Baiser
7.4
Baiser

Album de Miossec (1997)

En vannetais, "miossec" signifie pied-bot. Et cette traduction est finalement la meilleure des définitions pour situer Christophe Miossec dans le paysage musical français. Car depuis que son album Boire a fracassé la porte (blindée) de la chanson d'ici, nos directeurs artistiques en ont encore la gueule de bois. Surtout devant le succès incroyable rencontré par le chanteur brestois, savamment entretenu au cours d'une tournée-marathon. Au point de se demander quand il écrirait son nouvel album - ses concerts nous laissant alors sur notre soif. Qu'il satisferait, pensait-il, dans un élan lubrique. Mais Baiser - suggestions pour les prochains disques : Bouffer, Bourlinguer, Cloper, Gerber... - ne possède ni la fulgurance ni le brio de son prédécesseur. Que Miossec semble d'ailleurs assumer assez difficilement. Ainsi, s'en remet-il à la normalité basique d'un groupe de rock - la batterie n'ayant jusque-là pas droit de cité. Mais les mélodies, moins accrocheuses, plus tapageuses, souffrent parfois du poids de ce fardeau rythmique (Le Mors Aux Dents, Tant D'Hommes). D'autant que l'écriture a perdu la force de son éloquence atrabilaire (Une Bonne Carcasse, La Guerre). C'est pourtant quand Miossec crache son venin sentimental (La Fidélité, L'Infidélité, Juste Après Qu'il Ait Plu) ou social (ça Sent Le Brûlé, On Etait Tellement De Gauche, Le Critérium) qu'il continue de nous enchanter. Comme au premier jour, mais surtout comme personne.(Magic)


La question du deuxième album s'annonçait aussi problématique pour Miossec qu'elle l'avait été pour Tricky. Qu'attendre d'artistes ayant infligé les coups de boutoir les plus véhéments à nos principales certitudes, dézinguant sans relâche la grammaire musicale (charrue, bœufs, charrue), dégraissant salutairement le codex des paroles viles et des mauvaises pensées ? On craignait que Miossec n'ait d'ores et déjà "tout dit". Baiser apporte une réponse assez finaude, évasive et séduisante, dont il ressort que ce disque n'est pas tant le second album de Miossec (Christophe), chanteur, que le premier de Miossec, groupe. Boire, c'était tout pour la gueule : les guitares acoustiques étaient réduites à accompagner les mots, fidèles comme un chien mais toujours en retrait, n'aboyant que dans les rares moments où leur maître s'effondrait. A cette époque, Guillaume Jouan, alter ego des débuts, était d'ailleurs crédité au titre de la "musique" ­ notez le singulier, pleutre et limitatif. Sur Baiser, il accède au statut fier et sexué de compositeur. Il s'est attaché, sans sombrer dans l'artificiel, à agrémenter chaque morceau d'une touche de couleur, d'une dramaturgie qui le distingue. Souvent, c'est une guitare électrique rageuse qui fanfaronne. Elle cancane en entrée de La Fidélité, vagit comme une baleine échouée sur Le Mors aux dents, pilonne la voix sur La Guerre. Grande maîtresse du déséquilibre, elle se lance tête baissée dans les pires voltiges de la balourdise rock'n'roll et retombe toujours du côté de la fulgurance. La batterie, autre innovation casse-gueule, fait des apparitions circonspectes, sur la pointe des balais ou sur le rebord des cymbales, accompagnant chaque morceau de rythmes fracturés et expressifs. On repère aussi un banjo, un piano, de légers effets synthétiques venus faire diversion, égayer les réflexions d'un chanteur querelleur. Evidemment, rien n'y fait. Mots fétides, sentiments d'égouts : chez Christophe Miossec, seul ou en couple, il sera toujours exclusivement question de coups très bas, mais inévitables, de cocufiages à peine masqués et de débandades programmées de longue date. Boire ou Baiser, faut pas choisir. Comme s'il ne s'agissait pas tant pour lui de surenchérir que de venir inlassablement buter sur ses défaites, sur ses impasses, par des chemins vaguement détournés et toujours épineux. Pour s'étonner, il ne reste que le style : sur certains titres de Baiser, celui que l'on avait cru abonné aux grandes gueules se métamorphose. Sa voix baisse d'un ton, son chant se fait caresse et se réfugie dans un chuchotement fatigué et frissonnant. Parfois même, il se tait. On doute trouver un jour quelque chose de plus approprié que les silences de Miossec pour évoquer ces trop nombreux moments où la vie se prend à ressembler furieusement à une longue (petite) mort. (Inrocks) 
bisca
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le 5 avr. 2022

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bisca

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