The National. A l'image de sa pochette improbable, le groupe jouant au complet devant une salle de bal qui pourrait être des années 50 ou d'aujourd'hui (le noir et blanc oblige), il sonne à mes oreilles comme une volonté de classicisme intemporel et apaisé dans la carrière d'un groupe qu'on a connu plus rageur et électrique : piano et cuivres installent ici et là des atmosphères en apesanteur, détachées de tout référent rock évident. Mais il n'y a pas que cela. Car, très vite, un morceau comme "Mistaken for Strangers" rappelle les vertus énergisantes du groupe (ah oui, du rock finalement), à cette nuance près qu'elles apparaissent sous contrôle, comme l'est la voix (presque) apaisée de Matt Berninger, refusant là comme partout l'éructation et le débordement. Mais il n'y a pas que cela. S'il s'agissait seulement pour le groupe de contrôler ses pulsions, de rentrer dans le rang pour produire le disque d'adult-rock plein de sage recul dont on le sait capable, les compositions n'auraient sans doute pas ce charme désabusé, la mélancolie ne coulerait pas à ce point de source, dans une sorte de quiétude mi-assoupie, mi-hébétée, dans une beauté un peu sonnée qui touche la corde sensible. Un peu comme si les chansons avaient été enregistrées après la fête, entre chien et loup, lorsque la fatigue alourdit le pas et que la démarche se fait titubante (les notes égrenées par le piano sur l'intro de "Fake Empire"), lorsque les dernières énergies se consument et lancent des éclats inédits, les musiciens se trouvent resserrés autour de l'essentiel, des accords amples et simples, un goût de la progression dramatique, une absence complète de volonté de démonstration qui retiennent l'attention. Cette manière d'être en dedans, sans recul, expressif jusque dans la fatigue, donne tout son prix au disque, et rend touchants comme jamais les habituels refrains éplorés de Matt : "You might need me more than you think you will", "Walk away now and you’re gonna start a war", "You’re dumbstruck, baby, now you know". Face à tant de maestria affaissée, insouciante d'elle-même, on n'a plus envie de parler de tubes en puissance (un "Brainy" sur la corde raide, trop plombé pour consentir un refrain enlevé, et captivant pour cette raison même), ou de ballades élégiaques (un "Slow Show" fondant dans les graves, ou un "Racing Like a Pro", à faire virer la journée au gris indélébile), mais tout est pourtant là. Ce groupe n'est jamais plus grand que lorsque c'est le dernier de ses soucis, et procure, avec ce "Boxer" amoché et majestueux, la bande-son idéale de l'année. (Popnews)
Depuis "Sad Songs For Dirty Lovers" qui a révélé ce quintette américain atypique - une formation rock classique qui joue des morceaux sombres et romantiques- on attendait le moment de l'accomplissement, la sortie du disque qui serait le véritable miroir de leur talent, car tout juste leur manquait-il un peu de constance et de moyens supplémentaires à l'époque. La signature chez Beggars il y a deux ans levait une partie du problème mais par choix ou par contrainte, The National avait opté sur "Alligator" pour une formule plus directe, moins sombre et facilement accessible, qui standardisait un peu leur musique. Avec "Boxer", on serait presque tenté de dire que c'est maintenant ou jamais : passer un cap ou rester en deça des espoirs nés il y a quatre ans. La première bonne nouvelle est que la troupe de Berninger a eu la bonne idée de ne pas monter seule sur le ring, mais de se faire accompagner par quelques fines plumes, Sufjan Stevens, Doveman, dont les contributions se révèlent toujours bénéfiques. Et de fait, au bout de trois morceaux le match est plié: Mistaken For Strangers et Brainy sont certainement les morceaux les plus "rock" de l'album, mais cette fois le groupe trouve un équilibre entre densité sonore, un climat épais et des mélodies introspectives et bouleversantes, portées par la voix de Matt Berninger, qu'on ne pourra s'empêcher de comparer une fois de plus avec celle de Stuart Staples.Sur le reste de l'album, le groupe étoffe son instrumentation et soigne encore plus ses mélodies et nous offre une brochette de ballades imparables : on retiendra ainsi Fake Empire pour ses boucles de piano, le léger crescendo et son final avec cuivres. On retrouve ce même piano sur Green Gloves, Racing Like A Pro ou Ada qui se placent illico parmi les meilleures chansons qu'on a entendu cette année. Et même si le milieu d'album est un petit peu en retrait, Slow Show, Apartment Story sont un peu moins inspirés, rien ne viendra gâcher le plaisir de voir The National à la hauteur de nos espérances. Une large victoire aux points, sans contestation possible. (indiepoprock)
bisca
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Ma cédéthèque

Créée

le 11 avr. 2022

Critique lue 21 fois

1 commentaire

bisca

Écrit par

Critique lue 21 fois

1

D'autres avis sur Boxer

Boxer
Jehol
8

We'll stay inside till somebody finds us, do whatever the TV tells us...

Comme souvent avec The National : des chansons d'une beauté mélancolique et tranquille, torturée juste ce qu'il faut. C'est probablement l'album le plus intimiste et sombre du groupe. Il a aussi...

le 29 sept. 2015

4 j'aime

Boxer
bisca
7

Critique de Boxer par bisca

Soyez prévenus, un fantôme vit à l’intérieur de ce disque. Une force obscure, comme une ombre d’outre-tombe, qui re-vient hanter ces chansons à leur corps défendant (quoique). The National pourrait...

le 11 avr. 2022

1

Du même critique

Le Moujik et sa femme
bisca
7

Critique de Le Moujik et sa femme par bisca

Avec le temps, on a fini par préférer ses interviews à ses albums, ses albums à ses concerts et ses concerts à ses albums live. Et on ne croit plus, non plus, tout ce qu'il débite. On a pris sa...

le 5 avr. 2022

3 j'aime

Santa Monica ’72 (Live)
bisca
7

Critique de Santa Monica ’72 (Live) par bisca

Ça commence avec la voix du type de KMET, la radio de Santa Monica qui enregistre et diffuse ce concert de Bowie, le 20 octobre 1972. « Allez hop on va rejoindre David Bowie qui commence son concert...

le 27 févr. 2022

3 j'aime

This Fool Can Die Now
bisca
7

Critique de This Fool Can Die Now par bisca

Depuis 2001, date de la sortie de son premier album Sweet Heart Fever, cette Anglaise originaire de Birmingham, a développé en trois albums et quelques maxis un univers étrange et singulier. Souvent...

le 11 avr. 2022

2 j'aime

1