Be Brave
7.1
Be Brave

Album de The Strange Boys (2010)

Droit de réponse à monsieur Eric de Pokespagne

Internet a bien des travers. Tandis que je me fais à l'idée depuis plusieurs mois d'écrire quelques mots sur cette bande de petits texans découvert en 2010 par votre humble serviteur, à l'occasion de la sortie de leur second album Be Brave, je tombe sur cette critique de Live Music (successeur de l'album Be Brave), signée de monsieur de Pokespagne (quelques impressions qu'il partagera avec lui-même sur un site de vente bien connu, ne payant pas ses impôts en France). Alors, je lis dans un premier temps cet avis pour le moins sévère, une note de 1/10 mérite bien quelques détails, et puis devant un relatif et sans équivoque "tous les goût sont dans la nature" venant clore les débats et invoquant un retour pour sa part, assez réactionnaire, à l'ancien régime dirigés par les Young et Dylan d'antan, je reste perplexe.
Mais il est difficile de défendre ici Live Music car c'est entendu qu'il est le moins bon et inspiré des trois albums des Strange Boys. Je le concède d'emblée et bien volontiers, c'est l'album que j'ai le moins plaisir à réécouter et c'est somme toute peu étonnant en fait, de retrouver un avis tel que celui de monsieur de Pokespagne, sur ce dernier si on a découvert les Strange Boys sur celui-ci. Seulement, je me disais... seulement, je me disais... les Strange Boys méritent mieux qu'un tel avis lapidaire et Internet a ses travers, mais aussi ses qualités : c'est une place éphémère dans une certaine mesure, sur laquelle voguent les caractères, mais c'est aussi une place où l'on peut marquer d'une pierre un brin de mémoire commune devant lequel on peut communier et se remémorer. Le travail de mémoire de l'histoire de la musique actuelle est, depuis la vulgarisation des outils de connectivité globale, à la fois immense, difficile et dérisoire. Ils sont des millions, d'artistes, de musiciens, a avoir profité du stockage temporaire, de la publication, de la prolifération d'informations à leur sujet, comme ils sont d'autant plus à n'avoir jamais dépassé l'espace confidentiel du virtuel. Internet est sans aucun doute la prochaine ère de notre encyclopédie humaine. Y laisser quelques traces, en privilégiant (et misant sur) les bons relais, c'est ainsi une manière d'histoire qu'on écrit.


Fi des blablas et de mes considérations peu originales à deux bitcoins, et revenons, si vous le voulez bien à nos Strange Boys. Le contexte est simple, Austin, Texas, ville majeure de la contre culture américaine pour sa population étudiante et son campus, donc point incontournable de la jeune génération musicale notamment du fait de la présence annuelle de son festival South By Southwest (SXSW) durant lequel fleurissent les concerts dans les jardins, au coin des rues ou dans les bars, durant le mois de mars. Elevés à ce grain, depuis 2002 les p'tits gars écument doucement les salles et se font les dents. Ca c'est le spatio, le tempo c'est la fin des années 2000, une décennie marquée par le revival garage naturellement (The Vines, The Libertines, les Arctic Monkeys et j'en passe), on potasse ses Kinks, on potasse ses 13th Floor Elevators (tiens ça vient d'Austin aussi), ses Count Five, ses Sonics, je vais pas vous faire un historique du garage. Fin des 00's (comme on écrit), on note un succès majeur sur la scène Indy, c'est les Black Lips, qui vont entrainer dans leur sillon les gloires de nos années à venir (les Oh Sees, Segall et consorts) et c'est là que commence notre histoire, en 2008, quand les deux frères Sambol sont portés à l'attention du boss de In The Red Records par Jay Reatard (alors là, en quelques mots, on a deux acteurs hyper importants de la scène, le label In The Red qui publiait Reatard jusqu'à sa mort, et qui se saignait pour mettre en avant des groupes indy de qualité). La sortie d'un premier album finit par tomber courant 2009, on parle déjà en fond de toile de ruée vers l'or des labels ricains et des groupes opportunistes, The Strange Boys And Girls Club est un semi-succès médiatique parmi la chiée d'albums qui se multiplient sur le marché avec pour unique recette l'enregistrement lo-fi d'un groupe à guitare gentillet.
Le problème c'est qu'And Girls Club est un pied de nez subtil et jamais prétentieux à toute cette vague alors qu'il utilise la même recette, et les rares critiques et auditeurs à ne pas s'être fait doucher à froid par le miaulement nasillard de Ryan Sambol, ouvrent des plaidoiries dithyrambiques à un album qui a du mal à être compris. Paroles débiles et naïves, qualité d'enregistrement brouillonne, mastering peu reluisant, tout semble s'accorder à discréditer le premier essai des Strange Boys qui passe rapidement pour un pétard mouillé aux yeux de la plupart des intéressés. Seulement... seulement... comment résister à cette déferlante de mélodies hardies, cette énergie toute jouvencelle et jubilatoire, à ces folk songs débraillées, lancinantes, paresseuses et toutes ces compositions illuminées ? Les Strange Boys, avec ce premier album qui a les qualités de ses défauts, étonnent, rafraichissent, surprennent : on ne finit pas d'user de superlatifs et de synonymes, cet album est juste dingue.


Vient l'année suivante la deuxième fournée avec Be Brave. Après une tournée en Europe et avoir scié le continent américain, les Strange Boys repassent par la case studio pour surfer sur la vague lancée par leur premier effort. On se rapproche des Stones (ce solo de sax' à la Brown Sugar sur le titre éponyme par exemple), on signe chez Rough Trade (LE label indé par excellence), on délaisse un peu sa fougue et surtout, on se dispute avec les copains en finissant l'album tout seul, à l'image de cette face B, personnel et prod minimum syndical pour une approche dite intimiste et folk : raté. La première partie de l'album, si elle montre une maturation de l'esprit effervescent du groupe, se dépouille de ses premières armes garage pour une tendance plus pop qui ne sera pas évoquer les influences des Dylan et Young harmonicistes, mais restera pourtant toujours juste et excellente.


L'histoire se poursuit en octobre 2011, après un peu d'égarement, des rapports chaotiques, et peut-être un peu de précipitation et de pression, et on repasse à table pour la galette suivante : Live Music. Album marqué notamment par la présence fantomatique et l'ombre de Tim Presley (autre chantre de la folk rock indé) et surtout par la plongée en apnée du groupe qui se soldera par un disband six mois plus tard. Le virage amorcé lors de la face B de Be Brave est maintenant opéré, le déhanché dansant est loin derrière (on l'apercoit une dernière fois dans Punk's Pajamas), et l'heure est plutôt à la complainte, au blues, porté par une guitare larmoyante et un piano bar omniprésent, sur des compositions moyennes et peu engageantes, le ton est donné : le navire coule capitaine, et les marins sont partis déjeuner.


Reste que sur cette courte discographie, j'espère qu'on se souviendra des Strange Boys, au pire pour ce premier album pêchu et génial, et au mieux pour leur carrière météorique de quatre années. Vous pouvez également lire les trois bons papiers de Planet-Gong au sujet de And Girls Club, Be Brave et Live Music. Les différents membres sont partis se perdre, de ci de là (cf. Living Grateful ou la carrière solo de Ryan Sambol comme première partie de Presley), un peu à la manière d'Harlem [un groupe de la même époque, et d'Austin également (tiens, ca alors!), dont j'avais fait la chronique], des groupes qui naissent et qui meurent en moins de temps qu'il ne faut pour s'en souvenir, dont on aura bientôt le plus grand mal à trouver des copies ou des zip, qu'on retrouvera dans une caisse bourrée de vinyles ou un disque dur, avec ces titres qui ne payent pas de mine mais qui peuplent pourtant et rassasient notre soif de bonne et qualitative musique.


Alors voilà, c'était l'histoire des Strange Boys les petits amis. Eux sont morts, mais continuez à les faire vivre car And Girls Club et Be Brave, c'est le genre de disque qui le mérite.

Albion
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le 12 févr. 2018

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Albion

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