Band on the Run
7.7
Band on the Run

Album de Wings (1973)

Y a-t-il des chefs d’œuvre de soft rock ?

Band on the run, c’est l’album-phare de Wings, et celui qui ressort dans son maigre bilan, à une époque d’enjeux où Paul devait se racheter une crédibilité après Wild life et Red rose speedway, des albums que je laisserai pour l’instant sans qualificatifs. Selon Linda, « Paul thought, I've got to do it, either I give up and cut my throat or I get my magic back ». Comme il s’est pas coupé la gorge, faut croire qu’il a récupéré sa magie. La critique, qui n’a pas souvent été tendre avec lui (même Ram n’avait pas trouvé grâce à ses yeux), l’a d’ailleurs reconnu, le qualifiant en substance de chef d’œuvre pop. En fait, si on peut oser cet oxymore, c’est un chef d’œuvre de soft rock.


Par cette expression dont l’ambiguïté n’échappera à personne, j’entérine le fait que, bien que toujours plus Tonton Albert qu’Admiral Halsey, Band on the run a pourtant l’audace de jouer à fond deux atouts gagnants, qui, cumulés, font sauter la banque : un son inédit et une élégance structurelle particulièrement renversante.


D’abord, le son : très doux, poli, fin et mat, mariant des vocaux purs et lisses à une texture chatoyant dans des arrangements sophistiqués et subtilement changeants, dilué par des nappes d’orgue, des backings assourdis et de discrètes chambres d’écho, enrichi par un synthé utilisé comme un instrument traditionnel et un saxo utilisé comme un synthé, il fait de Band on the run un album sage mais sournoisement ensorcelant, pop si on veut et si on l’écoute mal, mais à des années-lumière de Ram, ce mètre-étalon en la matière dans l’œuvre de Paul.


Ensuite, et en conséquence, c’est sans conteste un album fort. Il y a, si on veut et si on l’écoute mal, d’un côté les singles et les singles auxquels vous avez échappé, de l’autre des morceaux, au sens le plus pur et le plus noble du terme. Mais dans l’ensemble, tous affirment cette sûreté de goût et cette science de la construction mélodique qui sont la signature intemporelle de Macca. Côté « singles », l’accrocheur Jet, l’entêtant Mrs Vandebilt, qui flirtent avec la vulgarité sans y tomber, et Let me roll it, morceau lennonien (hommage ou parodie ?) avec son riff plein et hypnotique, ont tous quelque chose d’agréablement « compelling » (qui vous force à écouter). Côté « morceaux », Picasso’s last words, Nineteen hundred and eighty five et le title track sont des festins structurels particulièrement diaboliques, grâce à une façon de composer caractéristique : prendre des bribes musicales disparates et en faire des mini-symphonies, inventives et cohérentes, rajoutant même des bruitages, des échos de chansons dans d’autres (dans Picasso, la reprise de Jet brouille habilement la frontière entre le pop et l’élaboré).


Est-ce pour autant un album enthousiasmant ? J’ai un peu trop de réserves à son sujet pour pouvoir l’affirmer. Car il y a aussi, dans tout ça, quelque chose de languide et de sucré, des faux airs de premier communiant, une maîtrise tenant de la recette roublarde, qui rendent possible une écoute tout à fait différente.


Il m’arrive, dans mes mauvais jours, de voir Band on the run comme un album séduisant, mais à la façon dont une fille facile peut l’être, et comme un album malin, mais à la manière dont un escroc peut l’être. J’entends alors un son trop doux et trop poli, des vocaux et des arrangements trop lisses et trop sages. Je ne pardonne plus, je ne passe plus sous silence la mièvrerie de Bluebird et de Mamunia. L’accrocheur Jet et l’entêtant Mrs Vandebilt me paraissent des scies, Let me roll it me me semble ne tenir que sur son riff, et je n’ai pas envie d’avoir l’un d’eux scotché en tête toute la journée. Et la magie me paraît celle de l’illusionniste, pas celle du magicien. Certes, ces mauvais jours sont rares… mais ils existent.


Il faut faire avec, c’est « le nouveau Paul », assagi et lissé. Avec Band on the run, on gagne en habileté et en finesse ce qu’on perd en folie et en spontanéité. Avec Band on the run, Paul entre – vraiment – dans l’ère post-Beatles. Et, sans doute, dans l’idée qu’il se fait alors de la maturité musicale.


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Cette chronique fait partie de la rétrospective consacrée à l'oeuvre de Paul que j'ai entreprise :
https://www.senscritique.com/liste/Revisiting_Paul_Mc_Cartney_before_the_end_of_the_end/2221531

OrangeApple
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le 13 mars 2019

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OrangeApple

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