Big Baby D.R.A.M.
6.9
Big Baby D.R.A.M.

Album de DRAM (2016)

Il n’aura fallu à D.R.A.M. qu’un air de Cha Cha pour se faire connaître. Sorti en novembre 2014, le morceau aura en l’espace d’un an fait danser Beyoncé sur Instagram, attiré l’attention de Rick Rubin et de Chance The Rapper et plus qu’inspiré Drake pour son tube Hotline Bling. Quelques millions de vues sur YouTube plus tard, le rappeur a remis le couvert en mars de cette année à la surprise générale en s’offrant un autre tube fun et déjanté, Broccoli. Le phénomène D.R.A.M. était lancé ! Mais si deux tubes permettent de créer un phénomène, la suite s’avère généralement plus difficile pour l’artiste …


C’est à ce moment là où arrive Big Baby D.R.A.M., le premier album du rappeur originaire de Virginie, donnant suite à une mixtape et deux EPs. La pochette donne le ton : D.R.A.M., comme à son accoutumée tout sourire, pose à côté de son chien. Le visuel change clairement des couvertures d’album de hip-hop habituelles, mettant en avant le côté insolite et original de D.R.A.M., porteur d’une extra-bonne humeur qui fait en grande partie le charme de ses chansons. La tracklist est elle aussi à première vue très déjantée : outre Broccoli, on trouve des pistes intitulées Cute, WiFi ou Change My #. Encore une fois, le rappeur déjoue les attentes d’un public hip-hop coincé dans son besoin de se prendre trop au sérieux.


D.R.A.M. semble chercher à déjouer tous les clichés du rappeur typique, parlant des sujets de base du hip-hop à sa façon : Broccoli parle donc de marijuana, Cash Machine est son hymne “bling-bling” et Misunderstood vient s’amuser “beefs” continuels entre stars du genre (impossible de ne pas noter des piques lancées à Drake). A d’autres moments de Big Baby D.R.A.M., l’artiste se contente de chanter “I think you're cute, I think you're cute” en guise de sérénade à son coup de coeur Instagram. D.R.A.M. continue clairement sur la lancée de ses premiers tubes sur des productions originales, légères mais pourtant construites avec beaucoup d’ingéniosité et d’attention aux détails comme sur Cash Machine où il sample du Ray Charles pour en faire un banger burlesque.


Ne pas se prendre au sérieux est une bonne chose, cela apporte une vraie fraîcheur et rend l’artiste attachant. Mais le risque de cela, c’est de ne pas être pris au sérieux. Je pense par exemple à un rappeur comme Macklemore qui a bien amusé la galerie avec Thrift Shop, Can’t Hold Us Down ou Downtown, mais dès qu’il a voulu parler des problèmes raciaux avec White Privileges II - la suite d’ailleurs d’une chanson qu’il avait sorti avant de connaître un succès mainstream - et bien tout le monde lui a tourné le dos : évidemment le grand public, mais aussi la communauté hip-hop qui n’avait pas envie d’entendre un gars connu pour rapper à propos d’une friperie et des Vespas offrir ses leçons de morale. De nombreux autres exemples existent, vous en avez sûrement en tête pas la peine de faire une liste.


Mais contre tout attente, D.R.A.M. démontre qu’il est capable d’un plus qu’un phénomène “viral” ou une bonne blague musicale sur Big Baby D.R.A.M. en retournant très vite sa veste et mettant en avant une grande intelligence dans ses textes à double tranchants. Le rappeur ne cherche pas à s’engager ici, à parler de sujets de société omniprésents dans le hip-hop actuel. Il propose une analyse surprenante, toujours décalée mais perspicace des relations humaines à l’ère des réseaux sociaux et du “Netflix & Chill”.


Le plus bel exemple de cela est WiFi, une excellente collaboration avec la légendaire Erykah Badu. Sur un fond de R&B langoureux à souhait, les paroles paraissent dans un premier temps complètement ridicules : “Do you got WiFi? / ‘Cause I ain't got no signal on my phone / We in these Hills and we all alone / Yeah, do you got wifi ?”. Mais si l’on prend le temps de s’intéresser réellement au texte, le morceau devient très vite moins simplet qu’il en a l’air. Conçu comme un dialogue entre D.R.A.M. et Erykah Badu, WiFi se base sur le fait que partager son code de WiFi avec quelqu’un est preuve, aujourd’hui, d’une très grande affection pour l’autre et d’une envie de le faire rentrer dans son intimité. La WiFi devient très vite une métaphore, mais la façon littérale dont le texte de D.R.A.M. vient apporter à la chanson un côté très réflexif vis-à-vis de (ici plus sexuelle qu’amoureuse) est assez étonnante.


Big Baby D.R.A.M. est rempli de chansons où les textes sont à double sens, métaphorique et littéral. Sur Change My #, le rappeur utilise la métaphore de changer de numéro afin de couper les ponts avec son ex-partenaire ; il parle du manque de vie privée dans une relation sur Password (où sa partenaire vient fouiller dans son téléphone ce qui vient créer créé des problèmes dans leur relation) et Outta Sight. Et à plusieurs reprises - plus rares, D.R.A.M. offre des chansons beaucoup plus personnelles comme Monticello Ave et Sweet VA Breeze.


Sans jamais être trop sérieux, l’artiste de Virginie signe avec Big Baby D.R.A.M. un disque très actuel, rafraîchissant et perspicace enveloppé dans une influence de R&B old-school. Tantôt rappeur, tantôt crooner, D.R.A.M. fait de son premier opus une expérience fun et véritablement surprenante. Qui aurait cru que l’album d’un gars connu pour un tube qui utilisait un sample de Mario Bros pouvait se révéler aussi consistant, refermant au passage un paquet d’autres tubes potentiels ? Les productions ne sont pas à ignorer non plus car elles viennent apporter leur lot d’originalité et d’euphorie au disque. D.R.A.M. touche un peu à tout : il balance donc quelques titres tubesques délirants (Broccoli, Cute), explore le R&B en long et en travers, s’aventure même vers un genre plus soul (Sweet VA Breeze) ou bien complètement groovy sur l’hymne hip-house Outta Sight.


Big Baby D.R.A.M. est un album bien plus intéressant qu’on aurait pu le penser, révélateur d’un nouveau visage du hip-hop prêt à imposer sa patte au genre (même s’il l’a déjà en quelques sortes imposée - “I know when that hotline bling / That can only mean one thing"). Il s’écoute avec légèreté mais renferme de très très bonnes surprises : des productions de haut niveau signées Donnie Trumpet, Cardo ou les hitmakers Charlie Heat et Ricky Reed, du hip-hop feel-good, du bon R&B old-school mis au goût du jour et surtout l’une des meilleures collaborations de l’année, le vraiment généralissime WiFi avec la tout autant généralissime Erykah Badu. Un duo à côté duquel il ne faut vraiment pas passé à côté, tout comme cet album au final. D.R.A.M. est bien plus qu’un phénomène YouTube et cela aurait été réellement dommage de le sous-estimer !


Key tracks : WiFi featuring Erykah Badu, Monticello Ave, Broccoli featuring Lil Yatchy.

killyourdarlings
8

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le 19 nov. 2016

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Keith Morrison

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